เข้าสู่ระบบCinq ans plus tardLe vent salin caresse les hautes herbes, faisant onduler ce champ qui borde la falaise comme une mer verte. Ici, loin de la ville, l’air sent le sel, la terre et la liberté. Une liberté chèrement acquise, patiemment construite, jour après jour.Je suis assise sur un vieux banc de bois, face à l’océan. Le bruit des vagues est une berceuse constante, un souffle qui lave les derniers échos des cris. Sur mes genoux, un carnet de croquis est ouvert. Mes doigts, ceux de ma main droite, fermes et assurés, et ceux de ma gauche, plus lents, plus prudents, mais efficaces, tracent des lignes sur le papier.Je dessine une petite fille.Elle court dans l’herbe haute, ses cheveux noirs de jais, hérités de son père, flottant derrière elle comme un étendard sauvage. Elle s’appelle Lyra. Un nom qui chantait l’espoir, la lumière après la longue nuit. Elle a ses yeux à lui, d’un gris orageux, mais où ne danse aucune ombre, seulement la curiosité insatiable et la joie pure du présent.
KaelLe mot « père » résonne dans ma tête comme une balle perdue. Il ricoche, imprévisible, ouvrant des brèches dans des murs que je croyais indestructibles. Père. Moi. L’idée est si grotesque qu’elle en devient obscène.Pendant des jours, je vis en état de siège. Chaque regard d’Alayna est une interrogation muette. Chaque geste de sa main vers son ventre encore plat, un rappel. Je me surprends à la surveiller avec une intensité nouvelle, scrutant sa pâleur, la fatigue sous ses yeux, comme si je pouvais déjà voir la menace rôder autour d’elle. Autour d’eux.La peur est un goût de fer dans ma bouche. Une peur plus viscérale, plus terrifiante que celle des champs de bataille. Là, je connaissais l’ennemi. Ici, l’ennemi est partout. Le monde entier. Un monde que j’ai passé ma vie à salir, et qui va vouloir se venger sur cet être innocent.Un soir, alors qu’Alayna dort d’un sommeil agité, je m’échappe de l’atelier. Je marche dans la nuit, sans but, les poings serrés. La ville dort, indiffé
AlaynaLes semaines se sont écoulées, tissant une nouvelle normalité, fragile et précieuse. La chaleur de l’été s’est installée, lourde et moite, faisant luire nos peaux et rendant l’atelier étouffant. Mes forces reviennent, lentement, mais sûrement. Mon bras, bien que toujours marqué et parfois douloureux, répond un peu mieux. Je dessine presque tous les jours, retrouvant peu à peu la confiance dans mon trait. Kael, lui, semble grandir, se solidifier. Les cauchemars sont moins fréquents, son regard moins hanté. Nous sommes deux épaves qui, pièce par pièce, se réparent mutuellement.C’est pourquoi, quand les nausées sont arrivées, je les ai d’abord attribuées à la chaleur, à la nourriture rudimentaire, au stress résiduel qui couve toujours en nous. Un malaise matinal, passager. Rien de grave.Mais les jours passent, et le malaise persiste. Il s’installe, tenace, accompagné d’une fatigue qui me cloue au lit certaines après-midi. Une étrange sensibilité aux odeurs, qui me fait frémir de
AlaynaLe jour se lève, teintant l’atelier d’une lueur grise et laiteuse. Je suis réveillée par la chaleur de Kael contre mon dos, son bras possessif enroulé autour de ma taille. La mémoire de la nuit nous enveloppe comme un parfum capiteux, mêlé à l’odeur de l’encre, de la sueur et de la sexe. Un sourire flotte sur mes lèvres. Nous avons pris feu, et nous avons survécu. Plus que cela : nous avons prospéré dans les flammes.Je me tourne lentement pour ne pas le réveiller. Son visage, dans le sommeil, a perdu ses lignes dures. La paix qui l’habite est fragile, volée, mais réelle. Mes doigts effleurent les racines noires qui serpentent sur son épaule. Ma marque. Notre histoire.Puis mon regard tombe sur mon propre bras, posé sur la couverture. La ligne noire que j’ai tracée semble minuscule, presque dérisoire, face à l’étendue de la chair violacée et noueuse. Une pensée froide germe dans la chaleur post-coïtale. Une seule ligne. Combien de milliers, de millions me faudrait-il pour couvr
KaelSous mes paumes, sa peau est un parchemin frémissant. L'atelier n'existe plus. Il n'y a que l'obscurité trouée par la lueur dansante de la lampe à pétrole, et Alayna. Toujours Alayna.Son dos sous mes doigts est une géographie nouvelle. Je sens les reliefs de l'encre fraîche, les lignes noires et organiques qu'elle a tracées sur ma peau comme elle a tracé sa propre survie sur son bras mutilé. Chaque racine, chaque courbe est une promesse. La sienne. La nôtre.Quand mes lèvres retrouvent les siennes, c'est avec la faim de l'homme qui a trop longtemps marché dans le désert. Ce n'est pas la possession brutale du prédateur. C'est la revendication tremblante de l'éclopé qui a trouvé son port. Sa bouche cède, puis répond, avec une ardeur égale. Un goût de sel et de courage.Mes mains glissent le long de ses flancs, sentant les frissons qui la parcourent. Je dénoue les boutons de son jean avec des doigts qui ne tremblent plus. Chaque parcelle de peau découverte est une victoire. La sien
AlaynaLa ligne noire sur ma brûlure sèche, croûte minuscule sur une mer de cicatrices. Ce n’est qu’un trait, mais il a ouvert une vanne. En moi, tout change. La peur cède la place à une détermination farouche, une soif de recommencer, de recréer.Les jours qui suivent sont rythmés par un nouveau rituel. Chaque matin, après les exercices de rééducation qui me laissent épuisée et frustrée, je m’installe avec mon carnet de croquis. Je ne dessine plus des ailes brisées ou des mains qui se serrent. Je dessine des forêts denses où se cachent des loups aux yeux tristes. Je dessine des volcans endormis, leur lave figée en coulées d’encre noire. Je dessine des armures de métal et de chair, des œillets qui s’ouvrent sur des paysages infinis. Je remplis des pages et des pages, mes doigts retrouvant peu à peu leur mémoire, traçant le chemin de ce qui deviendra ma nouvelle peau.Kael observe ce travail silencieux. Il ne dit rien, mais sa présence est un carburant. Parfois, il pose une main sur mo







