Isolde Valentyne
Raphaël. Dante. Ils m’étouffent tous les deux.
Raphaël m’offre une cage dorée, un avenir scellé, le confort d’un monde qu’il contrôle. Il veut faire de moi une reine, mais sous son règne.
Dante m’offre l’abîme, une passion sauvage, sans attaches, sans règles. Il veut me posséder, pas me protéger.
Je ne veux ni l’un ni l’autre.
Mais alors pourquoi est-ce que mon corps tremble encore sous leur toucher ?
Un mouvement dans mon dos. Je me raidis. Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir. Il est là.
Dante.
— Tu fuis toujours aussi vite, Isolde ?
Sa voix grave, légèrement rauque, danse sur ma peau. Je garde les yeux rivés sur la ville en contrebas.
— Laisse-moi.
Un rire bas. Un souffle trop proche. Il ne m’écoute jamais. Il ne m’a jamais écoutée.
— Et si je n’en ai pas envie ?
Je me retourne enfin. Il est juste là. Trop près. Son regard, deux abysses insondables, me scrute avec une patience carnassière. Ses cheveux noirs, son costume défait, cette odeur de whisky et de danger qui l’entoure… Je le hais.
Parce que je le désire autant que je le crains.
— Ce n’est pas un jeu, Dante.
Il sourit, et je déteste la façon dont ce sourire me fait frissonner.
— Tout est un jeu, Isolde. Surtout nous.
Sa main se lève, frôle une mèche de cheveux échappée de mon chignon. Je devrais reculer.
Je ne bouge pas.
Son regard descend sur ma bouche, et une chaleur monte en moi, incontrôlable. Il le sent. Il le sait. Il le savoure.
Et soudain, tout bascule.
— Recule.
Une autre voix. Plus froide. Plus tranchante.
Raphaël.
Il est là, à l’entrée du balcon, son regard de glace planté dans celui de Dante. Son poing serré, son corps tendu. Prêt à frapper.
Dante ne bouge pas. Il me regarde encore, comme si Raphaël n’existait pas. Comme si seul nous comptions.
Puis lentement, son sourire s’élargit. Il se penche à mon oreille, et murmure si bas que seul moi peux l’entendre :
— Tu finiras par céder.
Un frisson me traverse.
Puis il s’éloigne. Il passe devant Raphaël sans un mot, sans même un regard. Un défi silencieux.
Je reste figée, incapable de parler, incapable de bouger.
Puis Raphaël s’avance. Il lisse doucement la manche de son costume, comme si rien ne s’était passé. Mais son regard s’ancre au mien, et je sais. Je suis prise entre eux. Prisonnière d’un choix impossible.
Il s’approche encore, s’arrête à quelques centimètres de moi. Il ne me touchera pas. Pas encore. Mais il me tient quand même. Il me tient toujours.
— Ne joue pas avec lui, Isolde.
Un ordre, un avertissement, une promesse.
Mais c’est moi qui vais brûler.
Raphaël De Veyrac
Le whisky brûle ma gorge. Je devrais être satisfait. Dante s’est retiré. Isolde est toujours ici, avec moi. Mais il a laissé derrière lui ce venin invisible, ce poison qu’elle n’arrive pas à extraire de son cœur.
Je la regarde. Ses doigts se crispent légèrement sur la rambarde du balcon, ses lèvres sont entrouvertes, ses yeux fuyants. Elle est encore avec lui, en pensée.
Ça m’irrite. Profondément.
Je m’avance lentement. Je lui laisse le temps de sentir ma présence, de s’habituer à moi. Je ne suis pas comme Dante. Je ne la saisis pas de force. Je la façonne, lentement, inexorablement.
— Il te trouble encore.
Ce n’est pas une question. C’est un fait. Elle tressaille, imperceptiblement, mais ne répond pas. Elle ne nie pas non plus.
Je m’arrête juste derrière elle. Assez proche pour qu’elle ressente ma chaleur.
— Tu ne peux pas rester entre deux eaux, Isolde. Il faudra choisir.
Elle tourne légèrement la tête vers moi, son regard brûlant d’une rébellion qui me fascine autant qu’elle m’agace.
— C’est ce que tu veux ? Me forcer à choisir ?
Je souris. Forcer ? Non. Mais l’influencer, la guider… oui.
— Je veux que tu ouvres les yeux.
Elle se détourne, croise les bras comme si elle pouvait ériger une barrière entre nous. Elle sait que c’est inutile.
— Tu crois toujours que tu es celui qui me convient le mieux.
— Je ne le crois pas, Isolde. Je le sais.
Elle fronce légèrement les sourcils, mais je vois la lueur de doute dans son regard. Elle le sait aussi.
Je pourrais la toucher, glisser mes doigts le long de sa mâchoire, lui rappeler ce qu’elle ressent quand elle est contre moi. Mais pas encore. Pas ce soir.
Je me contente de lui offrir un dernier regard appuyé avant de me détourner.
— Le bal continue. Rejoins-moi quand tu seras prête.
Puis je pars, la laissant seule avec ses pensées.
Elle reviendra.
Isolde Valentyne
Je serre les poings. J’ai envie de hurler.
Raphaël croit toujours avoir le contrôle. Il ne me force pas, non. Il me manipule. Il plante ses idées dans mon esprit comme des graines destinées à éclore. Il sait attendre. Il sait dominer.
Mais ce qu’il ne comprend pas, c’est que je refuse d’être un trophée à conquérir.
Le vent nocturne fouette ma peau. Je ferme les yeux, inspirant profondément.
Je devrais retourner dans la salle de bal, sourire aux invités, jouer mon rôle. Mais mon corps refuse de bouger.
J’entends un bruit derrière moi. Léger. Discret.
Mon cœur rate un battement.
Je me retourne brusquement.
Dante est là.
Il n’est jamais parti.
Appuyé contre une colonne, son expression est indéchiffrable. Ses yeux sombres m’avalent tout entière.
— Tu joues avec le feu, Isolde.
IsoldeLe silence dans la pièce est lourd de promesses et d’émotions retenues. Chaque souffle, chaque mouvement semble résonner avec une force qui dépasse l’ordinaire. Je me tiens toujours près de la fenêtre, regardant la lumière déclinante du crépuscule, ses teintes or et rose se fondant sur l'horizon. Une lumière douce, presque irréelle, envahit la pièce et enveloppe tout autour de moi dans un halo chaleureux. Mais, au-delà de cette scène tranquille, c’est la présence de Dante qui me marque, me hante, me nourrit.Je n’ai pas à me tourner pour savoir qu’il est là, derrière moi. Il est la constante qui me définit, la force invisible qui me retient à cet endroit, à ce moment précis. Je le sens, presque avant de le voir. Il n’a pas besoin de parler pour que je le ressente. Sa présence est une pression douce, familière, réconfortante. Il est tout ce que je cherchais, tout ce dont j’avais besoin et bien plus.Je ferme les yeux un instant, m’immergeant dans l’instant, dans cette sensation
IsoldeLa nuit qui tombe sur la demeure de Dante est une couverture silencieuse, un voile opaque qui m’isole de tout ce que j’ai pu connaître. La pièce autour de nous semble se rétrécir, comme si le monde entier s’effondrait pour ne laisser que lui et moi, pris dans l’étreinte glaciale de son pouvoir. Son regard est fixé sur moi, une lueur triomphante qui éclaire ses traits avec une certitude glacée.Je le sens, cette emprise de plus en plus forte, cette force qui me presse de tous côtés. Il n’y a plus de répit, plus de fuite possible. Je suis là, dans cet espace où ses mots sont des chaînes et ses gestes des ordres que je me sens incapable de contester.— Tu as peur de ce qui se passe, n'est-ce pas ? me dit-il, sa voix basse et douce, mais l'ombre d’un sourire pervers se dessine sur ses lèvres.Je le fixe en silence, mes lèvres serrées, une partie de moi hurle de s’échapper, mais une autre, plus profonde, plus enfouie, accepte cette réalité avec une amertume douce. Je sais que je sui
IsoldeIl me libère enfin de son emprise, mais le monde autour de moi semble vaciller. Ses mains, maintenant froides, s’éloignent de ma peau, me laissant un vide que je peine à combler. Il recule d’un pas, me dévisageant avec une intensité qui me transperce. Ses yeux, d’un bleu glacé, sont comme deux océans dans lesquels je pourrais me noyer, noyée dans ses mensonges et ses vérités cruelles.— Tu as peur, n’est-ce pas ? me demande-t-il, la voix basse, presque murmurée, comme une caresse meurtrière.J’aspire à la fuite. J’ai envie de courir, de m’échapper de cette pièce étouffante, mais mes jambes sont figées, mes pensées emprisonnées par un enchevêtrement de désir et de terreur. Je sais que je ne peux pas fuir. Pas cette fois.— Peur ? Non, je ne ressens rien, Dante. Rien du tout, lâche-je d’une voix brisée, mais le déni ne me protège plus.Il sourit alors, un sourire à la fois cruel et satisfait, comme s’il venait de découvrir un secret que même moi, je ne connaissais pas.— Mentir n
IsoldeL’aube, timide, peine à se lever. Les premiers rayons hésitent à effleurer les toits de la ville, tandis que Dante, silencieux et sombre, s’avance dans la pénombre, me tirant presque à sa suite. Sa main se ferme autour de mon poignet avec une douceur glacée, une douceur qui trahit pourtant l’intensité de ses pensées. Je n’ose m’opposer à lui. Mes jambes, lourdes de fatigue, m’emprisonnent dans une inertie silencieuse.Nous avançons ainsi, sans un mot. Ses pas sont assurés, rapides, comme si un urgent besoin le poussait à fuir tout ce qui pourrait le retenir. Je le suis, sans réfléchir. Peut-être par crainte. Peut-être parce que, malgré ma volonté de m’échapper, il est celui qui m’enserre encore.Après un long chemin à travers des rues désertées, nous atteignons une demeure imposante, dissimulée dans l’ombre d’arbres centenaires. La silhouette de la bâtisse se découpe dans la brume matinale. Elle est majestueuse, mais froide, presque intimidante dans sa grandeur.— C’est ici, di
IsoldeLe soleil grimpe lentement dans un ciel d’une pureté indécente. Tout autour de moi, la ville s’éveille sans savoir qu’elle marche sur les cendres d’un amour en ruines. Je marche longtemps, sans but, le cœur étranglé par cette scène qui se répète en boucle dans mon esprit. Le regard de Dante. Les larmes de Raphaël. Et moi… incapable de choisir. Incapable de sauver qui que ce soit.Le poids de la solitude me brise les épaules. Mes pas me ramènent là où tout a commencé : ce vieux parc oublié au bord du fleuve, où Dante m’a prise dans ses bras pour la première fois, où Raphaël m’a fait rire quand plus rien n’existait. Le vent soulève mes cheveux, caresse ma peau gelée. Et tout me semble dérisoire.Le bruit de pas derrière moi me fait sursauter. Raphaël. Évidemment. Son visage est ravagé, ses yeux rougis par la colère et la douleur.— Tu fuis encore, Isolde ?Je ne réponds pas. Je n’ai plus la force. Je m’assieds sur ce vieux banc qui menace de s’effondrer et je fixe l’eau trouble d
IsoldeQuand j’arrive enfin, Dante est là. Assis sur le capot de sa voiture, une clope au bec. L’air plus mort que vivant.Il ne dit rien. Il attend.Je m’arrête face à lui. Silence.— Tu savais que je viendrais.Un sourire amer déforme sa bouche.— Ouais. Mais je préfère te l’entendre dire.Je déglutis.— Je suis là.Il écrase sa clope, se lève. Me jauge comme si j’étais déjà à genoux devant lui.— Pourquoi ?— Parce qu’il y a plus rien d’autre. Parce que même si je pars, je crève pareil.Dante hoche la tête. Son regard me brûle.— Je voulais pas que ça finisse comme ça.— Moi non plus.Il s’approche. Son souffle caresse mon visage.— Dis-moi, Isolde. Si je le bute… tu m’en voudras ?Mes lèvres tremblent.— Oui. Mais tu le feras quand même.Un silence terrible. Puis sa main se lève et effleure ma joue.— Il t’a prise, hein ?Je ferme les yeux. La honte me dévore.— Je t’aime encore. Malgré ça.Je suffoque. Je voudrais hurler. Lui dire d’arrêter. Mais je reste là. Parce que je suis dé
IsoldeLa nuit est longue. Sale. Et je ne dors pas. Pas vraiment.Raphaël conduit sans un mot jusqu’à son repaire, une villa planquée au sommet de la ville, là où personne n’ose grimper sans invitation. Les souvenirs me frappent à chaque virage, à chaque pierre. Je connais cet endroit. Je l’ai aimé. J’y ai souffert. Et maintenant, je reviens. Comme une traîtresse. Comme une amante en fuite.Il me pousse à l’intérieur sans douceur, claque la porte derrière lui et me plaque contre le mur. Son souffle est court. Ses yeux noirs de désir et de rage.— Dis-moi que tu es là parce que tu veux de moi. Pas pour lui briser le cœur. Dis-le, Isolde.Je ne dis rien. Parce que je ne sais plus. Parce que je me déteste autant que je le désire.Ses lèvres s’abattent sur les miennes. C’est brutal, violent. C’est Raphaël. Pas d’amour, pas de promesses. Juste le feu. Le besoin de posséder, d’effacer Dante de ma peau, de mes veines.— Tu es à moi ce soir, murmure-t-il contre ma gorge. Et je te jure que dem
IsoldeUn bruit de porte claque derrière moi. Je me fige. Dante. Il est là. Dans l’ombre. Le regard noir. Figé comme une statue.Raphaël se redresse, sûr de lui, arrogant.— Tiens, voilà le roi déchu.Dante ne parle pas. Mais sa main glisse lentement sous sa veste. Il est prêt à tuer. Je le sens. Et Raphaël aussi.— Arrête, Dante. Pas ici. Pas maintenant.Raphaël rit doucement.— Tu croyais quoi, Dante ? Qu’elle t’appartenait ? T’es qu’un passage, un foutu refuge. Mais moi, je suis son chaos. Je suis son mal.Je serre les poings.— Ferme-la, Raphaël.Il se tourne vers moi.— Non. Tu m’écoutes. Tu as deux options, Isolde. Tu restes là à crever à petit feu, ou tu me suis. On se barre. On crame ce monde et on recommence ailleurs. Juste toi et moi.Dante gronde, prêt à exploser. Mais je lève la main.— Pas un mot.Le silence tombe. Le vent hurle. Le choix me déchire.— Et si je refuse ?Raphaël sourit. Lentement.— Tu refuseras pas. Parce que tu n'as jamais su me dire non.Il m’embrasse.
IsoldeIl n’y a plus de roi.Plus d’ennemi à abattre. Plus de guerre à mener.Le silence est une malédiction.On s’est terrés dans la maison au bord de la mer. Celle que Dante ne regardait jamais vraiment, planquée entre les falaises. Il disait que c’était leur tombe, qu’ils y finiraient quand tout serait fini. J’ai ri la première fois. Maintenant, j’y suis. Et je ne ris plus.Dante ne parle pas.Il se lève tôt. Disparaît des heures. Revient les mains sales, le regard vide. Parfois, il me regarde dormir comme s’il n’était plus sûr de qui je suis, de ce que nous sommes sans la guerre, sans la rage.Moi, je compte les heures.Je regarde la mer et j’attends.— On est morts, hein ?Ma voix brise le silence. Il lève à peine les yeux.— Non.Mais il ment. Je le vois. Je le sens. On est morts ce soir-là, dans l’entrepôt. Ce qui reste, c’est juste deux corps qui respirent par habitude.Je me lève. J’enfile un vieux sweat à lui, trop grand, troué. Et je sors. Pieds nus dans le sable froid. La