Le piège du coeur

Mars, dans les années 90…

Des gémissements, des cris perçants résonnent à travers la pièce. La jeune femme se tord de douleur, son visage crispé par la souffrance. L’accouchement est imminent. Elle n’a pas eu le choix. Personne ne l’a eu d’ailleurs. Sa seule échappatoire ? Trouver refuge chez les bonnes sœurs. Sa mère l’a accompagnée, fuyant avec elle, loin de la ville, loin des regards. Pendant des mois, elles ont vécu cachées, dissimulées dans l’ombre, en attendant ce moment.

Mais ici chez les bonnes sœurs, on redoute le pire. L’endroit est rudimentaire, le matériel médical insuffisant. Ce n’est pas un lieu pour accoucher, encore moins pour gérer une urgence. Si des complications surviennent, ce sera dramatique. L’hôpital le plus proche est à plus de deux heures de route, et il est déjà bien trop tard.

Dans la salle d’attente, une autre femme patiente depuis des heures. Elle est fébrile, mais son impatience est teintée d’excitation. Bientôt, elle aussi sera mère. Elle pourra serrer ce bébé dans ses bras, l’aimer comme le sien. Depuis des mois, elle s’y prépare, se sacrifiant en silence. Elle a tout suivi depuis le début. Elle a promis de s’occuper de l’enfant comme s’il était le sien. Pourtant, c’est une célibataire endurcie. Mais elle sait que son existence va changer à jamais.

Elles sont toutes venues ensemble ce soir-là. La jeune fille enceinte, sa mère, et cette femme qui attend à l’extérieur. Lorsque les contractions ont commencé, la panique s’est emparée d’elles. Il fallait agir vite, trouver un moyen de transport pour atteindre la ville voisine. Là d’où elles viennent, la vie n’a rien de paradisiaque. C’est un village reculé, sans ressources, où la mère et la fille ont dû se terrer tout au long de la grossesse.

C’est l’effervescence. La jeune femme lutte, se débat, hurle comme un animal blessé. Son corps est à bout. Après de longues heures de souffrance, un cri retentit. L’enfant est né. Un souffle de soulagement traverse la pièce, mais pas de joie manifeste. Juste un répit.

Dans la salle d’attente, la femme qui attendait est la seule à esquisser un sourire. On lui annonce que tout s’est bien passé. Elle fait un signe de croix avant de suivre la sage-femme. Le bébé, emmitouflé dans un linge chaud, repose paisiblement. L’émotion la submerge. La jeune mère s’est assoupie, épuisée.

Au petit matin, vers 5h30, dans la cour silencieuse du bâtiment, trois silhouettes se dessinent sous la lueur blafarde. Une discussion discrète se tient entre trois femmes : la mère de la jeune accouchée, une des religieuses et celle qui attendait ce bébé.

— Alors, on y va ? On passe à l’étape suivante ? Demande la mère de la jeune fille.

— Oui. Êtes-vous prêtes ? Ajoute la sœur.

— Plus que jamais… Nous sommes prêtes, répondent les trois femmes d’une même voix.