Le soleil n’avait pas encore percé la brume du matin que déjà, la tension dans l’air se faisait sentir. Quelque chose flottait, lourd, dans le camp. Comme si la forêt elle-même retenait son souffle.Élina ne dormit pas cette nuit-là. Elle avait veillé, guettant le moindre mouvement. Elle savait que Rox bougerait encore, que le doute deviendrait certitude. Et à l’aube, elle avait fait son choix.Elle ne le confronterait pas dans l’ombre.Elle voulait la lumière.—La cloche de rassemblement sonna à la mi-journée. Un son grave, ancien, réservé aux grandes annonces, aux mises en garde, aux décisions irréversibles.Les membres de la meute se rassemblèrent lentement, en silence. La majorité ignorait pourquoi on les appelait. Mais certains… certains savaient. Les regards se croisaient, se fuyaient. Et au milieu d’eux, Rox.Calme. Silencieux. Trop.Kaël prit place près du feu. Maëlys resta debout à ses côtés, bras croisés, le regard dur. Élina, elle, restait droite, au centre. Exposée. Brûla
La vie dans le camp reprenait lentement après l’attaque de la source, mais quelque chose s’était brisé. Pas un bruit, pas une plainte. Plutôt un flottement. Comme si les loups du Croissant Noir marchaient sur des cendres sans le dire à personne.Élina le sentait.Ce n’était pas une peur bruyante, c’était un malaise diffus. Un mot tu, une présence qui s’efface trop vite, un regard qui se détourne.La meute respirait autrement.Et elle, elle n’aimait pas ça.—Tout commença par un détail.Un matin, elle traversait le quartier des réserves pour vérifier les stocks d’herbes médicinales, lorsque son pied heurta une pierre. Pas une erreur. Pas une distraction. La pierre n’était pas à sa place.Et sous elle, une fissure.Pas récente.Mais fraîchement rouverte.Elle se pencha, écarta la poussière.Un trou. Étroit. Suffisant pour glisser une main. Ou cacher quelque chose.Quand elle y plongea les doigts, elle en ressortit un tissu roulé.Dedans : des herbes sèches.Mais pas n’importe lesquelle
La pluie avait cessé depuis deux jours, mais l’air était encore gorgé d’humidité. Les feuilles collaient aux bottes, les odeurs s’étaient figées dans la boue. L’automne s’installait lentement, emportant les dernières traces de l’été et du calme illusoire qui avait suivi l’intronisation de Kaël.Élina ne dormait plus vraiment. Ses nuits étaient traversées de rêves confus, de visages indistincts, de hurlements étouffés. Et toujours cette silhouette, dans le coin de son œil, à la lisière des songes.Kaeron.—C’est à l’aube que l’alerte tomba.Un hurlement bref. Étouffé. Puis des pas précipités, et une odeur de suie portée par le vent.Élina sortit en courant de sa tente. Kaël la rejoignit presque aussitôt, torse nu, les cheveux encore humides de sommeil. Maëlys les attendait déjà près du cercle de pierres, le visage fermé.— « C’est la source de l’Ancienne-Bordure, » annonça-t-elle. « Ils l’ont souillée. »Kaël serra les mâchoires. Pas un mot.—Ils chevauchèrent jusqu’à la clairière en
Les jours s’étaient enchaînés comme les battements d’un cœur enfin apaisé.Depuis l’intronisation de Kaël, la meute semblait respirer autrement. Les anciens participaient à nouveau aux conseils. Les jeunes, autrefois désorientés, s’entraînaient avec un regain d’énergie. Même Maëlys avait desserré un peu la mâchoire — ce qui, pour elle, équivalait presque à un sourire.La paix n’était pas parfaite, mais elle semblait possible.Et pourtant… quelque chose clochait.Élina le sentait.Dans le vent, dans les ombres qui frôlaient la lisière des bois. Dans les hurlements nocturnes, plus courts, plus nerveux. Les animaux quittaient les clairières plus tôt. Les oiseaux volaient en cercles, sans se poser.La forêt observait.Et elle avait peur.—Un matin, le jeune Lioran revint d’une ronde plus pâle qu’un linceul. Il avait à peine seize hivers, mais il était vif, attentif, curieux. Un bon éclaireur en devenir.Quand Kaël le fit entrer dans la tente du conseil, Lioran n’arrivait pas à parler.Se
La voix revenait chaque nuit. Plus nette. Plus intime.— Tu t’es affaibli à force d’aimer. Tu redeviens entier à force de haïr.— « Je ne veux pas la tuer. »— Alors brise ce qu’elle aime.Kaeron baissa les yeux. Une rage lente lui nouait la gorge.— « Il ne la mérite pas. »— Toi non plus. Et pourtant, ton cœur l’appelle encore. C’est ta faiblesse. Et ta force.—Au lever du troisième jour, il quitta la caverne.Plus mince.Plus rapide.Plus froid.Dans ses veines, un feu noir pulsait. Les ombres ne l’effrayaient plus. Elles le suivaient.Et quand il hurla dans la nuit, il entendit des échos. Loin, très loin.Des réponses.Des loups perdus.Des bannis.Des rejetés.Tous ceux qui avaient été brisés par la meute. Par l’ordre. Par Kaël.Il allait les trouver.Pas pour les rassembler en une meute.Mais pour créer autre chose.Une meute sans lois. Sans code.Une meute de ceux qui n’ont plus rien à perdre.—Le premier qu’il trouva se nommait Harkan.Un colosse balafré, ancien Beta d’une m
Le vent soufflait sec sur les hauteurs.Kaeron marchait seul depuis des jours, la peau brûlée par la pluie, les muscles raidis par la fatigue. Mais il n’avait pas fléchi. Il était né pour l’endurance. Pour la solitude. Et désormais, pour autre chose.La honte l’avait rongé au départ.Puis elle s’était transformée.Elle avait pris racine dans sa colère.Et elle avait fleuri dans un mot qu’il n’osait pas encore prononcer.Vengeance.—Il atteignit une ancienne caverne, oubliée de tous. Elle ne figurait sur aucune carte, aucun souvenir partagé. Seuls les alphas d’avant en connaissaient l’existence.Il avait été l’un d’eux.Il n’y avait pas si longtemps.À l’intérieur, le froid était humide, et l’odeur du passé épaisse. Des traces d’incantations anciennes marquaient les murs. Les restes d’un cercle d’os gisaient au sol. Ici, autrefois, on scellait des pactes. On appelait les ombres.Kaeron s’assit au centre, les jambes croisées, les paumes ouvertes.Il ne pria pas.Il attendit.Et bientôt