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La Cinquième Année avec Monsieur Weyland
La Cinquième Année avec Monsieur Weyland
Author: Petit Koï

Chapitre 1

Author: Petit Koï
La salle de bain résonnait du bruit léger de l'eau.

Clément Weyland était sous la douche.

Il était trois heures du matin.

Il venait tout juste de rentrer.

Jeanne Vidal se tenait devant la porte, les doigts légèrement serrés contre le chambranle. Elle voulait lui parler d'une chose importante. Elle était un peu nerveuse, ne sachant pas s'il accepterait ce qu'elle s'apprêtait à lui dire.

Alors qu'elle réfléchissait encore comment aborder le sujet, des bruits étranges lui sont parvenus de l'intérieur.

Elle a tendu l'oreille. Et elle a compris.

Il se faisait plaisir lui-même.

Chaque souffle, chaque gémissement étouffé tombait comme un coup de masse sur sa poitrine, l'un après l'autre, jusqu'à ce que la douleur s'étende en elle comme une marée sombre. Elle avait l'impression de s'y noyer, incapable de reprendre son souffle.

Ce jour-là marquait pourtant leur anniversaire de mariage.

Cinq ans qu'elle avait épousé Clément.

Et ils n'avaient jamais partagé la moindre intimité de couple.

Alors, il préférait ça, plutôt que de la toucher ?

À mesure que sa respiration à lui devenait plus pressante, il a soudain laissé échapper un souffle brûlant, arraché à une retenue trop longue :

« Clio... »

Ce simple prénom l'a brisée net.

Un fracas muet a explosé dans sa tête, quelque chose en elle s'effondrait, se réduisant en une poussière invisible.

Elle a posé une main sur sa bouche pour étouffer le sanglot qui montait, puis elle a tourné les talons pour fuir. Mais à peine avait-elle fait un pas qu'elle a trébuché, heurtant le meuble du lavabo avant de s'effondrer au sol.

« Jeanne ? »

La voix de Clément venait encore du fond de la salle de bain. On sentait qu'il essayait de reprendre le contrôle, mais son souffle restait lourd, saccadé.

« Je... je voulais juste aller aux toilettes. Je ne savais pas que tu prenais ta douche... »

Elle a lâché ce mensonge maladroit en s'accrochant au lavabo, tentant de se relever dans la panique.

Plus elle se dépêchait, plus elle paraissait misérable. Le sol était trempé, le bord du lavabo aussi. Elle a fini par se mettre debout avec peine, juste au moment où Clément sortait.

Une bouffée de vapeur s'est échappée derrière Clément lorsqu'il est apparu. Son peignoir blanc était mal ajusté, passé à la hâte, mais la ceinture restait nouée avec une rigueur presque excessive.

« Tu es tombée ? Laisse-moi. »

Il a voulu la prendre dans ses bras.

Les larmes lui montaient aux yeux à cause de la douleur, mais elle a repoussé sa main, l'air embarrassé mais résolu.

« Non... non, ça va. Je peux marcher. »

Mais dès le pas suivant, elle a manqué de glisser encore une fois. Elle s'est alors réfugiée dans la chambre, boitant, trébuchant, presque en fuite.

Oui, fuite. Le mot convenait parfaitement.

Depuis cinq ans qu'elle était devenue Madame Weyland, elle ne faisait que ça : fuir.

Fuir le monde extérieur. Fuir les regards qui la jugeaient en silence. Fuir la compassion lourde comme du plomb, cette compassion qu'elle lisait dans les yeux de Clément — parce que la femme de Clément n'était qu'une boiteuse.

Comment une femme comme elle pouvait-elle être digne d'un homme comme lui, si brillant, si impeccable ?

Pourtant, autrefois, elle aussi avait eu deux belles jambes bien droites...

Clément est sorti à son tour, adoucissant la voix, visiblement inquiet :

« Tu t'es fait mal ? Montre-moi. »

« Non, vraiment. »

Elle s'est glissée sous la couette, recouvrant son corps et sa honte d'un même geste.

« Tu es sûre ? »

Il était sincèrement préoccupé.

« Oui. »

Elle a hoché la tête, toujours dos à lui.

« Tu dors déjà ? Tu voulais aller aux toilettes pourtant. »

« Ce n'est plus urgent... On se couche ? » a-t-elle murmuré.

« D'accord. Au fait, aujourd'hui, c'est notre anniversaire. Je t'ai acheté un cadeau. Tu verras demain si ça te plaît. »

« D'accord. »

Le cadeau était posé sur la table de chevet. Elle l'avait vu tout à l'heure. Elle n'avait même pas besoin de l'ouvrir pour savoir ce qu'il contenait.

Chaque année, la même boîte.

La même taille.

Et à l'intérieur, la même montre.

Dans son tiroir, avec les présents d'anniversaire, il y en avait déjà neuf.

Celle-ci serait la dixième.

La conversation s'est éteinte là. Il a éteint la lumière et s'est allongé à son tour.

Dans l'air flottait encore l'odeur humide de son gel de douche, une senteur tiède qui enveloppait la pièce. Mais Jeanne ne sentait presque pas le matelas s'affaisser. Sur un lit de deux mètres, elle occupait un bord, lui s'est installé tout au bout de l'autre côté, et entre eux, il restait assez d'espace pour qu'une troisième personne puisse dormir.

Personne n'a prononcé le nom de Clio. Personne n'a parlé de ce qui s'était passé dans la salle de bain. Comme si rien, absolument rien n'avait existé.

Elle est restée allongée sur le dos, raide, et sentait ses yeux la brûler douloureusement.

Clio. Claire Lefèvre. Celle qui avait partagé les années d'université de Clément. Son premier amour. La fille qu'il avait idéalisée.

Quand ils avaient obtenu leur diplôme, Claire était partie à l'étranger. Leur histoire s'était terminée là. Et Clément, lui, s'était effondré après leur rupture, passant ses nuits à boire, incapable de se relever.

Jeanne et Clément avaient été camarades au lycée. Elle l'admettait sans honte : à cette époque, elle l'aimait déjà en secret.

Lui, c'était le garçon le plus courtisé du lycée, brillant dans toutes les matières, ce prodige froid et impeccable dont tout le monde parlait.

Elle, de son côté, suivait un parcours de danse au conservatoire en parallèle du lycée. Jolie, bien sûr, mais dans un environnement où l'excellence académique attirait tous les regards, une fille absorbée par la danse pouvait facilement passer à côté de la lumière. Certaines la regardaient même avec une légère distance, comme si sa voie artistique la plaçait un peu « à part ».

Alors, son amour n'avait été qu'un secret bien gardé. Elle n'avait jamais imaginé qu'un jour, elle pourrait réellement se tenir devant lui.

Jusqu'à cet été-là.

Elle venait tout juste d'obtenir sa licence de danse à l'université et était rentrée chez elle pour les vacances, lorsqu'elle était tombée sur un Clément brisé, perdu dans l'alcool.

Ce soir-là, il était complètement ivre.

Il marchait en zigzag sur le trottoir, et en traversant la rue sans regarder les feux, une voiture avait surgi sans ralentir. Jeanne, qui le suivait de loin avec une inquiétude sourde, l'avait repoussé de toutes ses forces.

C'était elle qui avait reçu le choc.

Elle était l'étudiante en danse qui venait d'être admise en master. Elle, qui avait tout son avenir devant elle.

Cet accident avait brisé sa jambe.

Elle n'avait plus jamais pu danser.

Plus tard, Clément avait arrêté de boire. Puis il l'avait épousée.

Reconnaissant. Coupable. Toujours doux, toujours poli, toujours distant.

Toujours généreux aussi : des cadeaux, de l'argent, des compensations de toutes sortes.

Mais jamais... jamais d'amour.

Jeanne avait cru que le temps guérirait tout, qu'il adoucirait les blessures, qu'il effacerait les ombres.

Elle n'aurait jamais imaginé qu'après cinq ans, il porterait encore le prénom « Clio » si profondément en lui, au point que ce soit ce nom-là qui lui échappe quand il se donnait du plaisir.

Elle avait été naïve. Bien trop naïve.

Jeanne n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Elle avait relu au moins une centaine de fois ce mail dans son téléphone : l'offre d'admission d'une université étrangère pour un master.

C'était ce dont elle voulait parler à Clément ce soir-là — lui demander s'il accepterait qu'elle parte étudier à l'étranger.

Mais maintenant, il n'y avait plus rien à lui demander.

Cinq ans de mariage. Des nuits à se retourner sans trouver sa place. Et, à partir de ce moment-là, elle sentait que le compte à rebours pouvait commencer.

Quand il s'est levé, elle faisait semblant de dormir.

Elle l'a entendu dire à Monique, dans l'entrée :

« Ce soir j'ai un dîner. Dites à Madame de ne pas m'attendre, qu'elle se couche tôt. »

Après l'avoir prévenue, il était revenu dans la chambre jeter un dernier regard.

Sous la couette, le visage de Jeanne était caché, mais son oreiller, lui, était trempé.

Habituellement, avant qu'il parte au travail, elle préparait toujours sa tenue du jour : chemise, cravate, veste, tout soigneusement posé pour lui.

Mais pas aujourd'hui.

Il est parti choisir ses vêtements dans le dressing, puis il est sorti pour rejoindre l'entreprise.

Ce n'est qu'une fois la porte refermée qu'elle a ouvert les yeux. Ses paupières la brûlaient tant elles étaient gonflées.

L'alarme de son téléphone s'est mise à sonner.

Son rappel quotidien : l'heure de lire un peu d'anglais.

Depuis le mariage, à cause de sa jambe, elle passait près de 90 % de son temps enfermée. Elle ne sortait presque plus. Ses journées étaient découpées en petites tranches, chacune remplie de quelques activités pour ne pas sentir le vide.

Elle a éteint l'alarme, puis elle a commencé à faire défiler les applications, sans but, sans attention. Sa tête bourdonnait, une masse confuse où rien n'arrivait à se fixer.

Jusqu'au moment où elle est tombée sur une vidéo, sur TikTok.

Le visage dans l'écran...

Trop familier.

Elle a regardé le nom du compte :

ClioCC.

La vidéo avait été publiée la veille.

Jeanne a appuyé pour l'ouvrir. La musique festive a éclaté d'un coup, puis des voix ont crié :

« Un, deux, trois... Bienvenue à Clio pour son retour ! Santé ! »

Et cette voix-là, celle qui lançait le toast, était la voix de Clément.
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