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Chapitre 2

Author: Petit Koï
Il avait replongé dans l'alcool.

On entendait facilement qu'il était un peu ivre.

Mais Clément pouvait-il vraiment crier comme ça ?

Dans les souvenirs de Jeanne, Clément, au lycée, était un garçon froid et intouchable. Il était le premier de la classe, toujours concentré, sérieux même sur le terrain de sport. Quand une fille intéressée venait lui tendre une bouteille d'eau, il ne la regardait même pas.

Plus tard, devenu son mari, Clément se montrait encore plus mesuré : poli, irréprochable, d'une stabilité presque trop lisse.

Il ne riait jamais, ne s'énervait jamais. Toujours calme, toujours distant.

Parfois, quand elle effleurait par accident ses doigts, elle avait l'impression que sa peau était froide.

Dans la vidéo, la caméra glissait d'un visage à l'autre.

Et elle l'a vu, lui.

Clément, les joues légèrement rosies par l'alcool, les yeux brillants, a levé son verre en riant devant l'objectif :

« Bienvenue à Clio pour son retour ! »

Alors... il savait rire.

Il pouvait être chaleureux.

Il pouvait appeler une fille par un petit surnom.

Simplement, ce n'était jamais pour elle. Jamais de rire pour elle. Jamais de chaleur pour elle. Jamais un surnom murmuré pour elle.

« Madame, vous vous levez maintenant ? »

La voix de Monique résonnait devant la porte.

Le quotidien de Jeanne était si régulier que, lorsqu'elle ne se levait pas à l'heure habituelle, Monique s'inquiétait toujours un peu. Sa jambe restait fragile, et c'était une réalité dont personne dans la maison ne doutait.

Jeanne a posé son téléphone sur la table de nuit.

« Oui, j'arrive. »

Sa voix était rauque, presque brisée.

Au petit-déjeuner, Monique avait préparé des pains au lait. Jeanne en a mangé un. Ensuite, elle n'avait vraiment plus d'appétit.

« Madame, vous voulez quoi pour le déjeuner ? Et pour ce soir ? »

Monique lui a tendu un verre de lait chaud.

« Comme vous voulez, je... »

Elle allait répondre comme d'habitude : « Prépare ce que Monsieur aime ». Mais les mots se sont arrêtés au bord de ses lèvres.

Monique, elle, avait compris. Après tout, c'était presque la même conversation chaque matin.

« Monsieur a dit qu'il ne rentrerait pas pour dîner aujourd'hui. Il a un dîner d'affaires. »

Jeanne a hoché la tête. Bien sûr qu'il ne rentrerait pas. Elle venait de le voir sur TikTok, Claire avait publié une liste des dîners prévus pour la semaine.

Son commentaire brillait sous la vidéo : Les sentiments les plus sincères naissent toujours pendant les années d'études. Tous mes amis d'études me chouchoutent tellement !

La matinée de Jeanne suivait toujours le même rythme : deux heures d'anglais, puis quelques heures de théorie artistique.

Sans ces petites occupations, ses journées auraient été interminables.

Comment aurait-elle pu vivre si elle passait toute son existence à attendre qu'un homme rentre le soir ?

Elle avait déjà attendu autrefois.

Et elle savait combien cette attente pouvait faire mal.

Mais aujourd'hui, tout était différent. Son offre de master était sans doute dans la dernière vague d'admissions. Elle devait confirmer sa place au plus vite.

Alors, ce matin, la première chose qu'elle a faite a été de payer les frais d'inscription. Quand la notification bancaire est apparue sur l'écran, elle a laissé échapper un souffle long et tremblant.

Encore un jour de moins avant de quitter Clément.

En fin d'après-midi, Jeanne s'est changée pour sortir.

Monique l'a regardée avec étonnement :

« Madame, vous allez quelque part ? »

Sans Clément à ses côtés, Jeanne ne mettait presque jamais un pied dehors.

« Oh, une amie de la fac donne un spectacle dans le coin. Elle m'a proposé qu'on se voie. »

C'était faux. En réalité, elle comptait simplement aller à l'hôtel, près du centre d'examen.

Elle passait l'IELTS demain matin, et la session commençait tôt. Elle avait peur que les bouchons l'empêchent d'arriver à l'heure.

La dernière fois, quelques mois plus tôt, elle n'avait pas obtenu le score espéré. Quand l'échéance des candidatures était arrivée, elle avait tout de même soumis son dossier. Elle ne s'attendait pas à être acceptée, alors elle avait repris une date d'examen, fixée justement à demain.

Heureusement, l'université acceptait les résultats d'anglais après confirmation.

« Mais... » Monique a jeté un coup d'œil à sa jambe, inquiète. « Je peux vous accompagner ? »

« Non, ce n'est qu'une soirée entre amies. Une personne de plus, ce serait compliqué. »

Jeanne avait répondu d'un ton parfaitement neutre.

« Alors je préviens Monsieur. »

Monique paraissait réellement inquiète : elle craignait qu'il lui arrive quelque chose.

« Non. Laissez-le profiter de sa soirée. Ne le dérangez pas. Quand j'aurai fini, je l'appellerai pour qu'il vienne me chercher. »

Jeanne a attrapé son sac et elle est sortie.

Parce que ses déplacements étaient difficiles, Clément avait acheté pour elle un grand appartement de plain-pied. Jeanne a pris l'ascenseur pour aller en bas.

Dès qu'elle a mis un pied dehors, sous la lumière du jour, son corps s'est instinctivement contracté. Elle a baissé la tête, a relevé le col de sa veste et a enfoncé sa casquette.

Depuis son accident, la Jeanne rayonnante qui dansait sur scène n'était plus là. La Jeanne boiteuse n'avait plus le courage de se montrer.

Monique répétait toujours qu'elle devait sortir accompagnée de Monsieur. Clément, lui aussi, disait qu'elle était plus en sécurité quand il l'accompagnait.

Mais aucun des deux ne savait la vérité.

Ce qu'elle redoutait le plus, ce n'était pas de sortir seule. C'était de sortir avec Clément.

Parce que chaque regard croisé dans la rue semblait dire : Comment un homme aussi remarquable peut-il avoir une femme comme elle ?

Jeanne a appelé un taxi et s'est dirigée vers l'hôtel.

Assise à l'arrière, elle regardait la rue défiler derrière la vitre, quand une silhouette familière a attiré son attention.

La voiture de Clément, garée sur une place au bord du trottoir.

« Attendez, pouvez-vous vous arrêter ici ? » a-t-elle demandé au chauffeur.

La voiture de Clément était arrêtée devant un restaurant. D'après ce qu'elle avait vu sur TikTok, l'un des amis d'enfance de Clément avait invité tout le monde hier ; ce soir, c'était au tour de Clément de recevoir.

Exactement comme Claire l'avait posté.

Sans réfléchir, Jeanne est descendue du taxi.

À l'entrée du restaurant, elle s'est approchée de l'accueil :

« Je rejoins un groupe, au nom de Weyland. »

Le serveur l'a accompagnée jusqu'à une porte de salle privée.

« C'est ici, Madame. »

« Merci. »

Jeanne l'a remercié d'une voix douce.

En réalité, elle ne savait même pas pourquoi elle était venue. Chez elle, la colère et la douleur l'avaient poussée à sortir. Mais maintenant qu'elle se trouvait devant la porte, elle n'avait plus le courage d'entrer.

De l'autre côté, des voix animées retentissaient.

« Ce soir, je ne peux pas rentrer trop tard et je ne bois pas. Hier j'ai trop bu : ma femme m'a fait passer un sale quart d'heure. »

C'était l'un des amis proches de Clément.

« Mec, t'es toujours le même ou quoi ? Avant, tu disais que j'étais ta petite priorité, même si le Président débarquait ! Et maintenant, tu te fais mener par le bout du nez ? Heureusement que Clem, lui, reste un vrai pote. »

C'était Claire, sa voix douce et mielleuse.

Alors, Claire était ce genre de fille.

Et Clément aimait ce genre de douceur-là.

Quel dommage.

Jeanne ne l'avait jamais été.

Et même en jouant un rôle, elle n'aurait jamais pu l'être.

À l'intérieur, l'un des amis de Clément a repris, hilare :

« Hé, avec Clem c'est pas pareil ! Vous savez très bien que Jeanne n'oserait jamais lui répondre. »

« Ah au fait... »

La voix de Claire s'est élevée.

« C'est vrai ce qu'on m'a dit ? Que ta femme est boiteuse ? Pourquoi ? »

Personne n'a répondu à Claire.

Mais le cœur de Jeanne s'est serré d'un coup.

Les garçons se sont mis à parler entre eux, sans la moindre gêne.

« Sérieux, Clem, on comprend pas. Toi, t'as tout : l'argent, la gueule, la classe. Tu aurais pu choisir n'importe qui. Pourquoi avoir épousé une femme qui boite ? »

« Et franchement, Clem, t'es le meilleur d'entre nous. Avec une femme pareille, tu fais comment dans les réunions, les dîners, les conférences de presse ? Tous ces endroits où l'on attend une épouse à ton bras, tu ne pourras jamais la présenter. Tu trouves pas que tu y perds un peu, là ? »

Alors c'était ça...

Voilà pourquoi il lui disait toujours de ne pas s'en mêler, de rester à la maison, de ne pas se montrer.

Ses parents à elle n'arrêtaient pas de dire que Clément était un homme extraordinaire, qu'elle avait vraiment de la chance de l'avoir épousé...

Mais en réalité, c'était simplement parce qu'il pensait qu'elle ne valait pas la peine d'être présentée au monde.

Dans la salle, Clément a laissé échapper un rire amer :

« Elle m'a sauvé la vie. Je lui dois quelque chose. »

« Tu lui dois quoi ? Tu lui as déjà donné un paquet d'argent, ça suffit largement ! »

« Exactement ! T'aurais dû faire ça dès le début : payer, dire merci, et ça suffit ! Pas sacrifier ta vie entière ! »

« Franchement, Clem, même une plante verte serait plus utile à la maison, au moins, ça fait joli. Elle, elle te sert à quoi ? »

« Voilà ! Elle peut rien t'aider, même te servir un verre, tu dois flipper qu'elle le renverse. Clem, ta femme elle te donne l'eau, comme ça ? Comme ça ? C'est ça ? Hein ? Comme ça ? »

Les rires avaient explosé derrière la porte, gras, méchants, sans pitié.

Au milieu des voix, celle de Claire s'est mêlée aux autres, aiguë, presque hystérique :

« Sérieusement, Clem ? Ta femme marche vraiment comme ça ? »

Collée contre la porte, Jeanne a senti tout son sang monter d'un coup à la tête.

La honte. La colère.

Tout s'est mélangé, au point où ses jambes ont vacillé.

La porte du salon privé s'est ouverte sous la pression de son épaule.

À l'intérieur, c'était un chaos de rires.

L'un des amis de Clem, un certain Arnaud, tenait un verre d'eau à la main et imitait une démarche boiteuse, de façon grotesque.

Il traînait une jambe, exagérait chaque pas, et prenait une voix aiguë et ridicule :

« Clem, Clem, tu veux de l'eau ? Clem, aaaaah— je tombe ! Clem, rattrape-moi ! »

Jeanne a regardé droit vers Clément. Elle attendait, espérait encore que son mari, l'homme qu'elle aimait plus que tout, réagirait enfin.

Qu'il dirait un mot.

Qu'il ferait quelque chose.
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