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Chapitre 6

Author: Petit Koï
« Clément... » Sa voix s'est brisée malgré elle.

« Hein ? Jeanne ? »

Il a pris sa main entre les siennes.

« Qu'est-ce qu'il y a ? Tu veux pleurer ? Pleure si tu en as besoin, ne te retiens pas. »

Sa voix était d'une douceur... une douceur presque irréelle.

La même que ce jour où elle était sortie du bloc opératoire, il l'avait accompagnée jusqu'à sa chambre avec l'infirmière, veillant à son chevet, et lui murmurant, comme une caresse :

« Jeanne, ça fait mal ? Si ça fait trop mal, pleure, ne te retiens pas. »

À l'époque, elle croyait que cette tendresse-là était un baume, un antidouleur. Il lui avait fallu des années pour comprendre que la douceur d'un homme, sa compassion, ne se transformaient jamais en amour.

Jamais.

« Clément, je veux divorcer. »

Elle l'a dit d'une voix basse, en retirant sa main. Le picotement lui a brouillé les yeux.

Il a froncé les sourcils. Il ne s'attendait clairement pas à ça.

Un bref silence est tombé entre eux. Puis Clément a fait signe au serveur d'apporter une carafe d'eau.

Il a rempli lentement le verre posé devant lui, comme s'il voulait se donner une contenance.

Puis, d'une voix douce, il a soufflé :

« Jeanne, je sais que tu es encore énervée, mais parler de divorce, ce n'est pas raisonnable. Si tu divorces, tu vas faire quoi ? Comment tu vas vivre toute seule ? »

La respiration de Jeanne s'est emballée. Depuis cinq ans, aux yeux de tout le monde, elle n'était que son ombre. Sans lui, elle n'était rien.

Et, pire encore, lui aussi pensait la même chose.

« Je peux très bien y arriver ! »

Pour la première fois, elle a relevé la tête devant lui, pour la première fois, elle essayait de défendre sa propre valeur.

Mais Clément s'est contenté d'esquisser un sourire, un sourire qui lui disait qu'elle ne comprenait rien.

Il a poussé doucement le verre vers elle, comme si elle était un enfant qu'on devait calmer.

« Bois un peu. Je veux bien que tu sois fâchée encore un moment, mais après le repas, on passe à autre chose. »

« Je ne suis pas fâchée. Je veux vraiment divorcer ! »

Elle ne trouvait même plus les mots pour lui faire comprendre que ce n'était pas un caprice.

« Jeanne. »

Il a pris une longue inspiration.

« Écoute, j'ai annulé deux réunions et un rendez-vous d'affaires juste pour être avec toi aujourd'hui. Demain et après-demain, je n'aurai peut-être plus autant de temps. Je vais te le redire une fois : Clio est l'amie de tout le groupe. Pour moi, elle vaut autant qu'Arnaud ou les autres. Je la traite comme je traite mes potes, ni plus ni moins. Et elle t'aime bien, elle a toujours voulu être proche de toi.

Avec cette attitude, je fais comment, moi, pour vous mettre en face à face ? »

« Tu n'as pas besoin de le faire. »

Jeanne n'a jamais cru une seconde que Claire voulait vraiment être son amie.

« Jeanne ! »

La voix de Clément a monté d'un cran. Elle le savait bien, dès qu'il s'agissait de Claire, il n'était plus aussi patient.

À ce moment-là, les plats sont arrivés.

Clément avait commandé pour deux, il a fait glisser doucement une assiette jusqu'à Jeanne.

« Mange un peu. Après, on ira faire un tour au centre commercial. On achètera ce que tu veux. Et ce soir, on passe chez tes parents. Ça fait combien de temps que tu n'es pas allée les voir ? »

Jeanne, elle, refusait désormais de se faire du mal.

Elle a pris ses couverts. Quoi qu'il arrive, elle devait au moins bien manger. Ce n'était pas son estomac qui devait payer pour tout ça.

« Voilà. »

La voix de Clément s'est faite douce à nouveau.

« Et ces histoires de divorce, n'en parle plus jamais. »

Elle a marqué une courte pause, puis a baissé la tête et a repris quelques bouchées en silence.

Après le repas, elle n'avait aucune envie de marcher dans les magasins. Mais Clément avait insisté. Il l'a emmenée directement en voiture jusqu'au centre commercial.

En cinq ans de mariage, il ne l'avait presque jamais accompagnée dans les magasins. Et s'ils sortaient ensemble en public, c'était encore plus exceptionnel.

La lumière du centre commercial, même en plein jour, était éblouissante.

Jeanne n'y était pas habituée.

Elle a serré son sac contre elle et a marché prudemment dans l'ombre de Clément.

Le rez-de-chaussée regroupait les stands de maroquinerie de luxe, de montres et de bijoux.

« Tu veux regarder quelque chose ? » a demandé Clément en se tournant vers elle.

Elle, elle ne voulait rien acheter. Elle voulait juste rentrer chez elle.

Mais elle n'avait même pas ouvert la bouche qu'une voix, au loin, a appelé :

« Monsieur Weyland ! »

Clément s'est retourné.

« C'est un nouveau partenaire. Je vais aller le saluer. »

Puis, avant de s'éloigner :

« Promène-toi un peu, d'accord ? Je te retrouve après. »

Les clients de Clément, elle ne les connaissait jamais. Elle l'a regardé serrer la main d'un homme un peu plus loin, puis elle est restée immobile.

Avec toute cette richesse autour d'elle, elle n'avait envie de rien.

« Madame, c'est à vous. »

La vendeuse venait de lui parler.

Jeanne a baissé les yeux : elle s'était retrouvée sans le vouloir dans la file d'attente d'une boutique de luxe.

« Ah... non, merci. » a-t-elle répondu, avant de s'écarter aussitôt.

Elle a marché sans but à travers les galeries lumineuses.

Puis, au détour d'un comptoir de montres de marque, elle a aperçu une silhouette qu'elle connaissait trop bien : Claire.

Son regard s'est accroché au logo du comptoir, et quelque chose en elle est tombé d'un coup, lourdement. Comme tirée par un fil invisible, elle s'est avancée vers le stand.

Claire n'était pas seule. Arnaud se tenait à ses côtés.

Et plus elle s'en approchait, plus leurs voix devenaient claires.

« Si ça te plaît, prends-la. »

C'était la voix d'Arnaud.

Claire a répondu tout de suite :

« Oh non, ça ne se fait pas. Elle est vraiment trop chère. Même si Clément m'a donné sa carte secondaire en me disant d'en profiter, je n'ose pas acheter quelque chose d'aussi cher... »

Jeanne s'est arrêtée net. Impossible de faire un pas de plus. Une lourdeur soudaine lui a envahi la poitrine.

Sa carte secondaire.

La carte secondaire de Clément.

Arnaud a poursuivi :

« S'il te l'a donnée, c'est pour t'en servir. Depuis quand Clément dit une chose et pense l'inverse ? On se connaît depuis des années. Tu sais bien comment il est. S'il te l'a donnée, c'est qu'il le pensait vraiment. »

« C'est vrai... »

Claire a levé le poignet, faisant tourner la montre sous tous les angles pour la montrer à Arnaud.

Jeanne l'a vue, elle aussi.

« Elle est belle, non ? Arnaud ? Je l'adore, vraiment. Déjà à la fac, j'adorais ce modèle. À l'époque, Clément m'avait promis de me l'offrir pour mon diplôme. Et après... »

Après ?

Jeanne a senti un sourire amer lui traverser le cœur.

Après, oui.

Chaque année, pour son anniversaire ou pour leur anniversaire de mariage, Clément lui offrait exactement la même montre.

Elle avait toujours cru qu'il manquait d'attention.

Elle croyait que, même s'il n'y mettait pas d'amour, au moins il se souvenait des dates. Au moins il faisait un effort.

Mais non.

Clément n'était pas inattentif. Il n'était pas distrait.

Au contraire. Il était très attentif. Beaucoup trop attentif.

Seulement ce qu'il gardait en tête, ce qu'il portait dans son cœur, ça n'avait jamais été elle.

« Alors là, Clem tient enfin sa promesse. Tu veux cette montre ? Tu peux l'acheter, peu importe le prix. Tout ce que tu aimes, il peut te l'offrir », a insisté Arnaud.

« Alors, je la prends ? »

Claire est visiblement tentée.

Un peu plus loin, Clément venait de terminer sa conversation avec son partenaire. L'homme expliquait qu'il passait prendre sa femme au centre commercial, et en apprenant que Clément accompagnait lui aussi sa femme, il avait proposé d'aller la saluer.

Jeanne, voyant Clément s'avancer dans sa direction, a aussitôt reculé derrière une colonne en marbre pour se cacher.

Claire, elle, avait déjà repéré Clément. Elle a levé le bras en criant :

« Clem ! Je suis là ! Viens ! »

Depuis sa cachette, Jeanne a vu Clément et son partenaire changer de direction et se diriger droit vers Claire.

Claire a aussitôt attrapé le bras de Clément et s'est mise à le secouer comme une enfant gâtée.

« Clem, je veux cette montre, tu es d'accord ? »

« Bien sûr. »

Le regard de Clément s'est adouci d'un coup, brillant d'une tendresse que Jeanne n'avait jamais vue pour elle.

Ce sourire, cette lumière dans ses yeux, tout son visage semblait revivre. Rien à voir avec la froideur qu'il affichait toujours à la maison.

« Merci, Clem ! Je vais aller payer alors ! »

Claire a agité la carte secondaire qu'il lui avait donnée, fière comme tout.

Le partenaire, témoin de la scène, a éclaté de rire :

« Monsieur Weyland et Madame Weyland, quel couple aimant, c'est beau à voir. »

Monsieur Weyland ? Madame Weyland ?

Clément et Claire ont tous les deux sursauté, mais aucun des deux n'a corrigé.
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