Alors, les créatures surnaturelles existent vraiment? Alatar existe vraiment? Ce ne sont pas que des chimères? Je peine à y croire. Je ne veux pas y croire, car tout ceci signifierait que ma vie va réellement changer. Tout cela voudrait dire que je n’ai pas ma place ici et que de grands dangers m’attendent dans ce monde où je suis supposément née. Et le problème, c’est que je refuse d’aller à Alatar.—Allez-vous vraiment me ramener à mon père? demandé-je avec suspicion. Et si votre but était en réalité de me livrer à Barral contre une belle récompense?Les hommes rient encore. Je me sens humiliée, une fois de plus. Mes mains viennent enserrer mes hanches et mes yeux dorés toisent les trois imbéciles avec sévérité.—Ma chère demoiselle, dit celui qui m’a menacée, dans ce cas, vous seriez ligotée et nous serions déjà partis pour Alatar si nous voulions vous livrer à Barral.—Donc, vous voulez vraiment m’emmener à
La lune ronde brille au-dessus de nos têtes et illumine le chemin de terre que nous empruntons. C’est la première fois que je quitte mon village et dans d’autres circonstances, j’aurais cherché à m’imprégner de tout ce qui m’entoure. Mais ce soir, je n’ai pas le cœur à me réjouir de partir à l’aventure. Le corps courbaturé, je rêve de descendre de cheval et de m’étirer afin de faire refluer le sang dans mes jambes engourdies. Mon dos me fait atrocement souffrir à force de me tenir droite comme un piquet. Je réfléchis à la façon dont je pourrais demander à mon geôlier–c’est ainsi que je le vois–de s’arrêter, ne serait-ce que quelques minutes.—Even? appelé-je d’une toute petite voix.—Oui?Quel ton froid! L’affaire ne va pas être aussi simple à conclure que prévu. J’use de ma voix la plus douce et de mon ton le plus craintif:—Pourrions-nous…—Non!—Vous ne me la
À mon réveil, je suis persuadée d’être chez moi, à la ferme. Je m’attends à ce que mes parents me sortent du lit afin de leur offrir mon aide. Un sourire naît sur mes lèvres. Cette histoire de sorcière n’était qu’un cauchemar. Mais pourquoi mon lit tangue-t-il, dans ce cas? Brusquement, je réalise que les dernières heures n’étaient pas un rêve. J’ai quitté Belle-Rose! Affolée, je me lève d’un bond et le regrette en sentant le sol se dérober sous mes pieds. Une main sur mon front, je me rassieds lourdement sur la couchette.—Tu es enfin réveillée, mon enfant?La douce voix d’Elena me fait ouvrir les yeux.—Combien de temps ai-je dormi? demandé-je, en bâillant.—Toute la journée. Il fait déjà nuit. Tu as raté le déjeuner, mais je n’ai pas voulu te réveiller.J’écarquille les yeux.—Tu étais très fatiguée, ajoute-t-elle. Ces deux derniers jours ont été éprouvants pour toi. J’ai senti ton énergie faib
Assise sur un baril de poudre, ma tête dodeline au rythme des notes égrenées par le violon. Mes pieds battent la mesure tandis qu’un air d’harmonica accompagne les chants qui s’élèvent dans le ciel noir constellé d’étoiles. Les marins chantent et dansent en cadence et je ne peux m’empêcher de sourire malgré la lourdeur pesant sur mon cœur. Assise à côté de moi, Elena tape des mains en riant telle une petite fille. Sa joie clairement perceptible me prend au corps et je relâche enfin mes épaules endolories par les tensions.—Princesse, permettez-moi de me présenter, je me nomme Audran. M’accorderiez-vous cette danse?Un jeune homme vêtu d’une chemise autrefois blanche et d’un gilet vert abîmé me tend des mains marquées par le labeur. Son visage d’une couleur de bronze après des mois passés sous un soleil de plomb est avenant. Son regard bleu rieur et son sourire auquel il manque une dent me font saisir ses mains sans la moindre hésitation.—Je ne sa
Encore la même forêt sombre que la veille. Encore une femme qui me tourne le dos. Mais cette fois, la sorcière se tient la tête entre les mains, son corps secoué de sanglots. Je reste immobile, sous l’effet de l’angoisse qui gagne mes membres un par un. Devrais-je aller voir cette femme? Et si elle était un monstre qui cherche à me tuer? De toute façon, il ne s’agit que d’un songe, me dis-je pour me donner du courage. Et puis, je ne peux pas rester là éternellement à attendre que le monstre se tourne vers moi. Je ne risque rien, ce n’est qu’un rêve, affreux certes, mais un rêve tout de même. Quelque peu apaisée, je suis sur le point de faire un pas mais me rends compte que mes pieds sont cloués au sol! Je tente à plusieurs reprises de remuer mes membres, mais rien n’y fait. Je suis comme un esprit enfermé dans une poupée de cire: consciente de ce qui m’entoure sans pour autant pouvoir intervenir. Mon appréhension se mue en panique lorsque je vois surgir
Nous sommes repartis avant le lever du soleil, comme nous l’avions promis au couple de fermiers. Odette nous a préparé un panier bien garni et nous avons repris la route. Even m’a fait passer derrière lui, cette fois, contrairement à ses habitudes, et je ne sais quoi en penser. Depuis ce matin, il est distant et froid. Oh, il n’a jamais vraiment été très bavard ni chaleureux, mais j’espérais qu’après notre baiser magique, il se montrerait au moins amical, à défaut de plus. Or, depuis notre réveil, il m’a à peine adressé la parole.—Nous y sommes, chuchote Alyr en soupirant de soulagement.Les montures s’arrêtent devant une montagne dont le pic semble toucher les nuages blancs. Elle ressemble à un amas de rochers secs qui dégagent une aura aussi lugubre que la mort. Je frissonne, terrifiée, alors que des images de cette même montagne, mais couverte de fleurs multicolores, prennent vie devant mes yeux. Un souvenir. Un souvenir d’un temps heureux et paisible. J’imagine
Nous galopons maintenant depuis des heures quand soudain, les chevaux ralentissent lorsque le chemin de terre laisse place à des dalles de pierres grises.—Que se passe-t-il? murmuré-je à l’oreille d’Even.—Cet endroit est dangereux, nous devons rester sur nos gardes.La forêt qui borde la petite route me semble lugubre dans la pénombre du crépuscule. Nous poursuivons au pas, comme si nous devions éviter de faire trop de bruit. Je vois bien que les hommes sont anxieux. Ils ne cessent de regarder autour d’eux, craignant probablement que des ennemis soient cachés derrière les arbres. Serait-ce possible? Je me surprends à les imiter, examinant les environs avec suspicion. Pourtant, je n’ai pas peur. Étrangement, mes sentiments sont partagés. Je ressens une espèce d’euphorie mâtinée d’une tristesse poignante. Heureuse d’emprunter ce chemin tout en ne souhaitant pas découvrir ce qui se trouve au bout. Serais-je déjà venue ici dans des temps ancie
Nous partons aux premières lueurs de l’aube. Even m’a demandé de monter devant lui afin que ses bras m’entourent et me protègent durant la traversée du territoire des nymphes. Je ne proteste pas pour une fois. Je demande aux hommes s’il est possible de contourner cette zone, mais Even me répond que cette forêt est enclavée par des montagnes escarpées et occupées par les monstres de Barral, puis que le seul détour possible serait de contourner ces dernières. Mais cela prendrait quatre jours de plus et le sort jeté par la Recousue prend fin à minuit et sept minutes.Galdor s’immobilise devant une arche de pierres blanches aux colonnes entourées de fleurs. Il sort son épée, aussitôt imité par Alyr. Even chuchote à mon oreille que nous entrons sur le territoire des nymphes. Il me désigne l’inscription gravée en haut de l’arche.«Prends garde à toi qui t’aventures sur nos terres. Écoute le chant des sirènes et la mort t’accueillera à bras ouverts.»Je frémis