Se connecterJe me réveille en sursaut. Mon cœur bat plus vite que nécessaire. Une lumière pâle filtre à travers les rideaux, signe qu’il fait encore tôt, mais le jour est déjà levé.
Cette fois, je n’ai pas mal.
Ou du moins, la douleur s’est transformée en une présence sourde, supportable. Mon corps n’est plus cette masse brisée qu’il était la veille. Mes muscles sont lourds, mais ils répondent. Et dans ma poitrine, quelque chose a changé. Pas de la confiance. Pas encore. Mais une sorte de lucidité. Une urgence.
Je ne peux pas rester ici.
Je me redresse dans le lit, doucement, à l’écoute du silence. Le bois craque à peine sous mes mouvements. Je pose les pieds au sol, enfile les vêtements que Kaël m’a laissés la veille et m’approche de la fenêtre.
La forêt. Immense. Dense. Vivante. Le même endroit qui m’a avalée. Mais ce matin, au lieu d’y voir une menace, j’y vois une sortie. Une possibilité.
Je ne sais pas ce qu’ils attendent de moi. Je ne comprends rien à ce qu’est un « loup-garou ». Ce mot, je l’ai entendu, je l’ai deviné dans leurs regards, dans cette tension animale que certains d’entre eux dégagent. Et puis ce lien étrange avec Kaël. Ce mot, mate, qu’il a prononcé. Comme une évidence.
Mais moi, je n’ai rien demandé. Je veux une vie normale. Simple. Pas des crocs, des meutes ou des instincts. Je veux du silence. De la paix.
Et surtout, je ne veux pas appartenir à qui que ce soit.
Je me lève, déterminée à trouver une sortie. Mais avant de me risquer dehors, je dois d’abord comprendre la configuration du lieu. Repérer une porte, une issue. Peut-être même de la nourriture, de quoi reprendre des forces avant de partir.
En descendant les marches, je découvre un long couloir, puis un espace ouvert. Une grande pièce inondée de lumière : la cuisine. Spacieuse, rustique, aux murs de pierre claire et aux poutres massives. Sur le comptoir, un panier de fruits, du pain, des bocaux. L’odeur du café flotte dans l’air.
Et autour de la grande table, trois hommes.
Le premier, je le reconnais tout de suite. Kaël. Assis, une tasse entre les mains, le dos droit, les yeux rivés sur la porte comme s’il m’attendait. Ou m’avait senti arriver.
Le deuxième, je le reconnais encore plus vite.
Tharen.
Mon estomac se serre.
Il est là. Vêtu d’un simple t-shirt noir, une bande blanche enroulée autour de son bras. Son visage est marqué d’un hématome sur la tempe. Un coin de sa lèvre est ouvert.
Je m’arrête net. Mon souffle devient plus court.
Et le troisième... inconnu. Blond, une barbe fine, des yeux rieurs. Il porte un pull trop grand et un sourire facile.
- Bonjour, fait ce dernier en se levant aussitôt. Alors, c’est toi la fameuse rescapée ? On dirait que t’as survécu au monstre ici présent, dit-il en désignant Kaël du menton avec un clin d’œil.
Je reste muette. Mes yeux vont de Tharen à Kaël, puis au blond, qui continue :
- Moi, c’est Ewan. Et toi, c’est comment ? Je suppose que t’es la nouvelle petite amie de notre Alpha ?
Je cligne des yeux, déstabilisée. Ce ton léger, presque moqueur, me dérange autant qu’il me rassure.
Je m’apprête à répondre un « non » sec quand Kaël se lève, brusquement.
En trois pas, il est devant moi.
- Elle m’appartient, dit-il d’une voix calme, mais dure. Ce n’est pas une conquête. C’est ma mate.
Ses bras se referment autour de mes épaules.
Mon souffle se bloque.
Je ne sais pas quoi dire. J’ai envie de le repousser. Et en même temps… son contact me stabilise. Me protège. Contre quoi ? Je n’en suis pas certaine.
Tharen, de son côté, baisse les yeux, mais je sens sa mâchoire se crisper.
Un silence tendu s’installe.
Ewan, un peu pris au dépourvu, lève les mains en signe d’apaisement.
- D’accord, d’accord. Pas touche. Message reçu.
Kaël se tourne vers lui, sans me lâcher.
- Tu es mon ami, Ewan. Je te le rappelle parce que j’espère que tu tiens à le rester.
Il n’a pas levé la voix, mais le message est clair.
Je reste figée dans ses bras, paralysée par un mélange d’émotions. J’ai envie de hurler que je ne suis pas un objet. Qu’on ne m’appartient pas. Mais mon corps, lui, tremble. À cause de Tharen. À cause de son regard. Pas menaçant. Mais humilié. Rancunier. Et surtout… blessé.
Je remarque enfin la profondeur de ses plaies. Son bras gauche semble mal en point. Une ecchymose marque son cou.
Je murmure, sans réfléchir :
- C’est vous qui lui avez fait ça ?
Kaël reste silencieux quelques secondes. Puis :
- Il a dépassé les bornes.
Je comprends. Il a été puni.
Pour moi.
Mon cœur bat plus fort. Je ne sais pas si c’est de la gratitude ou de la peur. Je recule d’un pas, assez pour m’extirper de son étreinte.
- J’ai juste faim, dis-je, sans croiser leurs regards.
Kaël acquiesce. Il s’écarte, tend le bras vers la table.
- Assieds-toi. Tu es libre.
Libre ? Ce mot sonne bizarrement dans cette pièce où chacun semble peser chacun de mes gestes.
Je m’assois en silence, sans toucher aux fruits. Ewan me sourit à nouveau, plus timidement. Tharen ne dit rien. Il garde les yeux baissés, les poings fermés.
Et Kaël, debout derrière moi, veille. Immobile. Mais tendu.
Comme si j’allais encore m’enfuir.
Et peut-être que c’est exactement ce que j’ai l’intention de faire.
Il a commencé par froncer les sourcils.Nuit Claire était assis sur la peau près du feu, ses pieds nus bien à plat, les doigts occupés à tordre une lanière de cuir. Il ne parlait pas encore beaucoup, ses phrases tenaient en deux ou trois mots, mais son regard, lui, en disait des pages. Ce matin-là, Talan et Faël discutaient près de la porte à propos d’un piège mal refermé. Le ton restait poli, les mots choisis, pourtant l’air s’épaississait à chaque échange.Mon fils s’est figé. Ses mains se sont immobilisées sur la lanière. Sa petite poitrine s’est mise à battre trop vite, comme si on lui serrait les côtes. Il a tourné la tête vers les deux guerriers, et ses yeux d’argent ont accroché leurs silhouettes. Puis il a poussé un son étrange, ni rire ni sanglot, un gémissement contrarié, et il a ramené brusquement les genoux contre lui.Avant même que j’ouvre la bouche, Faël a lâché :- Laisse tomber. On verra ça plus tard.Talan a marmonné une réponse, mais ses épaules se sont relâchées. L
Les jours suivants ont eu la lenteur des neiges qui ne fondent pas. Je remplissais ma part : nourrir Nuit Claire, répondre aux anciens, vérifier le couloir des humains, sourire quand il le fallait. Dès que les tâches le permettaient, je me repliais dans l’angle sombre de la Maison, là où la lumière glisse sur les planches sans vraiment les atteindre. Mon fils contre moi, une tisane oubliée à portée de main, j’écoutais le silence comme on écoute un vieil ennemi.Kaël acceptait ce retrait avec une patience qui me blessait presque. Il tournait autour comme un loup qui respecte un cercle de braises. Sa main entrait parfois dans mon champ : un bol de soupe posé près de moi, un manteau sur mes épaules, un contact bref au passage de ses doigts sur ma nuque. D’autres soirs, lorsqu’il me croyait endormie, je le sentais s’adosser au pied du lit, simple masse de chaleur veillant sur moi. Mon corps le réclamait, ma peau se tendait vers lui dès qu’il approchait, mais mes pensées avaient besoin de
Je lui ai demandé de rentrer avant même que le soleil ne touche la crête.Pas un ordre. Pas même une supplication. Un appel nu, sans parure, lâché dans le lien comme on jette une corde vers un rocher lointain.Kaël. Rentre.La marque s’est mise à vibrer contre ma nuque, longue pulsation lourde, puis un choc bref, comme son cœur qui bute. Il ne m’a pas demandé pourquoi. Il n’a pas répondu avec des mots. Je n’ai senti que le basculement de sa décision : détente, rupture, demi-tour. Les jeunes Alphas resteraient une demi-journée de plus sans lui. Moi, je ne resterais pas une nuit de plus sans sa peau.Nuit Claire dormait enfin, luisant de sueur douce, lové dans le creux des bras d’Arna. Elle avait renversé la couverture sur son ventre, tiré la chaise près du feu, décidé pour moi.- File te laver la figure, avait-elle dit au milieu de la nuit. Quand il reviendra, tu veux qu’il voie les dégâts ou la femme qui se tient encore debout ?Je n’avais pas répondu. J’avais plongé les mains dans l’
La nuit s’était installée sans que je m’en rende compte. Le feu ne donnait plus qu’une lumière basse, rassemblée dans les braises, et tout le reste de la chambre baignait dans ce flou orangé qui rend les angles moins nets et les pensées plus vives. Nuit Claire dormait contre ma poitrine, bouche entrouverte sur mon sein, respiration rapide, régulière. Chaque souffle me réchauffait la peau. Mon corps réclamait le lit, mon esprit restait accroché au vide laissé par Kaël.Il avait parlé d’un retour avant la lune. Elle brillait déjà haut derrière la fenêtre. La marque à ma nuque vibrait faiblement : vivant, loin, absorbé par ses jeunes Alphas. Par le lien, je percevais sa fatigue, ses muscles lourds, la concentration obstinée d’un chef qui réapprend la guerre pour qu’elle dévore moins. Nulle place pour moi dans ces sensations-là, pourtant mon désir glissait jusqu’à lui, en filigrane.Son odeur restait partout. Dans les draps encore froissés par notre dernière nuit, sur la chemise abandonné
- Tu reviens quand ?La question m’a échappé plus sèche que prévu. Je tenais la bride d’un jeune cheval nerveux pendant que Kaël ajustait sa ceinture de cuir. Le ciel tirait sur le blanc, promesse de neige tardive. Derrière lui, dix jeunes Alphas s’agitaient, excités à l’idée de partir au camp d’entraînement.- Trois jours, peut-être quatre, répondit-il. Ils ont besoin de temps pour comprendre.- Comprendre quoi ?Il leva enfin les yeux vers moi. L’ambre y brûlait, sérieux.- Qu’on peut apprendre à frapper sans nourrir la haine. Qu’un chef qui marche avec du poison dans la gorge finit toujours par s’étouffer.J’ai soufflé par le nez.- Et moi, je fais quoi pendant qu’ils apprennent à respirer propre ?Je regrettai aussitôt. La phrase avait le goût d’un reproche d’ado, et j’avais sur le ventre la marque d’une maternité récente, sur la nuque celle d’un lien sacré, dans les mains la responsabilité d’un village. Pourtant, les mots étaient sortis.Le coin de sa bouche tressaillit. Il se ra
Je n’arrive pas à tenir mes mains tranquilles. Elles lissent ma tunique sombre, remontent la lanière de cuir sous ma poitrine, reviennent à la tresse. Le miroir poli me renvoie une étrangère familière : fils d’argent dans les cheveux, morsure de Kaël à la gorge, cernes tenaces. Dans le berceau de voyage, Nuit Claire bâille, bras en croix.- Ne fais pas cette tête, murmuré-je. C’est toi qu’ils veulent célébrer, pas moi.Une chaleur s’installe contre mon dos. Les doigts de Kaël glissent sur mes hanches, remontent jusqu’à la nuque. Sa paume couvre la marque, la fait pulser.- Erreur, souffle-t-il à mon oreille. Aujourd’hui, c’est toi.Je croise son regard dans le miroir. L’ambre y brûle, fier, un peu inquiet.- Ils m’accrochent un titre, rétorqué-je. J’aurais préféré qu’on m’apporte une liste de choses à réparer.Ses pouces dessinent un cercle au-dessus de la morsure. Mon ventre réagit avant ma tête.- Tu as déjà montré ce que tu fais quand le monde se fissure, dit-il. Laisse-les seuleme







