เข้าสู่ระบบ- Tu devrais manger quelque chose.
La voix de Kaël est douce, presque hésitante. Il est appuyé contre le chambranle de la porte, les bras croisés, une ombre d’inquiétude dans le regard. Moi, je suis assise devant une assiette presque intacte, le regard perdu dans les nervures du bois de la table.
Les deux hommes sont partis. Ewan a lancé une blague de trop, Tharen est reparti sans un mot. Reste Kaël. Toujours là. Toujours... attentif.
Je hoche la tête pour lui faire croire que j’ai entendu. Je prends une bouchée du pain grillé tiède qu’il m’a préparé. Il n’a pas l’air du genre à cuisiner, mais il a fait un effort. Je le vois dans les détails : la confiture dans une soucoupe, l’eau citronnée, le couteau propre à côté.
Mais mon estomac se serre.
Je tourne légèrement pour attraper la cuillère posée plus loin. Mon bras tire un peu sur ma hanche. Une douleur vive me coupe le souffle. Mon coude heurte l’assiette. Un frisson de panique me traverse.
Trop tard.
L’assiette se renverse dans un fracas aigu. Le contenu s’écrase au sol, les morceaux de porcelaine éclatent comme des éclairs blancs sur le parquet.
Je me fige.
Un frisson remonte ma colonne. Mes yeux s’écarquillent.
Et sans que je puisse le contrôler, un mot m’échappe :
- Putain...!
Je suis déjà à genoux. Mes mains tremblantes se tendent pour ramasser les éclats.
J’entends Kaël derrière moi.
- Ce n’est pas grave, Élina, ce n’est rien.
Mais il ne comprend pas. Il ne peut pas.
Ce n’est pas pour l’assiette. Ce n’est jamais pour l’assiette.
C’est pour ce que ça déclenche.
Le bruit. Le sol. L’odeur du pain renversé. Le froid des tessons sous mes doigts. Et cette sensation que je vais être frappée. Encore.
Je revois les mains dures de mon beau-père. Le bol de soupe que j’ai renversé, une fois, en lavant la table trop vite. Le coup derrière la tête. Le « t’es qu’un fardeau ». Je revois la peur dans les yeux de ma mère, ses bras qui ne m’ont jamais retenue, son silence lourd comme une trahison.
Les larmes montent, rapides, incontrôlables.
- Élina, laisse. Ne touche pas, tu vas te couper.
Je ne l’écoute pas. Je ramasse encore. J’ai besoin de faire ça. De réparer. C’est comme une obsession. Ne pas laisser de traces. Ne pas faire de bruit. Ne pas déranger.
Et puis, ses mains se referment doucement sur les miennes.
- Regarde-moi.
Je refuse. Je serre les dents, honteuse, furieuse de pleurer devant lui. De me montrer aussi faible.
- Élina, s’il te plaît.
Il est agenouillé à mes côtés. Sa voix n’a rien d’un ordre. C’est une supplique.
Je finis par relever les yeux. Mon regard croise le sien. Et là, je vois qu’il a compris. Pas les détails. Mais il a compris que quelque chose en moi s’est brisé bien avant cette forêt.
Sans un mot de plus, il se lève, m’aide à me redresser et m’accompagne à l’étage.
Nous ne croisons personne.
Je suis trop fatiguée pour parler et lui semble respecter ce silence. Il me guide jusqu’à une pièce lumineuse, douce, où une jeune fille, assise près d’une armoire ouverte, lève la tête à notre arrivée.
- Voici ma sœur, dit-il. Elle s’appelle Maëna.
La jeune fille me sourit. Elle a les mêmes yeux que lui, en plus clairs et une douceur dans les gestes qui apaise immédiatement.
- Salut, moi c’est Maëna. Tu veux bien entrer ?
Je hoche la tête, timidement.
Kaël me regarde encore une fois, comme pour s’assurer que je suis prête à rester seule.
Je lui réponds par un signe de tête.
Il s’éloigne sans un mot, mais je sens son hésitation à la porte.
Maëna tapote le lit à côté d’elle.
- Viens. Assieds-toi. J’ai sorti quelques affaires, je pense qu’on doit faire quelque chose pour te changer un peu les idées... et les vêtements.
Je souris faiblement.
Elle me tend une robe bleu pâle, simple mais élégante, accompagnée d’un gilet et d’une paire de chaussettes épaisses.
- C’est à moi, mais je crois qu’on fait à peu près la même taille. Et puis, c’est pas comme si t’avais eu le temps de faire ta valise.
Son humour est discret, gentil. Pas moqueur.
Je m’assois sur le lit.
Elle s’installe à côté de moi, en tailleur, les bras posés sur ses genoux.
- Tu veux qu’on parle ? Ou tu préfères juste qu’on reste là sans rien dire ?
Je la regarde. Son visage est sincère. Je ne sens ni curiosité malsaine, ni pitié.
- Je... je sais pas, soufflé-je.
Elle sourit.
- Alors je pose une seule question. Tu réponds si tu veux.
J’acquiesce.
- Toi et mon frère... C’est quoi, au juste ?
Je baisse les yeux.
Ce mot encore. Mate. Cette idée absurde. Ce lien imposé par un monde que je ne connais pas. Et en même temps... il m’a portée. Il m’a protégée. Il m’a vue. Vraiment vue.
Mais je ne sais pas ce que ça veut dire.
- Je... je n’en sais rien.
Maëna ne réagit pas tout de suite. Puis elle pose sa main sur la mienne.
- Alors prends ton temps. Personne ne va te forcer.
Je retiens un souffle. Un soupir. Peut-être une larme. Dans ce monde inconnu, il y a au moins une chose que je comprends : la bienveillance ne fait pas de bruit. Elle s’exprime dans des gestes simples.
Et en ce moment, j’en ai désespérément besoin.
Il a commencé par froncer les sourcils.Nuit Claire était assis sur la peau près du feu, ses pieds nus bien à plat, les doigts occupés à tordre une lanière de cuir. Il ne parlait pas encore beaucoup, ses phrases tenaient en deux ou trois mots, mais son regard, lui, en disait des pages. Ce matin-là, Talan et Faël discutaient près de la porte à propos d’un piège mal refermé. Le ton restait poli, les mots choisis, pourtant l’air s’épaississait à chaque échange.Mon fils s’est figé. Ses mains se sont immobilisées sur la lanière. Sa petite poitrine s’est mise à battre trop vite, comme si on lui serrait les côtes. Il a tourné la tête vers les deux guerriers, et ses yeux d’argent ont accroché leurs silhouettes. Puis il a poussé un son étrange, ni rire ni sanglot, un gémissement contrarié, et il a ramené brusquement les genoux contre lui.Avant même que j’ouvre la bouche, Faël a lâché :- Laisse tomber. On verra ça plus tard.Talan a marmonné une réponse, mais ses épaules se sont relâchées. L
Les jours suivants ont eu la lenteur des neiges qui ne fondent pas. Je remplissais ma part : nourrir Nuit Claire, répondre aux anciens, vérifier le couloir des humains, sourire quand il le fallait. Dès que les tâches le permettaient, je me repliais dans l’angle sombre de la Maison, là où la lumière glisse sur les planches sans vraiment les atteindre. Mon fils contre moi, une tisane oubliée à portée de main, j’écoutais le silence comme on écoute un vieil ennemi.Kaël acceptait ce retrait avec une patience qui me blessait presque. Il tournait autour comme un loup qui respecte un cercle de braises. Sa main entrait parfois dans mon champ : un bol de soupe posé près de moi, un manteau sur mes épaules, un contact bref au passage de ses doigts sur ma nuque. D’autres soirs, lorsqu’il me croyait endormie, je le sentais s’adosser au pied du lit, simple masse de chaleur veillant sur moi. Mon corps le réclamait, ma peau se tendait vers lui dès qu’il approchait, mais mes pensées avaient besoin de
Je lui ai demandé de rentrer avant même que le soleil ne touche la crête.Pas un ordre. Pas même une supplication. Un appel nu, sans parure, lâché dans le lien comme on jette une corde vers un rocher lointain.Kaël. Rentre.La marque s’est mise à vibrer contre ma nuque, longue pulsation lourde, puis un choc bref, comme son cœur qui bute. Il ne m’a pas demandé pourquoi. Il n’a pas répondu avec des mots. Je n’ai senti que le basculement de sa décision : détente, rupture, demi-tour. Les jeunes Alphas resteraient une demi-journée de plus sans lui. Moi, je ne resterais pas une nuit de plus sans sa peau.Nuit Claire dormait enfin, luisant de sueur douce, lové dans le creux des bras d’Arna. Elle avait renversé la couverture sur son ventre, tiré la chaise près du feu, décidé pour moi.- File te laver la figure, avait-elle dit au milieu de la nuit. Quand il reviendra, tu veux qu’il voie les dégâts ou la femme qui se tient encore debout ?Je n’avais pas répondu. J’avais plongé les mains dans l’
La nuit s’était installée sans que je m’en rende compte. Le feu ne donnait plus qu’une lumière basse, rassemblée dans les braises, et tout le reste de la chambre baignait dans ce flou orangé qui rend les angles moins nets et les pensées plus vives. Nuit Claire dormait contre ma poitrine, bouche entrouverte sur mon sein, respiration rapide, régulière. Chaque souffle me réchauffait la peau. Mon corps réclamait le lit, mon esprit restait accroché au vide laissé par Kaël.Il avait parlé d’un retour avant la lune. Elle brillait déjà haut derrière la fenêtre. La marque à ma nuque vibrait faiblement : vivant, loin, absorbé par ses jeunes Alphas. Par le lien, je percevais sa fatigue, ses muscles lourds, la concentration obstinée d’un chef qui réapprend la guerre pour qu’elle dévore moins. Nulle place pour moi dans ces sensations-là, pourtant mon désir glissait jusqu’à lui, en filigrane.Son odeur restait partout. Dans les draps encore froissés par notre dernière nuit, sur la chemise abandonné
- Tu reviens quand ?La question m’a échappé plus sèche que prévu. Je tenais la bride d’un jeune cheval nerveux pendant que Kaël ajustait sa ceinture de cuir. Le ciel tirait sur le blanc, promesse de neige tardive. Derrière lui, dix jeunes Alphas s’agitaient, excités à l’idée de partir au camp d’entraînement.- Trois jours, peut-être quatre, répondit-il. Ils ont besoin de temps pour comprendre.- Comprendre quoi ?Il leva enfin les yeux vers moi. L’ambre y brûlait, sérieux.- Qu’on peut apprendre à frapper sans nourrir la haine. Qu’un chef qui marche avec du poison dans la gorge finit toujours par s’étouffer.J’ai soufflé par le nez.- Et moi, je fais quoi pendant qu’ils apprennent à respirer propre ?Je regrettai aussitôt. La phrase avait le goût d’un reproche d’ado, et j’avais sur le ventre la marque d’une maternité récente, sur la nuque celle d’un lien sacré, dans les mains la responsabilité d’un village. Pourtant, les mots étaient sortis.Le coin de sa bouche tressaillit. Il se ra
Je n’arrive pas à tenir mes mains tranquilles. Elles lissent ma tunique sombre, remontent la lanière de cuir sous ma poitrine, reviennent à la tresse. Le miroir poli me renvoie une étrangère familière : fils d’argent dans les cheveux, morsure de Kaël à la gorge, cernes tenaces. Dans le berceau de voyage, Nuit Claire bâille, bras en croix.- Ne fais pas cette tête, murmuré-je. C’est toi qu’ils veulent célébrer, pas moi.Une chaleur s’installe contre mon dos. Les doigts de Kaël glissent sur mes hanches, remontent jusqu’à la nuque. Sa paume couvre la marque, la fait pulser.- Erreur, souffle-t-il à mon oreille. Aujourd’hui, c’est toi.Je croise son regard dans le miroir. L’ambre y brûle, fier, un peu inquiet.- Ils m’accrochent un titre, rétorqué-je. J’aurais préféré qu’on m’apporte une liste de choses à réparer.Ses pouces dessinent un cercle au-dessus de la morsure. Mon ventre réagit avant ma tête.- Tu as déjà montré ce que tu fais quand le monde se fissure, dit-il. Laisse-les seuleme







