C’était la première fois que je me retrouvais aussi proche d’un homme depuis… depuis trop longtemps.
Son bras autour de ma taille, sa présence imposante si proche de moi, le contact inattendu…
Je sentis le rouge me monter aux joues. Mon cœur battait trop vite. Je n’arrivais pas à reprendre mon souffle.
— Tout va bien ? demanda-t-il, les sourcils légèrement froncés.
Il avait l’air presque amusé ou intrigué. Je n’en savais rien mais il ne me lâcha pas. Au contraire.
Je sentis ses mains glisser, doucement, le long de mes côtes, puis revenir se poser à ma taille. Il effleura ma hanche, comme s’il voulait en mesurer la finesse. Comme s’il m’analysait, me décortiquait, me comparait à je ne sais quelle autre femme mieux nourrie, plus vive, plus saine.
— Tu es si mince… murmura-t-il. On pourrait t’enserrer entre deux mains.
Je compris alors. Ce n’était pas de la tendresse. C’était un jeu. Peut-être même une moquerie bien déguisée sous un ton trop suave.
Mon estomac se noua. L’humiliation me frappa de plein fouet. J’étais une bête de foire, un fantôme qu’on effleure pour vérifier qu’il est réel.
Je reculai brusquement, comme si sa main me brûlait. Je le repoussai sans ménagement, sans même oser lever les yeux vers lui.
— Ne me touchez pas, soufflai-je d’une voix tremblante.
Puis je partis. Rapidement. Presque en courant.
Ma main serrait encore le seau d’eau, et chaque pas faisait cliqueter les produits dans mon sac. J’avais l’air misérable, mais je préférais fuir comme une lâche que de rester là une seconde de plus à me faire observer comme un objet.
Chambre 602. C’était tout ce qui comptait à présent.
Juste nettoyer. Juste respirer. Juste survivre.
En entrant dans la chambre 602, je fus immédiatement saisie par la lourdeur de l’atmosphère. L’air était saturé de parfum trop cher, d’alcool renversé et d’une tension crasse. La lumière était tamisée, presque étouffante. Une jeune serveuse se tenait au centre de la pièce, ses épaules secouées par des sanglots silencieux. Son maquillage avait coulé, trahissant la peur qu’elle tentait de ravaler.
Je m’arrêtai net, les mains crispées sur le manche de mon balai. Mon regard balaya la scène sans s’y attarder, par réflexe de survie.
Je déglutis, et d’une voix que je ne reconnaissais même plus, je murmurai :
– Je suis là pour le ménage.
Un homme, affalé sur un canapé de cuir, tenait une bouteille à moitié vide dans une main, un verre dans l’autre.
– Bois cette bouteille entière, et tu peux partir, dit-il à la jeune femme.
Sa voix était traînante, assurée. Comme s’il donnait un ordre banal.
– Je… je ne suis pas une prostituée, sanglota la serveuse. Je suis juste une serveuse…
Sa détresse me serra le ventre. J’aurais voulu m’avancer. Faire quelque chose. Mais je restai figée.
L’homme se leva, lentement, posant son verre avec soin sur la table basse.
– Dans ce lieu, je peux faire boire n’importe qui. Même une femme de ménage.
Je sentis mon cœur s’arrêter une seconde.
Je me tenais droite, les bras tendus le long du corps, mon uniforme légèrement trop grand collé à ma peau moite. Mes cheveux, que je gardais toujours sur le front, dissimulaient ma cicatrice. J’aurais voulu devenir invisible. Fondre dans le mur.
Mais leur attention me foudroyait.
–Je suis venue faire le ménage, rien d’autre.
Ma voix était cassée, mais stable. À l’intérieur, pourtant, tout tremblait.
Je me sentais comme un meuble. Un objet posé là, bon à être ignoré… ou utilisé. Incapable de protester, incapable même de bouger. C’était la prison, encore. Mais sans les barreaux.
La serveuse s'essuya les joues d’un revers tremblant, puis secoua la tête, comme si elle voulait m’épargner.
– Je vais boire… C’est bon. Je vais boire.
Sa voix était brisée, mais résignée.
Mon cœur se serra. J’avais envie de crier, de lui dire de ne pas le faire mais je savais que ça ne changerait rien. Je me tournai lentement, prête à quitter la pièce sur la pointe des pieds, me fondre dans l’oubli mais une voix glaciale surgit de l’ombre, au fond de la pièce :
– Retourne-toi.
Mon sang se figea. Mon souffle s’étrangla.
Mes jambes vacillèrent. Mon balai tomba sur le sol avec un bruit sec, mais je ne le ramassai pas. Je restai là, paralysée. La pièce était silencieuse, tous les regards suspendus. Je n’osais pas me retourner.
Je connaissais cette voix. Je la connaissais trop bien. Elle avait vécu dans mes cauchemars pendant trois ans.
Je caressais distraitement la couverture de mon passeport que Jason venait de déposer dans mes mains.— Voilà, murmura Jason avec un sourire rassurant. À partir d’aujourd’hui, tu es libre de voyager où tu veux. Tu n’as besoin que de ton PC et du scanner. Le reste, on achètera en Italie. Moins on a de valises, moins Dante pourra flairer notre départ.J’hochai la tête, incapable de lui dire que, dans mon ventre, un nœud de doute me rongeait. J’avais l’impression de voler une vie qui ne m’appartenait pas.— Tu es sûr de vouloir tout quitter pour moi ? soufflai-je.Ses mains se posèrent sur les miennes, fermes, décidées.— Je ne quitte rien, Lila. Je vais avec toi. C’est ma décision.J’aurais voulu croire à la légèreté de sa voix, mais ses yeux brûlaient d’un mélange de passion et de fierté qui me mit mal à l’aise. Pourtant, je n’osai pas insister. Alors je me contentai d’un faible sourire.Nous roulions sur la route qui menait à l’aéroport. Le paysage défilait : des pins hauts, la montag
Le soir était tombé depuis longtemps, et les flammes du feu de cheminée crépitaient doucement, projetant sur les murs des ombres dansantes. Nous étions assis côte à côte sur le tapis, une tasse de thé chaud entre les mains. Jason parlait de tout et de rien : des souvenirs de son enfance, des nuits passées à courir dans les bois avec ses cousins. Je riais parfois, je l’écoutais surtout, reconnaissante de cette légèreté après tant de journées lourdes.Puis, sans vraiment réfléchir, j’ai laissé ma question franchir mes lèvres.— Jason… tu crois qu’on quittera le pays quand ?Son regard s’assombrit un peu, comme si je venais de briser la bulle paisible dans laquelle nous étions plongés.— Bientôt, dit-il après un silence. Ça ne devrait pas tarder.Je mordillai ma lèvre, mon esprit embrouillé. L’idée d’un nouveau départ m’avait d’abord semblé être une promesse de renaissance. Mais plus les jours passaient, plus je me sentais coupable de ce qu’il abandonnait derrière lui.— Et si… ce n’étai
Je n’avais jamais attendu un colis avec autant d’impatience. Le livreur avait à peine eu le temps de sonner que je bondissais déjà vers la porte, le cœur battant comme une enfant un matin de Noël. Le carton était plus lourd que ce que j’imaginais. Jason, amusé, m’avait rejoint pour m’aider à le déposer sur la table du salon.— Alors, tu comptes l’ouvrir ou tu veux que je devine ce qu’il y a dedans ? avait-il plaisanté, les bras croisés, son éternel sourire taquin accroché au visage.J’avais pris un couteau et découpé soigneusement le scotch. Mes doigts tremblaient un peu d’excitation. Le carton s’ouvrit et, sous les protections en mousse, apparut l’ordinateur portable que nous avions commandé la veille. Un modèle fin, élégant, noir, qui me semblait appartenir à un autre monde que le mien. Je caressai le clavier du bout des doigts, encore incrédule.Mais ce n’était pas tout. En soulevant le reste des emballages, je découvris un petit objet rectangulaire soigneusement emballé. Intriguée
Après avoir rangé la cuisine, Jason alluma un feu dans la cheminée. Les flammes commencèrent à danser, projetant une lueur dorée sur les murs du chalet. Nous nous installâmes côte à côte, chacun avec une tasse de tisane fumante. Le silence était doux, presque nécessaire, après l’intensité de ces derniers jours. Je fixais les flammes, hypnotisée par leur mouvement, et j’avais presque l’impression que les craquements du bois racontaient une histoire rien que pour moi.Jason rompit le silence d’une voix grave mais douce.— Lila… qu’est-ce que tu veux faire, maintenant ? Je veux dire… de ta vie. Tu as l’occasion de tout recommencer. Qu’est-ce qui t’appelle ?Je serrai ma tasse entre mes mains, hésitant. Parler de mes rêves me donnait toujours l’impression d’être une enfant naïve. Mais il méritait la vérité.— J’aimerais… écrire.Il tourna brusquement la tête vers moi, surpris.— Écrire ? Tu veux devenir journaliste ?Je secouai la tête.— Non… auteure. Indépendante. Raconter des histoires
Quand je refermai la porte du chalet derrière moi, j’avais encore le goût amer de ma confrontation avec Dante. Mes mains tremblaient, mon cœur battait trop vite, mais j’essayais de reprendre contenance. Jason se tenait là, dans le salon, adossé au canapé. Son regard accrocha le mien et je su immédiatement qu’il avait deviné.— Tu es allée le voir, lâcha-t-il d’une voix tendue.Je clignai des yeux, surprise par la dureté de son ton.— Comment tu sais… ?Il s’avança, le visage crispé, presque fermé.— Je le sais, c’est tout. Tu étais avec lui, pas vrai ?Je sentis la colère encore brûlante en moi s’agiter de nouveau, mais cette fois c’était dirigé contre lui.— Oui. J’ai vu Dante. Et alors ?Jason serra les poings, son souffle s’accéléra.— Lila, tu te rends compte de ce que ça veut dire ? Ce type t’a détruite ! Il revient, il joue les martyrs, et toi… toi tu cours encore lui parler ?!Ses mots claquèrent comme des gifles. J’eus l’impression d’avoir devant moi un Jason que je ne connais
Le lendemain matin, je m’étais réveillée avec une étrange lourdeur dans la poitrine. La nuit avait été courte, agitée par des rêves flous, comme si quelqu’un s’était tenu près de moi, veillant sur mon sommeil. J’avais mis ça sur le compte de mon imagination trop fertile, mais un malaise persistant refusait de me quitter.En descendant les escaliers du chalet, je trouvai Jason déjà assis dans le salon, une tasse de café fumante entre les mains. Il me sourit, mais son regard avait cette gravité inhabituelle, comme s’il portait un fardeau qu’il se préparait à déposer devant moi.— Bonjour, dit-il doucement. Bien dormi ?J’hochai la tête.— Oui… à peu près. Et toi ?Il haussa les épaules et m’invita à m’asseoir.— Je dois te raconter quelque chose, Lila.Son ton solennel me mit aussitôt en alerte. J’eus l’impression que mon estomac se serrait avant même d’entendre la suite.— Cette nuit, reprit-il, Dante m’a contacté. Il a exigé qu’on se voie… et je n’ai pas vraiment eu le choix.Mon souf