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Chapitre 8

Author: Simonne Corriveau
Un sentiment d'impuissance a submergé Évelyne.

« Soit », a-t-elle murmuré, la voix empreinte d'une amertume résignée, « croyez ce que vous voulez. De toute façon, mes paroles ne changent rien. »

« Papa, tu vois ! La méchante avoue ! Punis-la ! » Noah a tiré sur la manche de Martial, tout en jetant un regard furtif à Rosalie.

Leurs yeux se sont rencontrés brièvement. D'un imperceptible hochement de tête, Rosalie l'a rassuré.

Martial s'est accroupi, caressant les cheveux de son fils avec tendresse : « Je te protégerai toujours, Noah. »

Puis, il s'est relevé et sa voix est devenue glaciale : « Qu'on emmène Évelyne au sous-sol. Elle y restera jusqu'à nouvel ordre. »

La sentence était tombée. Aucune rémission possible.

Il a aidé Rosalie à se lever et a quitté la pièce avec elle et Noah, sans même un regard pour Évelyne. Seul le sourire de triomphe de Rosalie, brillant d'une joie cruelle, l'a transpercée comme un poignard.

Au bruit du moteur qui démarrait, Bélise a eu un hochement de tête satisfait. D'un geste, elle a ordonné aux domestiques d'emmener Évelyne de force.

Certaines employées, qui la connaissaient depuis des années, ont chuchoté en passant : « Courage, Madame… Nous savons que vous n'auriez jamais fait cela. M. Thiers doit agir sous la contrainte… Il vous aime tant, il reviendra certainement. »

Évelyne n'a pu qu'esquisser un sourire désabusé.

Puisqu'elle partait bientôt, la confiance de Martial lui importait peu désormais.

Les trois jours suivants, elle a vécu recluse dans l'obscurité humide du cellier.

Le temps y est devenu une torture sans nom : railleries, insultes, et toutes les quelques heures, des sévices corporels infligés sous le prétexte de « lui inculquer le repentir ».

Les coups pleuvaient sur elle, mêlés aux quolibets. Elle serrait les dents, refusant de crier, le goût du sang sur ses lèvres meurtries lui rappelant sa propre dignité bafouée.

À travers le voile de ses larmes, elle a revu soudain Martial, sept ans plus tôt, enchaîné à cette même pierre froide pour avoir défendu leur amour devant Bélise. Trois jours et trois nuits de supplice qui avaient failli briser son corps déjà meurtri.

À l'époque, ce n'était pas seulement Bélise qui poussait Martial à la quitter. Clarisse et ses propres parents l'avaient suppliée de renoncer à cette relation. Tous connaissaient l'obsession des Thiers pour la descendance masculine.

Mais elle, aveuglée par les sacrifices de l'homme, avait cru naïvement que leur amour triompherait de tout. Elle l'avait épousé en bravant une pression immense.

Et maintenant ? N'était-ce pas le châtiment de son aveuglement ?

Martial regretterait-il un jour cette relation corrompue, dénuée de la pureté des débuts ?

Le quatrième matin, la lourde porte a grincé entement. Martial est apparu dans l'encadrement.

« Je viens te chercher », a-t-il dit d'une voix rauque, le visage marqué par la fatigue.

Évelyne a feint de ne pas l'entendre, son regard vide fixant les objets poussiéreux qui l'avaient entourée durant ces trois jours. Elle se sentait devenue l'un d'eux : silencieuse, couverte de poussière, et oubliée de tous.

Les Thiers attachaient tant d'importance à un héritier mâle… Comment avait-elle pu croire que Martial accepterait son infertilité ? Elle n'avait que ce qu'elle méritait.

Sans un mot pour lui, elle a tenté de se lever. Ses jambes engourdies par des heures à genoux et des coups reçus ont fléchi aussitôt.

Martial l'a rattrapée de justesse : « Évelyne, assumer ses fautes fait partie des leçons à donner. Trois jours ici, ce n'est rien. »

Ce n'était rien ? Son ton léger effaçait-il les bleus sous ses vêtements ?

Elle l'a repoussé amèrement : « Martial, tu m'as promis que si je n'aimais pas cet enfant, tu le renverrais. »

Il a soupiré, impatient : « Les Thiers doivent avoir un héritier. C'est la meilleure solution. Nous formons un couple, tu devrais me soutenir dans cette épreuve. »

Cette phrase, Évelyne l'avait entendue jusqu'à l'écœurement.

« Tu tiens tant à lui qu'on dirait presque ton vrai fils », a-t-elle raillé d'une voix acide.

Martial a eu un mouvement de recul, le regard fuyant : « Impossible. Je n'aimerai jamais que toi. Mais Noah est un bon garçon, si docile… »

Combien de femmes cet homme prétendrait-il aimer dans sa vie ? Évelyne ne voulait plus compter.

Mais face à tant d'années réduites en cendres, sa colère longtemps contenue a éclaté : « Martial, jusqu'à quand comptais-tu me… »

… mentir ?

Les mots sont restés suspendus dans sa gorge quand Rosalie a fait irruption.

« M. Thiers, Noah supplie pour aller au parc d'attractions. Accompagnions-le ! » Son regard a toisé Évelyne avec une feinte compassion, « Mais elle a l'air si faible… Je doute qu'elle puisse… »

« Elle reste ici », a coupé Martial d'un ton glacial, décidant pour elle.

Puis, il s'est tourné vers Évelyne comme pour annoncer un décret : « Demain, c'est l'anniversaire de Noah. Nous donnerons une réception au manoir des Thiers. J'en profiterai pour officialiser son statut. En tant que mère adoptive, tu dois te préparer. »

Mère adoptive ?

Les mots lui ont soulevé le cœur.

Sans répondre, elle a boitillé hors du cellier et a aperçu au loin Clarisse qui l'attendait avec anxiété. Elle a marché résolument vers elle, ignorant l'appel de Martial qui a résonné dans son dos : « Évelyne, j'emmène Noah au parc. Je ne rentrerai pas ce soir. Repose-toi et on viendra te chercher demain pour la réception. »

Elle ne s'est pas retournée, se contentant d'un « hum » presque inaudible.

Pourtant, en regardant son dos qui s'éloignait, Martial a senti une inquiétude sourde l'envahir.

Non, il ne devait plus céder à la sensibilité. Il connaissait la fierté d'Évelyne et savait que cette épreuve était nécessaire pour que Noah soit pleinement accepté.

Il croyait en son amour à elle. Il était convaincu qu'après cette résistance initiale, elle plierait pour lui.

De son côté, Évelyne s'est effondrée sur la banquette arrière de la voiture de Clarisse.

Son amie lui a dit : « Tes valises sont déjà chargées. Et ce dossier… Rosalie me l'a remis. »

Elle l'a ouvert. À l'intérieur, le contrat de divorce, signé par Martial au bas de la page.

Par la vitre, elle a regardé le trio monter dans une autre voiture en riant, puis s'éloigner dans un nuage de poussière.

« Allons à l'aéroport », a-t-elle déclaré d'une voix de glace, « partons immédiatement. »

« Au revoir, Martial », s'est dit-elle.
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