La nuit enveloppe la forêt d’un voile d’ombre impénétrable. Le silence y est presque religieux, troublé uniquement par le bruissement des feuilles et le murmure du vent à travers les branches noueuses. Pourtant, ce n’est pas ce silence qui me perturbe.
C’est elle.
Je ne la vois pas, mais je la sens.
Depuis cette nuit où nos corps se sont heurtés dans une danse sauvage, elle hante chacun de mes pas. Je peux encore sentir la chaleur de son souffle sur ma peau, la tension qui vibrait entre nous, cette étrange connexion qui m’a ébranlé jusqu’à la moelle.
J’aurais dû m’éloigner.
J’aurais dû fuir.
Mais mes pas m’ont ramené ici, encore et encore, comme si une force invisible me tirait vers ce lieu maudit.
Pourquoi ?
Je serre les poings, frustré par ce feu qui me ronge de l’intérieur. Ce n’est pas normal. Ce n’est pas moi. Je suis un loup, un guerrier. Pas un homme qui se laisse troubler par un simple regard.
Un regard d’or, brûlant et insondable.
Un frisson me parcourt l’échine à ce souvenir.
Je tente de me convaincre que ce n’était rien de plus qu’un combat, un affrontement entre deux prédateurs. Mais au fond, je sais que c’est un mensonge.
Ce qui s’est passé cette nuit-là…
Ce que j’ai ressenti…
C’était bien plus qu’un simple duel.
Je ferme les yeux, inspirant profondément pour calmer mon esprit enfiévré. L’air est chargé d’humidité, imprégné de l’odeur de la terre et des arbres. Mais une autre fragrance flotte dans l’atmosphère, presque imperceptible, et pourtant…
Elle est là.
Je ne l’entends pas. Je ne la vois pas. Mais mon instinct hurle sa présence.
Une tension invisible s’installe dans l’air, électrisant chaque fibre de mon être.
Mon cœur s’emballe.
Je tourne lentement la tête, les muscles tendus comme un arc prêt à se rompre.
Et alors, je la vois.
Tapis dans l’ombre, immobile, elle m’observe.
La panthère.
Majestueuse. Sauvage. Terrifiante.
Son pelage d’ébène se fond parfaitement dans la nuit, seul son regard incandescent trahit sa présence. Deux prunelles d’or qui me transpercent, m’enferment dans une prison invisible.
Je devrais bouger.
Je devrais fuir.
Mais je suis incapable de détourner les yeux.
Il y a quelque chose dans cette manière qu’elle a de me fixer. Une intensité brûlante, une force silencieuse qui me cloue sur place.
Le temps semble suspendu.
Nous ne bougeons pas.
Nous ne respirons presque plus.
Nos âmes se cherchent dans cet échange muet, comme si elles se connaissaient déjà.
Puis, lentement, elle avance d’un pas.
Un seul.
Un geste infime, mais qui déclenche une tempête en moi.
Mon souffle se bloque.
Elle continue d’avancer, chaque mouvement empreint d’une grâce hypnotique. Ses muscles roulent sous sa peau sombre, une élégance mortelle qui me laisse à la fois fasciné et sur mes gardes.
Et pourtant, elle ne montre aucun signe d’agressivité.
Elle s’arrête à quelques mètres de moi, son regard toujours ancré au mien.
Une étrange chaleur envahit mon ventre, diffuse, oppressante. Je ne comprends pas ce qui m’arrive.
Pourquoi ai-je l’impression que cet instant est important ?
Pourquoi ai-je l’impression que si je fais un seul geste, je briserai quelque chose de précieux ?
Elle incline légèrement la tête, un geste subtil, presque imperceptible.
Un frisson me parcourt.
Ce n’est pas un simple animal.
Je le sais maintenant, avec une certitude absolue.
Elle me reconnaît.
Et moi…
Moi aussi, j’ai l’étrange sensation de la connaître.
Depuis toujours.
Mon cœur bat si fort que je crains qu’elle l’entende.
Puis, aussi brusquement qu’elle est apparue, elle recule.
Ses prunelles d’or semblent me sonder une dernière fois avant qu’elle ne fonde dans l’obscurité, disparaissant entre les arbres sans un bruit.
Je reste figé, incapable de bouger, de penser, de comprendre ce qui vient de se passer.
Seule une certitude brûle en moi, plus forte que tout le reste.
Ce n’est pas fini.
Ce n’est que le début.
L’obscurité de la forêt me semble plus oppressante que d’habitude. L’air est chargé de mystère, et chaque bruissement entre les feuillages résonne comme un écho à ma propre confusion. Je marche lentement, mes pas feutrés s’enfonçant dans la terre humide, mais mon esprit est ailleurs.
Elle.
La panthère noire.
Son regard d’or hante mes pensées, brûlant d’une intensité que je ne peux oublier. Depuis cette rencontre, je ressens un vide inexplicable, une étrange sensation de manque, comme si un fil invisible s’était tendu entre nous et qu’il me tirait inexorablement vers elle.
Je devrais ignorer cette impression.
Je devrais fuir cette fascination dangereuse.
Mais c’est impossible.
Chaque nuit, je retourne dans cette forêt maudite, comme un homme envoûté, incapable de résister à cet appel silencieux.
Pourquoi ?
Pourquoi cette créature me trouble-t-elle autant ? Pourquoi son odeur enivre-t-elle mes sens comme un poison doux-amer ?
Je serre les poings, luttant contre cette obsession qui me consume.
Mais au fond, je sais déjà que je ne peux plus reculer.
Je suis lié à elle.
D’une manière que je ne comprends pas encore.
Un bruissement à ma droite me fait tressaillir.
Je m’arrête net, les muscles tendus, les sens en alerte.
Je scrute l’obscurité, mais rien.
Pourtant, je le sais.
Elle est là.
Je peux sentir sa présence, cette énergie sauvage qui fait frissonner l’air autour de moi.
Un battement de cœur plus tard, une ombre glisse entre les arbres, aussi fluide que le vent.
Mon souffle se bloque.
Elle apparaît devant moi, majestueuse et insondable.
Nos regards se croisent, et le monde autour de nous disparaît.
Je n’entends plus que mon cœur battre furieusement dans ma poitrine, un écho vibrant à la tension électrique qui s’installe entre nous.
Elle avance lentement, chaque pas résonnant en moi comme une note de musique oubliée.
Puis, à quelques mètres de moi, elle s’arrête.
Elle me jauge, silencieuse, intense.
Un instant, je crois qu’elle va reculer à nouveau, disparaître comme la dernière fois.
Mais non.
Cette fois, elle ne fuit pas.
Au contraire, elle s’assoit, son regard toujours fixé au mien, comme si elle attendait quelque chose.
Une invitation muette.
Une épreuve.
Je devrais hésiter, mais je n’en ai pas le temps.
Sans vraiment comprendre pourquoi, je m’accroupis à mon tour, m’alignant à sa hauteur.
Nos respirations se synchronisent, lentes, profondes.
L’espace entre nous est minuscule, et pourtant, un gouffre invisible nous sépare encore.
Mais quelque chose change.
Je le ressens dans l’air, dans la façon dont ses muscles se détendent légèrement, dans ce léger frémissement à peine perceptible.
Elle me laisse approcher.
Pourquoi ?
Un frisson me parcourt l’échine.
Qui es-tu ?
Je veux poser la question, mais aucun mot ne franchit mes lèvres.
Et soudain…
Un murmure glisse dans mon esprit.
Un souffle.
Une voix.
Faible. Lointaine.
Ewan.
Je me fige, le cœur battant à tout rompre.
J’ai rêvé.
J’ai imaginé ce son.
Mais la panthère ne bouge pas.
Elle me fixe toujours, et dans ses yeux d’or, une lueur brille.
Un instant, j’ai l’impression qu’elle me reconnaît aussi.
Et alors, tout s’effondre.
Ma vision vacille, mes pensées s’entrechoquent.
Son nom me traverse l’esprit comme un é
clair déchirant la nuit.
Nyx.
Je ne sais pas pourquoi ce mot s’impose à moi avec tant de force.
Mais une chose est sûre.
Cette rencontre n’est pas le fruit du hasard.
C’est une promesse.
Un début.
Ou peut-être…
Un souvenir oublié.
Erwan, Nyx, Lyam, Nolen, KaelL’hiver s’accroche à la terre, aussi tenace que nous. Les jours s’étirent dans un silence tendu, chaque heure plus lourde que la précédente. On a attendu ce moment trop longtemps. Maintenant, il est là.Erwan— C’est ce soir.Ma voix brise le silence. Nyx relève la tête, ses traits figés par la détermination. Lyam hoche la tête. Il a récupéré des armes, des cartes. Tout est prêt.Nyx— On ne revient pas en arrière.Lyam— On n’est jamais revenus en arrière. On a juste mis le feu aux ponts, un par un.Nolen ne parle pas. Il sait. Il a compris. Ses petits poings serrés contre sa poitrine.Nolen— Reviens, maman. Reviens cette fois.Nyx s’accroupit, pose une main sur sa joue.Nyx— Je reviens. On va se construire cette maison, tu te souviens ? Avec un lit qui grince pas.Il hoche la tête, mais je vois ses yeux briller. C’est un adieu qu’on lui arrache sans oser le dire.On part à la nuit tombée. Le domaine de Kael est à deux jours de marche, mais Lyam connaî
Erwan, Nyx, Nolen, LyamLa nuit est glaciale, mais je ne sens plus rien. Mon bras autour de Nyx, mes forces vacillantes, et devant nous, Lyam ouvre la route. Nolen dort contre elle, le visage enfoui dans son cou comme s’il refusait de voir ce monde en ruines.Erwan— Combien de temps avant qu’ils nous retrouvent ?Lyam ne répond pas tout de suite. Ses yeux balayent l’horizon. La forêt dévore la route, les arbres se referment sur nous.Lyam— On a gagné du temps. Kael est mort. Mais tu sais comment ça marche… Un autre prendra sa place.Je serre les dents. Nyx me soutient sans un mot, sa main tremblante sur ma hanche. Elle m’a sauvé. Elle nous a tous sauvés.Nyx— On trouvera un endroit. Assez loin. Pour respirer. Pour penser.Sa voix est rauque, abîmée. Mais elle est là. Vivante. Et plus forte que jamais.On marche encore des heures. La douleur pulse dans ma jambe. Je tombe une fois, deux fois. Nyx refuse de me lâcher.Erwan— Tu devrais partir devant avec Nolen. Me laisser là si je te
Erwan, Nyx, LyamLe vent souffle en bourrasques, charriant des odeurs de terre humide et de bois brûlé. La nuit s’étale sur nous comme une ombre vivante. À l’horizon, la forteresse se dresse, massive, impénétrable.Nous sommes trois. Eux, une trentaine. Mais la peur ne fait plus partie de l’équation.Nyx— On entre par les tunnels. Il y a un passage sous la falaise, une ancienne galerie d’évacuation.Je la fixe.Erwan— Tu en es sûre ?Elle ne cille pas.Nyx— Kael l’a fait condamner, mais je sais comment passer. C’est notre seule chance d’arriver jusqu’à Nolen sans alerter tout le camp.Lyam serre son fusil, vérifie son chargeur.Lyam— Combien de temps avant l’aube ?Je jette un œil au ciel.Erwan— Quatre heures. On doit être rapides.Nyx passe devant. Elle connaît chaque pierre, chaque fissure de cette terre damnée. On descend en silence, courbés contre les ombres.Les tunnels sont étroits, humides. L’air y est lourd, chargé d’un relent de moisissure et de sang ancien.On progress
Erwan, Nyx, LyamLa nuit ne veut pas finir. Elle s’accroche à nous comme une malédiction. Pourtant, on ne bouge plus. Figés dans cette étreinte bancale, incapables de dire ce qui brûle encore nos tripes. La rage, la peur, l’espoir, tout se mélange. Et dans le silence, c’est Nyx qui finit par parler. Sa voix est rauque, étranglée, presque brisée.Nyx— Le premier… il s’appelait Kael. C’est lui qui m’a trouvée la première nuit. Il m’a tendu la main quand je crevais de froid et de faim… Et il m’a enchaînée avec.Elle se redresse, les yeux perdus dans les flammes.— Il dirige un réseau, là-bas, de l’autre côté des montagnes. Un empire bâti sur la peur, la chair et le sang des autres. Il m’a vendue, rachetée, brisée, et toujours, il me ramenait à lui. Parce que c’est ce qu’il fait. Il garde ce qu’il a brisé. Comme un trophée.Lyam serre les poings, son regard noir fixé sur elle.Lyam— Et tu veux qu’on commence par lui ?Nyx hoche la tête.Nyx— Je veux voir ses yeux quand il comprendra qu
Erwan— Viens.Je tends la main. Ma voix est rauque. Elle hésite, puis s’approche. Et quand ses doigts frôlent les miens, c’est un torrent qui me traverse. Toutes ces années à croire qu’elle était morte. Toutes ces nuits à la maudire et à la pleurer.Je l’attire brutalement contre moi. Mon front se pose contre le sien.— Tu m’as tué, Nyx. Tu m’as laissé mourir avec toi.Elle sanglote. Ses doigts s’agrippent à ma veste.— Je sais… je sais… Mais je suis là maintenant. Et je vous lâcherai plus.LyamIl nous regarde, les poings serrés. Puis, d’un geste brusque, il frappe la table.— Je sais même pas ce que je ressens. Y’a trop de rage, trop d’amour… Je veux te détester, mais j’y arrive pas. Je veux te prendre dans mes bras, mais j’suis incapable de bouger.Nyx le regarde avec cette douleur immense dans les yeux.— Je comprends. Mais laisse-moi te montrer. Laisse-moi rattraper ce que j’ai perdu.LyamIl craque. Ses épaules s’affaissent. Et dans un soupir, il laisse tomber la hache de guerr
Erwan, Lyam, NyxErwanLa nuit s’épaissit. Le silence est lourd, étouffant. Nyx est assise face à nous. Le feu projette des ombres sur son visage marqué. Ses yeux ne fuient pas. Elle attend.— Parle.Ma voix claque. Elle tressaille. Puis elle sourit, ce rictus qui me vrille le cœur.Nyx— Ils m’ont prise la nuit où tout a basculé. Quand vous avez cru que j’étais morte… je l’étais presque. Ils ont tiré sur moi, Erwan. Et pendant que tu hurlais mon nom, pendant que tu courais, j’étais là, couchée dans la boue, le sang dans la bouche. J’entendais encore ta voix. Et puis, plus rien. Le noir.Elle s’interrompt. Je serre les dents. Lyam ne bouge plus, figé.— Je me suis réveillée dans un lieu que vous ne pouvez pas imaginer. Des murs sans fenêtres. L’odeur de la mort partout. Le Conseil voulait que je parle. Que je livre vos secrets. Les miens. Tout ce que je savais de la rébellion, de nos projets, de toi, Erwan. Ils m’ont broyée. Jour après jour. Mois après mois.Elle lève les yeux.— Et t