Le ciel se teinte de gris et d'orange, un tableau presque apaisant, comme une promesse de sérénité. Mais en moi, ce n'est que chaos. Mon pied s'enfonce sur l'accélérateur, mon regard fixé droit devant, alimenté par cette détermination brûlante qui me pousse, qui me consume, qui me tient debout.
Je jette un coup d'œil vers la boîte à gants. Les photos y sont rangées, ces preuves silencieuses de la trahison de Frost, de sa double vie. Trop dangereux de les garder à la maison, alors je les transporte ici, dans ce coffre à secrets roulant. Ma voiture est devenue le seul sanctuaire où personne n'oserait fouiner. Ironie cruelle : Frost n'a pas de soucis à se faire. Avec moi, son secret est bien gardé. Le moteur cesse de rugir. Je coupe le contact et reste immobile, les yeux rivés sur la porte de notre maison. Ma gorge se serre, mon estomac se retourne. La difficulté de ce moment me frappe de plein fouet. J'espère trouver la force de lui tenir tête. De ne pas m'effondrer. Pas ce soir. Pas maintenant. Un mélange d'émotions m'assaille : tristesse, colère, haine, et... amour. Oui, malgré tout, il reste de l'amour. Mais c'est un amour mutilé, un amour qui me lacère. Je lui en veux. Terriblement. Trop. Et je sais au fond de moi que je ne pourrai jamais lui pardonner. Frost joue un jeu dangereux. Une double vie. Et moi, j'y ai été embarquée malgré moi, réduite au rôle d'ombre docile. Comme si je n'avais jamais compté. Comme si mes désirs, mes rêves, mon cœur n'avaient aucune importance. Aujourd'hui, je réalise que j'ai trop donné. Trop attendu. Aveuglée par ce que je prenais pour de l'amour. Et pendant ce temps, je n'ai pas su voir la vérité : l'homme que j'ai épousé n'a jamais vraiment été attiré par les femmes. Ces jeunes hommes avec qui il se donne corps et âme... est-ce qu'ils savent seulement qu'il est marié ? Bien sûr que oui. Tout le monde le sait. Notre mariage avait fait les gros titres : un brillant homme d'affaires épouse une psychologue reconnue. Frost vient d'une famille respectée, et notre union avait l'allure d'un conte de fées médiatisé. Ils savent. Tous. Alors non seulement je deviens la cocufiée, mais aussi le clown. Une farce à la vue de tous. Il me le paiera. Ça, c'est certain. Je descends de la voiture, et mes pas résonnent sur l'allée, plus assurés que je ne l'aurais cru. Chaque battement de cœur me martèle les tempes, chaque respiration est une bataille. J'ouvre enfin la porte. Une odeur de viande rôtie m'accueille, chaleureuse, presque trompeuse. Puis viennent des petits pas pressés : Biscuit accourt vers moi. Il bondit, me gratifie de ses jappements joyeux, me lèche la joue avec une fidélité sans faille. Même lui sait comment aimer. Parfois, j'ai l'impression que ce chien m'aime davantage que Frost n'a jamais su le faire. Je le prends dans mes bras, me laisse réchauffer par sa tendresse animale, puis avance vers le salon. La maison baigne dans une lumière tamisée, douce, presque intime. Et là, je l'aperçois. Frost. Assis sur le canapé, une bière à la main, les yeux rivés sur un match de hockey. Il hurle après un joueur, emporté par l'adrénaline du jeu. Je reste dans l'ombre, silencieuse. Je le regarde. Ce visage... si parfait, taillé comme par un sculpteur capricieux. Une beauté sauvage, magnétique. Son corps, musclé, sculpté par des heures d'efforts, ce corps que j'ai tant aimé caresser, admirer, croire mien. Pendant une seconde, une voix en moi chuchote que tout cela n'est qu'un malentendu, une machination. Que ces photos sont peut-être fausses. Que Frost... Frost m'a épousée par amour. Je revois encore ses yeux ce jour-là, quand je suis entrée dans l'église au bras de mon père. Ses yeux brillaient, au bord des larmes. Il n'avait jamais paru si sincère. Le silence tombe dans la pièce. Frost se racle la gorge, et Biscuit se blottit davantage contre moi. — Bonsoir, chérie, dit-il en se levant. Il marche vers moi d'un pas lent, presque calculé. C'est alors que je remarque qu'il ne porte pas de t-shirt. Son torse nu capte la lumière tamisée, ses muscles se dessinent nettement, et son jean glisse légèrement sur ses hanches, révélant son V parfait. Mon regard, malgré moi, descend. Je fixe cette bosse imposante qu'il arbore, symbole cruel de ce qu'il pourrait offrir, de ce qu'il aurait pu me donner. Pourquoi ? Pourquoi n'a-t-il jamais su me combler ? Avec ce corps, avec tout ça... il aurait pu. Mais c'est une chose perdue. Un gâchis immense. Il s'arrête devant moi. Je n'arrive pas à lever les yeux vers lui. Même un simple regard serait trop lourd à porter. Je n'ai plus la force. Biscuit s'agite soudainement dans mes bras. Je la repose doucement par terre, mais mes mains tremblent encore. Alors, sans prévenir, Frost pose ses doigts sur mon visage. Une caresse lente, presque tendre. Ses doigts effleurent mes lèvres et, malgré moi, mon souffle s'accélère, devient chaud, incontrôlable. Ma gorge se noue, prise en otage par une masse que je n'ose laisser s'exprimer, une voix que je veux taire. Et puis... tout bascule. Les larmes et le dégoût montent en moi en une fraction de seconde. La vulnérabilité se transforme en colère pure, en besoin brutal de réponses. D'un geste brusque, je le repousse. Un son éclate dans la pièce. Une gifle. Le claquement résonne, mais il ne grimace pas, ne bouge pas. Ses bras restent le long de son corps, immobiles, comme si je n'avais rien fait. — Anna, que se passe-t-il ? demande-t-il, d'une voix surprise, presque douce. — Je vais te dire moi ce qui se passe ! hurle-je, la voix brisée par la rage. Il se passe que tu baises de jeunes hommes ! Putain, tu me dégoûtes ! Les mots sont sortis, lourds et irréversibles. Je suis au bord de ce que je redoutais le plus. Je pleure, je sanglote, mais Frost reste immobile, le regard suspendu quelque part dans le vide, indifférent à ma détresse. — Tu n'as rien à me dire ? Tu n'as pas honte de m'appeler « chérie » alors que tu préfères te faire enculer par des hommes ?! hurle ma voix entre les sanglots, se brisant à chaque mot. Comment ai-je pu ne rien voir... comment ai-je pu être aveugle... Mon corps s'effondre enfin sur le sol, épuisé par les émotions, par la trahison, par la colère. Et lui... il ne bouge pas. Il ne me regarde même pas. — Anna, je... commence-t-il, sa voix tremblante mais contenue, je t'assure... il faut que tu saches que je t'aime. Je n'ai jamais voulu te faire souffrir. Ses mots tombent comme un écho étranger dans la pièce. Je reste là, à moitié étendue, entre la rage, le dégoût, la tristesse et le désespoir, incapable de savoir s'il s'agit d'un aveu, d'une excuse, ou d'une manipulation. — Voilà la vérité, Frost. Tout ce que tu pensais cacher, tout ce que tu pensais pouvoir nier... je le sais. Tout. Il fronce les sourcils, une expression de colère mêlée à la surprise, mais je ne recule pas. Je sens la rage monter, mais aussi une étrange libération. Pour la première fois depuis des mois, je ne me sens pas écrasée par ses secrets. — Ces jeunes hommes... ces rendez-vous... ces mensonges, Frost... pourquoi ? Pourquoi m'avoir embarquée là-dedans ? Pourquoi m'avoir menti ? Son silence est assourdissant. Chaque seconde qui passe me remplit d'une certitude : je ne reculerai pas. Pas ce soir. — Tu pensais que je ne le découvrirais jamais ? Que je resterais naïve, aveuglée par ton charme et ton corps parfait ? Eh bien, regarde-moi ! Regarde ce que tu as fait de nous ! Frost s'approche, les yeux brillants d'une colère contenue, mais je tiens bon. Je ne tremble pas. Je ne faiblis pas. Je lui tends les preuves, les photos, et il les prend, ses mains trahissant une tension qu'il tente de cacher derrière une façade de contrôle. — Tu as... tu as tout ? murmure-t-il, incrédule. — Oui. Tout. Et tu ne pourras pas nier. Je ne suis pas une idiote. Je n'ai plus rien à perdre, Frost. Et ce soir... c'est toi qui réponds. Pas demain, pas plus tard. Moi, je choisis de me libérer maintenant. Je le fixe, et pour la première fois depuis longtemps, je sens que c'est moi qui tiens les rênes. Mon cœur bat, la colère brûle encore, mais une part de moi sourit. Je ne suis plus victime. Je suis prête.Je descends les escaliers, le cœur battant, encore enveloppée dans cette décision qui a germé en moi la nuit précédente. Je porte une chemise de nuit et une paire de pantoufles. Tout est rose. Pourtant mon cœur lui, est sombre. Quand j'entre dans le salon, je le trouve là. Frost. Assis dans son fauteuil en cuir, le dos raide, le regard fuyant. Ses doigts tambourinent nerveusement sur l'accoudoir, comme s'il répétait mentalement un discours qu'il n'arrivait pas à se convaincre lui-même de croire. Il se lève aussitôt en me voyant. Le mouvement est brusque, maladroit. Il me fixe droit dans les yeux. Sans flancher. Et ce qui me frappe c’est le fait que son visage soit aussi…radieux le matin. Cela se voit qu’il n’a même pas verser une seule larme. Il ne regrette pas. Il ne souffre pas. Il tient un papier dans sa main droite. Quand il arrive devant moi, il inspire profondément, le regard fuyant tout à coup. Au fond, je sais ce qui écrit sur ce papier. J’y ai pensé hier soir et j’y pe
L'eau ruisselle, elle glisse sur ma peau. C’estglaciale, et je reste immobile. Comme une statue fissurée. Comme si j'attendais que ce froid m'achève, qu'il m'emporte avec lui.Je ferme les yeux et, malgré moi, les souvenirs affluent.Le jour du mariage. Les fleurs blanches, le parfum entêtant du jasmin. La salle pleine à craquer. Mon père qui tenait mon bras, tremblant d'émotion. Et Frost... Frost qui m'attendait là, au bout de l'allée, les yeux humides, le sourire fragile. Son regard m'avait transpercée. Je m'étais dit : « C'est lui. L'homme de ma vie. » Ce jour-là, j'y ai cru de toutes mes forces.Mais aujourd'hui... je ne sais plus. Était-ce moi qu'il regardait avec amour ? Ou juste une illusion qu'il se forçait à jouer ? Une pièce de théâtre dont j'étais le premier rôle... et la première victime.Je laisse un sanglot s'échapper, étouffé par le bruit de l'eau. Mes doigts tremblent quand je les plaque contre le carrelage glacé.Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Tous les signes
Je tiens à peine debout. Mes jambes tremblent comme si elles ne m'appartenaient plus, prêtes à céder sous le poids de la colère. Ma respiration se fait courte, sifflante, comme si l'air refusait d'entrer dans mes poumons. Ma vision se brouille, noyée par des larmes brûlantes qui se mélangent à la morve qui coule de mon nez. Je dois avoir l'air pitoyable, un spectacle lamentable de désespoir, et le pire, c'est que je me fais pitié à moi-même.Face à moi, Frost reste immobile, gardant une distance glaciale, comme s'il craignait de se salir en me touchant. Pas même une main tendue, pas même une étreinte pour m'assurer que ce qu'il dit – son soi-disant amour – est réel. Son silence me tue. Chaque seconde qui passe sans un mot de lui résonne comme une gifle supplémentaire. Je l'attends, encore. J'attends qu'il me dise quelque chose qui apaise ma douleur, une vérité qui justifie le cauchemar. Mais je sais déjà qu'aucune excuse ne sera suffisante.— Parle, bordel de merde ! hurlais-je d'une
Le ciel se teinte de gris et d'orange, un tableau presque apaisant, comme une promesse de sérénité. Mais en moi, ce n'est que chaos. Mon pied s'enfonce sur l'accélérateur, mon regard fixé droit devant, alimenté par cette détermination brûlante qui me pousse, qui me consume, qui me tient debout.Je jette un coup d'œil vers la boîte à gants. Les photos y sont rangées, ces preuves silencieuses de la trahison de Frost, de sa double vie. Trop dangereux de les garder à la maison, alors je les transporte ici, dans ce coffre à secrets roulant. Ma voiture est devenue le seul sanctuaire où personne n'oserait fouiner. Ironie cruelle : Frost n'a pas de soucis à se faire. Avec moi, son secret est bien gardé.Le moteur cesse de rugir. Je coupe le contact et reste immobile, les yeux rivés sur la porte de notre maison. Ma gorge se serre, mon estomac se retourne. La difficulté de ce moment me frappe de plein fouet. J'espère trouver la force de lui tenir tête. De ne pas m'effondrer. Pas ce soir. Pas ma
J'enchaîne ensuite avec les autres patients. Chaque séance me laisse un peu plus vidée, comme si je donnais une part de moi-même à chacun d'eux. Mais au final, il ne me reste rien à conserver. Un sentiment étrange d'empreinte vide, où l'on s'oublie soi-même au profit de l'autre.Il est quatorze heures lorsque Gabriel vient frapper à la porte pour m'informer que c'est l'heure de la pause. Mon bureau sent encore le mélange de café et de dossiers ouverts, et sur la table trônent des plats emportés : des nouilles thaïlandaises encore fumantes.— Quelle journée. Quatre rendez-vous d'affilée, lançai-je en remuant mes nouilles d'un geste mécanique.Gabriel se sert un verre d'eau, s'adossant à la table avec cette décontraction qui contraste avec mon agitation intérieure.— Oh oui. À ce propos, nous devons revoir ton agenda. Et peut-être confier certains patients à d'autres psychologues de la clinique. Comme ce jeune Cole, par exemple. Tu pourrais le transférer à Jessica.Cole.Son nom me trav
Je m'installe sur un siège, le carnet posé sur mes genoux, le stylo prêt à capturer ce qui se cache derrière les mots. Quelques secondes plus tard, la porte du bureau s'ouvre doucement. Le visage de Gabriel apparaît dans l'embrasure, ses yeux hésitants.— Je fais entrer le premier patient ?— Oui, vas-y !Il hoche la tête, un simple mouvement, presque imperceptible. Puis la porte s'ouvre un peu plus et Cole apparaît. Dès qu'elle se referme derrière lui, il sursaute légèrement, les mains crispées, les doigts entrelacés comme pour se retenir lui-même. Sa tête reste baissée, comme si lever les yeux serait trop demander.Il porte un jean bleu délavé, des baskets légèrement usées, un t-shirt blanc surmonté d'un sweat vert. Ses cheveux noirs sont en brosse, mais quelques mèches retombent sur son front. Ses lunettes rondes glissent un peu sur son nez, masquant des yeux où se lisent une inquiétude et une fatigue qui ne devraient pas appartenir à un adolescent.Je penche légèrement la tête, ch