Accroché au volant, je conduis au radar, le ranch me paraît plus vaste que d’habitude. Ma vue redevient claire, mais ce n’est pas sans peine, car j’ai dû m’arrêter à plusieurs reprises. Ma tête cogne, et ma nuque raidie par le coup ne se détend pas. En me massant, cela atténue un peu la douleur, par contre, cela ne me calme pas du tout. Savoir Anaëlle seule à la maison me met dans un état second. Mes pensées se heurtent les unes aux autres. Mes agresseurs ont-ils un rapport avec la mort de ma jument ? Quand ils m’ont assommé, je n’ai rien vu à part deux vagues silhouettes. Un homme et une femme. Mis à part ces deux informations, aucun détail ne m’a frappé. Ils se sont tus, et l’action s’est passée si vite que je n’ai pas pu réagir.
En atteignant la grille de la demeure fermée, me voilà soulagé, puisque personne ne possède le code d’entrée à part Amber, Anaëlle, Frank et moi. Elle se trouve donc en toute sécurité. Ma pression artérielle diminue, tout à coup, un voile se pose
Une fois que Scott s’est évanoui, j’ai appelé Frank qui a appelé le médecin. Par un hasard fort heureux, le même docteur qui m’a auscultée ce soir-là est de garde puisqu’il s’avère être le seul du petit comté en dehors de Beaumont. Ce dernier est retenu par des accouchements. Alors, il me confie la tâche de veiller sur mon mari jusqu’à son réveil. Tout ceci par conversations interposées entre Frank, le docteur et moi. Une fois que les ambulanciers ont emmené Scott à l’hôpital, j’ai profité de ce temps pour m’en aller, ne laissant qu’un mot sur le frigo.La manœuvre, immorale, mais salvatrice m’a permis de me sentir plus légère. Dès lors mon intention de partir prise, mes valises se sont entassées dans son 4X4. La route a défilé, les pneus bien accrochés à la terre aride, les miles se sont enfilés des heures. Le temps n’a plus d’importance.Il s’est écoulé des heures et des heures depuis mon départ. Il a fait très chaud dans l’après-midi, le désert est apparu sordide so
La comtoise me rend fou. Le tic-tac de la trotteuse bat à l’unisson de mes tempes douloureuses. Runway m’a averti ce matin de sa découverte. Anaëlle a trouvé refuge chez Ricardo, l’épicier vers le parc. À mille lieues de penser qu’elle ait pu être en danger, j’ai d’abord éclaté de colère. Puis le shérif m’a raconté sa mésaventure. Tout de suite mes sentiments ont viré de bord, de colériques, ils se sont mués en peur. Je l’ai imaginée déjà mutilée, morte dans un coin du square, se débattant contre des violeurs. Ce flash aussi bref qu’angoissant n’a pas annihilé l’étincelle de rage qui sommeille. Il me faut des explications, des raisons valables… de sa bouche. Pourquoi est-elle partie pendant mon malaise ?Je compte lui arracher des aveux à n’importe quel prix. Enfin, la voiture de police pénètre dans l’allée. Anaëlle semble abattue. J’ai autant envie de l’enlacer et de l’embrasser que de la gifler. Penaude, toute débraillée, presque sale ; son corps se déplace lourdement,
Une fois de plus je me dérobe. Mes mots ont choqué Scott, l’ont blessé, mais cette éternelle anxiété face à ceux qui prétendent m’aimer se ranime, comme si le bonheur ne devait pas m’atteindre. Qu’il faut absolument qu’il rate sa cible. Dans ma chambre, les oreillers se transforment en punching-ball, mes mains cognent dessus jusqu’à ce que l’un d’eux explose. Les plumes gravitent au-dessus du lit en s’échouant lamentablement sur la courtepointe. Ma colère n’a d’égale que ma tristesse. En me traînant jusqu’à la salle de bains, le miroir se dresse sur ma route. L’image peu flatteuse qu’il me renvoie, la décrépitude physique, la désuétude morale m’écœurent. Je suis en train d’abandonner les résolutions qui m’ont redonné le goût de vivre. En une seule semaine, ma vie a entamé une ascension phénoménale et une descente aux enfers. Vais-je seulement prendre une décision juste ? En me regardant, mouillée de la tête aux pieds inondant le parquet, les cheveux collés au front, l’impact
Je nage en plein délire depuis le coup de fil de Frank. Son appel et sa panique au téléphone m’ont plus que chamboulé. Il n’a pas su m’annoncer avec tact la mort de mes deux animaux. D’ailleurs, personne n’aurait pu me le dire avec des gants, la douleur de les avoir perdus ne s’explique pas. J’ai cru mourir à mon tour à cette annonce. Nous avons dit adieu à Feu Follet la semaine dernière et, aujourd’hui, son poulain l’a rejointe, suivi de mon meilleur ami à quatre pattes, Gégé. Tous ceux que j’aime et qui gravitent autour de moi s’en vont de la pire des manières. Sans parler de François qui me manque de jour en jour, surtout ces temps-ci. Ma rage de vaincre s’effrite petit à petit, chaque décès m’enterre un peu aussi. Chaque mort creuse ma propre tombe. Et la peur me ronge, la peur de ne plus savoir avancer sans eux me mine. Et ce sentiment profond d’échec me détruit, car j’ai failli à mon devoir de les protéger. Je suis parti en trombe, délaissant Anaëlle, ce détail, qui n’
Cet énième message me laisse complètement démunie. Je ne sais plus ce que je dois faire ou ne pas faire. Il est des choix cornéliens dans l’existence comme celui-ci, mais une chose est sûre, il en va de ma responsabilité. Je dois préserver mon mari, et me préserver aussi, car l’escalade de violence portée sur ses animaux ne peut plus durer. L’auteur du texto ne raconte pas de salades. Si je n’obtempère pas à son commandement de partir, Scott en pâtira… lui et ses bêtes. Voilà une heure que je cogite, retournant tous les scénarios possibles et imaginables dans ma tête. J’en arrive à la même conclusion. Manifestement, ma seule option va dans ce sens. La fuite… encore ! Mais pour d’autres raisons. Je l’aime, je l’aimerai toujours, il ne peut en être autrement. Quoi qu’il se passe à l’avenir, je m’efforcerai de l’oublier, d’oublier l’amour que je ressens à ses côtés, j’oublierai ses bras chauds m’enlacer, sa bouche avide se poser sur moi, l’odeur de son cou quand, frémissante, j
Un lion en cage serait plus calme que moi à l’instant même. Runway fait ronronner son moteur et d’un signe de la main, me dit au revoir de la fenêtre. Je suis dans la merde, c’est la merde totale ! Comment ma vie a-t-elle dérapé de cette manière ? J’accable d’instinct Anaëlle sachant qu’elle n’a à sa charge qu’une partie de mes ennuis. Pourquoi s’évertue-t-elle à vouloir s’en aller ? Pour quelles obscures raisons renonce-t-elle à la fortune ? Et pourquoi renonce-t- elle à notre amour, bon Dieu ! Tic tac… tic tac… tic tac… tic tac… La comtoise me tape sur le système, et stupidement je bats la mesure avec elle du bout de ma botte. Minuit. L’heure du crime. L’heure pour moi de trancher, de mettre fin à ma relation avec Anaëlle ou pas. L’heure de poursuivre ceux qui m’ont agressé, et surtout, ceux qui s’en sont pris à la chair de ma chair, mes animaux. Quand je repense à mon varan occis, mutilé, des larmes de rage me piquent les yeux, je les refoule, fini l’attitude de m
Le hall de Jefferson County tourne au ralenti à cette heure de la nuit. Les bruits étouffés m’angoissent, les gens se déplacent à la vitesse d’un escargot tout autour, les pauvres pèlerins attendant leur avion sommeillent sur des bancs, et les employés de l’aéroport travaillent en traînant les pieds. Une indolence qui contraste avec mon état intérieur. Ce silence amplifie les sons ressortant de ma poitrine. Mon cœur implose devant le spectacle pathétique qui s’offre à moi.Mon monde s’écroule, je dévale les marches de la souffrance, et bientôt l’enfer va s’ouvrir sous mes pieds en les voyant s’embrasser. J’aimerais briser les vitres, dessouder leurs lèvres qui se joignent. Séparer mon mari des lèvres de cette femme et hurler qu’il m’appartient pour la vie, pour le pire et le meilleur. Ça me fout un coup de poignard dans le cœur. De savoir qu’il en aime une autre est une chose, de le constater de visu m’écœure. Et comme une maso, je jette un dernier coup d’œil. C’est malsain, mauv
Assis à même le sol, il semble qu’un aimant m’attire vers Anaëlle. Mes efforts pour garder une distance raisonnable s’apparentent à un défi que j’ai peur de perdre. Juste avant, je l’ai bercée, consolée, et jamais il m’a paru aussi limpide qu’elle et moi, nous ne faisons qu’un. Mes bras sont faits pour l’enlacer, ma bouche pour posséder la sienne. Là, je remue le couteau dans la plaie, et profondément en m’attardant. Mais c’est si compliqué de se résigner, de ne pas lui crier que ma souffrance égale la sienne. Si seulement je pouvais retourner la situation, lui expliquer ce qui s’est réellement passé, elle saurait que cette rouquine ne représente rien pour moi sauf le gage qu’elle reste en vie. Des épreuves, j’en ai surmonté, des petites, des grosses, des montagnes impossible &ag