Le hall de Jefferson County tourne au ralenti à cette heure de la nuit. Les bruits étouffés m’angoissent, les gens se déplacent à la vitesse d’un escargot tout autour, les pauvres pèlerins attendant leur avion sommeillent sur des bancs, et les employés de l’aéroport travaillent en traînant les pieds. Une indolence qui contraste avec mon état intérieur. Ce silence amplifie les sons ressortant de ma poitrine. Mon cœur implose devant le spectacle pathétique qui s’offre à moi.
Mon monde s’écroule, je dévale les marches de la souffrance, et bientôt l’enfer va s’ouvrir sous mes pieds en les voyant s’embrasser. J’aimerais briser les vitres, dessouder leurs lèvres qui se joignent. Séparer mon mari des lèvres de cette femme et hurler qu’il m’appartient pour la vie, pour le pire et le meilleur. Ça me fout un coup de poignard dans le cœur. De savoir qu’il en aime une autre est une chose, de le constater de visu m’écœure. Et comme une maso, je jette un dernier coup d’œil. C’est malsain, mauvAssis à même le sol, il semble qu’un aimant m’attire vers Anaëlle. Mes efforts pour garder une distance raisonnable s’apparentent à un défi que j’ai peur de perdre. Juste avant, je l’ai bercée, consolée, et jamais il m’a paru aussi limpide qu’elle et moi, nous ne faisons qu’un. Mes bras sont faits pour l’enlacer, ma bouche pour posséder la sienne. Là, je remue le couteau dans la plaie, et profondément en m’attardant. Mais c’est si compliqué de se résigner, de ne pas lui crier que ma souffrance égale la sienne. Si seulement je pouvais retourner la situation, lui expliquer ce qui s’est réellement passé, elle saurait que cette rouquine ne représente rien pour moi sauf le gage qu’elle reste en vie. Des épreuves, j’en ai surmonté, des petites, des grosses, des montagnes impossible &ag
Derrière le comptoir désertique, la jeune femme me tend le papier, voyant mon manque de réaction, elle redit mon nom plus fort.Je sursaute.Blatte.Ça sonne si faux, Anaëlle Blois sonne plus juste.J’aimerais crier que je porte le nom de mon mari, que je lui appartiens, qu’aucun autre ne saura sublimer mon corps, faire frissonner mon cœur, se loger dans mes pensées nuit et jour rien qu’à l’évocation de son prénom. La vie avec lui n’aura été qu’une flamme insaisissable, le début d’un brasier ardent étouffé avant son apogée. Tout à l’heure, j’ai crié ma rancœur dans la foule, hurlant mon désespoir à mon mari et fustigeant Sophie par un simple mot. Je me suis aussi mise à nu à cet instant, avec l’espoir d’un retournement de situation. Une maigre lueur au fond de moi a brillé, un brin de magie qui replacerait les choses dans leur contexte initial, soit Scott avec moi et elle, avec son notaire. Mais ils s’en sont allés, bras dessus bras dessous, soudés par leurs main
Le parking dépassé, nous traversons un grand hall à l’allure d’un repaire pour millionnaire. Beaumont possède donc ce genre de bâtiment ! Les boîtes aux lettres alignées sur un pan de mur révèlent des noms en surbrillance qui me sont impossibles à déchiffrer d’où nous sommes. Je présume que les propriétaires entrent dans le lot des businessmans dont le pied-à-terre texan sert à la fois aux affaires et à la villégiature. Les New-Yorkais aiment se ressourcer sur nos terres, puis se vanter de leur périple auprès de leurs amis en se congratulant d’avoir vécu dans un pays hostile. Je suis mort de rire intérieurement.Lorsque mon sérieux revient, la réalité l’accompagne. Ce petit break mental m’a permis de relativiser. Plissard va en avoir pour son argent, dès que nous serons à l’abri des regards, mes poings joueront des castagnettes sur son minois de bourgeois. Je les suis sans broncher. Nous prenons l’ascenseur en compagnie d’une vieille dame. Son petit yorkshire dans les bra
Trente-six heures de vol, douloureux, angoissants et blessants. Baptiste a été le plus compréhensif des hommes, me consolant comme si nous nous étions connus depuis des lustres. Mieux, il m’a considérée comme sa fille, et c’est sur son épaule qu’exténuée, je me suis endormie durant la fin du voyage nous ramenant sur le sol français. À mon grand étonnement, nous avons atterri à Aulnat, l’aéroport proche de Beaumont. J’ai découvert un paysage citadin, entouré de montagnes verdoyantes malgré la chaleur. Les températures sont élevées, mais l’air y est moins suffocant qu’au Texas. L’heure tardive apporte un léger vent frais, assez pour respirer normalement et reprendre contact avec la vraie vie. Car le long courrier Beaumont-Aulnat m’a paru s’éterniser. Je ne sais plus quel jour nous sommes ni même quelle année tellement le jet-lag me déconnecte.— Nos chemins s’arrêtent ici, ma chère Anaëlle.Baptiste me regarde me décomposer, ma tête renvoie toutes mes inquiétudes. Où vais-je all
Je suis attaché à la chaise, n’ayant qu’une faible marge de manœuvre pour me détacher, mes tentatives deviennent hésitantes.Trop occupé à me narrer son projet du début à la fin, Plissard n’a pas jugé bon de me ligoter les jambes. Son plan est aussi aberrant qu’absurde. Il regarde trop de films !Voici un condensé de notre conversation avant qu’il n’aille s’envoyer en l’air.— Comment parviendrez-vous à récupérer légalement la somme que François m’a léguée ?— Facile, tu vois la caméra ? Nous allons jouer une partie de poker, toi, moi, Sophie et un quatrième qui nous rejoindra. Tu perdras tout, et me feras une reconnaissance de dette. C’est astucieux, n’est-ce pas ?Complètement débile me semble plus juste. Je ne connais pas la loi sur le bout des doigts, mais à moins de me tuer puis de faire disparaître mon corps, son idée semble sortie d’une tête de gosse attardé. Là où ma colère m’a rongé, c’est le moment où il m’a avoué qu’Anaëlle sera destituée de ses biens puisq
La petite boutique de Maryse, la femme d’Albert, se situe au centre de la ville de Beaumont. J’en ris encore, comme Baptiste. Ce rire n’enlève rien à mon chagrin, cependant, j’admets que le coup de pouce du destin m’a bien arrangée. Je travaille depuis deux semaines Aux mains d’argent, et réside au-dessus du magasin, dans un studio simple et fonctionnel. Malgré les efforts déployés par mes employeurs, l’étroitesse du lieu me rend claustrophobe, les grands espaces me manquent, le Texas me manque, Scott me manque plus que tout. Je passe mes soirées sur un divan convertible à regarder les photos de notre mariage en retombant amoureuse de lui sans cesse. Pourtant, la face de Sophie me revient comme si c’était tout de suite, je les revois à l’aéroport, son bras sous celui de mon mari, sa bouche collée à la sienne. Avec toutes les preuves du monde sous les yeux, il y a une chose que mon cœur n’accepte pas : le détester. Je l’aime quand même, mon être entier a envie de lui, de ses
— Fais attention à toi, Scott !— Promis, je t’envoie un message en route. Tu crois que... — J’en suis sûr. Hé, mec ! T’es un Texan, un dur à cuire ! Tu t’en es tiré, alors, ce morceau-là, c’est du pipi de chat.— Merci, Frank, merci pour tout.Je prends mon ami dans les bras en le serrant brutalement, à l’image des cow-boys. Il en est différemment de l’intérieur, si à l’extérieur, Scott, le dur à cuire montre au monde entier qu’il tient les rênes, la vérité est toute autre. Mon cœur tambourine en passant les portiques de sécurité, mes jambes flageolent en montant l’escalier de l’avion. Je tends mon billet à l’hôtesse de l’air. Assis sur le siège, la ceinture bouclée, le long courrier perce l’air, les réacteurs tonnent, puis l’allure de croisière me berce un moment. Ce temps de repos, trop court, cesse quand Anaëlle m’apparaît dans un rêve. Elle me déteste, me somme de repartir en me dispensant la plus grosse gifle de ma vie. L
Le soleil cogne contre la paroi vitrée, dispersant les ombres sur le trottoir. Je me colle plus près de la porte vitrée afin de confirmer ma vision. Scott.Il se tient au lampadaire, les yeux rivés sur la boutique.Il attend. Il m’attend.Eh bien, il ne va pas être déçu ! Les souvenirs s’entrechoquent, les bons, les mauvais, les situations, les douleurs, mais aussi les joies, l’amour, la haine. Un tourbillon de sentiments me parcourt. Lequel choisir parmi eux ? La colère ! Je suis en colère contre lui, contre François, contre Sophie, contre… moi ! J’y ai cru. Et ça, ça me mine plus que l’énervement. Le pire, je le tasse bien profondément au fond, car je ne serai pas à la hauteur du combat. Mon amour pour lui évincera ma perception des choses. J’oublie le magasin, mes responsabilités, et me dirige à grands pas sur le trottoir de l’autre côté de la rue.Scott. Scott. Scott.Je répète son prénom jusqu’à ce qu’il soit une série delettres sans aucun sens.Et