Chapitre 3 : Des graines dans la poussière
Les jours passèrent, simples et silencieux, comme une rivière qui coule sans faire de bruit. Adama s’adaptait peu à peu à sa nouvelle vie au village de Kéran. Chaque matin, il se réveillait avec les premiers chants d’oiseaux, aidait Mariam à puiser de l’eau ou à ramasser du bois, puis rejoignait Awa dans les champs. Là-bas, entre les sillons de terre et les pieds d’arachides, le prince déchu se transformait lentement en un homme du peuple. Il apprenait à manier la houe, à planter le mil, à biner sous le soleil, les mains pleines de poussière et le dos courbé. Awa le regardait parfois du coin de l’œil, moqueuse, amusée par ses maladresses de débutant. Mais elle ne se moquait jamais méchamment. Plutôt avec une tendresse cachée, qu’Adama commençait à comprendre. — Tu n’as jamais travaillé la terre de ta vie, hein ? dit-elle un matin. — Tu m’as démasqué, répondit-il avec un sourire en essuyant son front. — Et pourtant, tu t’accroches. — C’est peut-être parce que je découvre enfin ce que c’est… de vivre vraiment. Awa ne répondit pas tout de suite. Elle planta une nouvelle graine, puis leva les yeux vers lui. — Tu n’es pas comme les autres hommes d’ici. — C’est un compliment ? — Je ne sais pas encore, répondit-elle avec un demi-sourire. Le soir, au coin du feu, Mariam racontait des contes anciens. Des histoires d’amour, de guerre, de dieux et d’esprits. Adama écoutait, fasciné. Chez lui, au palais, les griots parlaient aussi, mais tout était codé, mesuré, lié à la gloire des ancêtres. Ici, les histoires avaient le goût du réel. Elles parlaient de choix, de douleurs, de luttes. Et Adama comprenait mieux le monde en les écoutant. Un soir, après le repas, alors que Mariam était partie chez une voisine malade, Awa et Adama se retrouvèrent seuls devant le feu. Le silence était doux, chargé de cette étrange énergie qu’on sent quand deux cœurs s’approchent sans oser se toucher. — Tu ne me dis jamais vraiment d’où tu viens, dit Awa en jetant un morceau de bois dans le feu. — Parce que je crains que si je te le disais… tu ne me regardes plus comme tu le fais maintenant. — Et comment est-ce que je te regarde ? — Comme un homme. Awa resta silencieuse, le regard perdu dans les flammes. — Et si je te disais que je sais déjà ? Adama tourna la tête, surpris. — Qu’est-ce que tu veux dire ? — Je ne suis pas idiote, Ibrahim. Tes manières, ta façon de parler, tes silences… Tu viens d’un autre monde. Peut-être même d’un palais. Adama sentit son cœur s’arrêter une seconde. — Et tu n’as rien dit ? — Je voulais voir jusqu’où tu irais. Si tu étais sincère. Et tu l’es. Il la fixa, touché. — Mon vrai nom est Adama Konaté. Fils du roi Demba de Sogoya. Elle hocha la tête, sans étonnement. — Et tu as fui le palais pour venir ici… cultiver le mil ? — J’ai fui pour vivre, pas juste pour survivre. Là-bas, tout était décidé pour moi. Même la femme que je devais épouser. Awa détourna les yeux. — Et ici ? Tu crois que la vie est plus simple ? On n’a pas de rois, c’est vrai, mais les traditions, les regards, les attentes… tout est là aussi. — Je sais. Mais ici au moins, j’ai le choix de me battre contre ça. Là-bas, c’est interdit. Un silence s’installa. Puis Awa murmura : — Tu sais, j’ai aussi mes chaînes. — Quelles chaînes ? — Mon père était un grand chasseur. Il est mort quand j’étais petite. Ma mère s’est battue pour m’élever seule. Et depuis, tout le monde pense que je dois me marier vite, faire des enfants, suivre la route qu’on a tracée pour moi. Comme si c’était la seule façon d’exister. — Et tu veux ça, toi ? — Je veux aimer. Pas juste obéir. Leurs regards se croisèrent. Quelque chose passa entre eux, fragile et brûlant. — Alors on se ressemble, dit Adama. — Peut-être plus que tu ne crois. Ce soir-là, ils ne dirent plus un mot. Le feu s’éteignit lentement, et chacun partit dormir avec un cœur un peu plus lourd… mais aussi un peu plus vivant. --- Le lendemain, la pluie tomba pour la première fois depuis des semaines. Une pluie douce, chaude, qui nettoya la poussière et rafraîchit l’air. Adama et Awa dansèrent sous les gouttes comme deux enfants, riant, glissant, s’éclaboussant. Dans ce rire partagé, il n’y avait plus de prince. Plus de fille du village. Juste deux âmes, mouillées de vérité. Et peut-être, au fond d’eux, l’idée que quelque chose était en train de naître. Quelque chose de rare. Quelque chose de vrai.Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 15 : L’ombre du douteLe vent soufflait fort sur le palais ce matin-là. Il portait avec lui une tension étrange, presque palpable. Les gardes étaient plus nerveux que d’habitude, les couloirs plus silencieux. Quelque chose flottait dans l’air, un pressentiment que tout allait bientôt changer.Dans sa chambre, le roi Demba se réveilla plus tôt que prévu. Sa toux le secouait avec violence. Il avait perdu du poids, sa peau était pâle, ses gestes plus lents. Les guérisseurs faisaient de leur mieux, mais tous savaient qu’il ne restait plus beaucoup de temps. Lui aussi le sentait.— Où est Adama ? demanda-t-il faiblement à son serviteur.— Il est encore en tournée, Sire. Dans les villages du sud cette semaine.Le roi ferma les yeux. Une douleur sourde lui traversa la poitrine, mais ce n’était pas seulement physique. C’était cette inquiétude qui grandissait en lui depuis des jours, nourrie par les paroles insidieuses de Kouréma et de certains
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 14 : Le souffle du peupleLe soleil n’était pas encore levé que déjà, le village de Kouni s’éveillait à une activité inhabituelle. On parlait avec agitation dans les ruelles, les anciens sortaient leurs tabourets, les femmes interrompaient la préparation du petit-déjeuner pour tendre l’oreille, et les enfants couraient en annonçant la nouvelle. Adama, le fils du roi, venait en personne.Cela faisait longtemps qu’aucun membre de la famille royale n’avait mis les pieds ici. Le palais s’était peu à peu éloigné de la réalité du peuple, enfermé dans ses murs, ses traditions figées et ses intérêts personnels. Mais aujourd’hui, le prince en chair et en os avait décidé de venir écouter. Pas pour donner des ordres. Pas pour juger. Mais pour entendre.Lorsqu’Adama et son petit groupe entrèrent dans le village, un silence curieux s’installa. Il portait une tunique simple, les couleurs du royaume discrètes sur ses épaules. Pas de carrosse, pas de
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 13 : Alliances en secretLe jour se leva doucement sur le royaume, apportant avec lui une brise légère qui semblait vouloir calmer les esprits. Mais dans le cœur d’Adama, il n’y avait ni calme, ni repos. Il savait que les prochains jours allaient être décisifs. La tension montait, comme une corde qu’on tirait trop fort. Et tôt ou tard, elle allait casser.Après la réunion secrète tenue avec ses proches alliés, Adama savait qu’il ne pouvait plus se contenter de discours. Il fallait passer à l’action. Mais dans l’ombre, ses ennemis aussi se mettaient en mouvement. Le conseiller Kouréma ne perdait pas de temps. Il avait déjà envoyé des messagers discrets aux chefs de village, aux gardiens des traditions, aux anciens influents qui voyaient en Adama une menace pour l’ordre établi.— Il faut briser le lien entre le peuple et lui, disait-il à voix basse à ses complices. Si nous coupons ses racines, il tombera comme un arbre mort.De son côté,
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 12 : Le piège du pouvoirAdama savait que la guerre silencieuse avait commencé. Après son discours devant le peuple, les murs du palais se refermaient autour de lui, et la pression montait chaque jour un peu plus. Les conseillers de son père avaient l’air d’avoir oublié leur rôle de conseillers pour devenir des ennemis silencieux. Ils étaient là, dans l’ombre, attendant le moment propice pour le réduire au silence. Il n’était pas naïf. Il savait que ses paroles avaient jeté une pierre dans un lac calme, et que les vagues allaient finir par le submerger.Le prince s’était isolé dans ses appartements, l’esprit tourmenté. Il était fatigué, non seulement de la maladie qui l'affaiblissait, mais aussi des pensées incessantes qui l’assaillaient. Son rêve d’un royaume plus juste semblait de plus en plus irréalisable à mesure que les jours passaient. Ses ennemis, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais, se préparaient à le faire tom
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 11 : Les Ombres du PalaisLe lendemain, après le discours d’Adama sur la place du village, un silence étrange régna sur le palais. L’effet de ses paroles continuait de se faire sentir, comme une onde qui se propage lentement, mais de manière irréversible. Le vent du changement soufflait fort, et même les murs de marbre du palais semblaient vibrer sous son souffle. Mais dans les coulisses, le poids de l’autorité royale, la vieille garde et les conseillers du roi se resserraient autour du jeune prince.Kouréma, le plus fidèle des conseillers du roi, se rendit directement dans les appartements privés du roi Demba, le visage marqué par l’inquiétude.— Sire, vous avez vu ce qu’il a fait, dit Kouréma d’une voix grave. Le prince Adama a défié le royaume. Il a mis la royauté en question devant le peuple. C’est une insulte, pas seulement pour vous, mais pour l’héritage de ce royaume !Le roi, allongé dans son grand lit, leva lentement la tête.
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 10 : Le poids du trôneLe lendemain de la conversation avec son père, Adama se retrouva à nouveau dans le grand hall du palais. Le sentiment d’étouffement qui l’avait envahi en écoutant les mots de son père ne s’était pas dissipé. Le roi Demba, bien que malade, ne semblait pas avoir perdu sa capacité à imposer son autorité, ni à se montrer inflexible dans ses convictions. Mais Adama savait, au fond de lui, que ce n’était pas ce qu’il voulait. Pas ce qu’il recherchait pour son peuple, ni pour lui-même.Il se rendit à l’extérieur, dans les jardins du palais, où il espérait trouver un peu de tranquillité. L’air était lourd, chargé de chaleur, et les oiseaux ne chantaient plus comme avant. Le jardin, autrefois un havre de paix, semblait désormais être un lieu de réflexion douloureuse. Il s’assit sur un banc, son esprit en tourmente, quand une voix familière se fit entendre derrière lui.— Adama.Il tourna la tête pour voir Awa s’approcher,
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 9 : L’épreuve du pouvoirLe matin se leva sur un royaume encore ébranlé par le retour du prince Adama. Le palais, habituellement si silencieux, semblait vibrer d’une tension nouvelle. Les anciens se murmuraient des propos inquiétants dans les couloirs, les gardes se faisaient plus nerveux, et même les serviteurs semblaient plus pressés. Tout le monde savait que quelque chose d’important allait se passer. Le prince était revenu, mais il n'était pas seul.Adama avait pris la décision de ne pas se laisser dominer par les conventions du palais. Ce matin-là, il choisit d’aller à la rencontre du peuple, sans escorte, sans cérémonie. Il voulait voir de ses propres yeux comment le royaume réagissait à son retour. Il laissa Awa dans le palais, consciente de l’importance de ce geste.Il marcha seul dans les rues pavées de la capitale, observant les visages des habitants. Certains le saluaient chaleureusement, d’autres détournaient le regard, mai
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 8 : L’étrangère au palaisLe retour d’Adama au palais n’était pas passé inaperçu. Dès l’aube, la nouvelle s’était répandue comme un feu sur de l’herbe sèche : le prince disparu était revenu. Certains en étaient soulagés, d’autres, beaucoup moins. Car avec lui, il n’était pas revenu seul.Awa marchait timidement dans les couloirs de marbre, les pieds nus sur des tapis moelleux qu’elle n’osait fouler. Son regard se posait partout, émerveillé, un peu inquiet. Les colonnes, les dorures, les fontaines… ce monde était loin de Kéran. Trop loin. Elle n’y comprenait rien. Elle ne savait pas comment s’y tenir, ni quoi dire, ni à qui parler.Les regards la suivaient. Certains curieux, d’autres froids, méprisants. Les femmes du palais, élégantes et hautaines, chuchotaient sur son passage. Elle n’était pas des leurs. Ça se voyait. Ça se sentait. Une simple villageoise n’avait pas sa place ici.Adama l’avait conduite à une chambre, simple malgré le
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 7 : Entre deux mondesLes deux jours demandés par Adama s’écoulèrent trop vite. Chaque heure semblait filer comme le sable entre les doigts, et chaque minute apportait son lot de doutes. Depuis l’arrivée des cavaliers, tout le village vivait dans une tension sourde. On ne disait rien, mais tout le monde savait. Le prince devait choisir entre rester ou repartir. Entre l’amour et le devoir. Entre un présent fragile et un passé lourd.Awa était restée près de lui, sans le forcer, sans l’influencer. Elle savait que la décision devait venir de lui. Mais dans son cœur, une peur grandissait : celle de le perdre.Assis au bord du ruisseau, Adama repensait à tout. À son enfance dans le palais, aux grandes salles froides, aux discours des anciens, à l’absence de sa mère, morte trop tôt. Il repensait à son père, le roi Demba, sévère, distant, mais fier. Et puis il revoyait Kéran, ce village où il avait enfin appris à vivre. Où il avait ri. Travai