Un roman de ATECOSSI M
Chapitre 2 : Loin du trône, près du cœur Le soleil tapait fort sur le sentier poussiéreux qui serpentait à travers la savane. Adama marchait depuis l’aube, sans s’arrêter. Il avait quitté le palais avec seulement un petit sac de provisions, une gourde d’eau, et le foulard bleu que sa mère lui avait noué autour du cou. Rien de plus. Rien d’autre que son nom et sa colère. Il n’avait pas pleuré. Pas encore. Mais quelque chose s’était brisé en lui quand il avait franchi la grande porte du palais. C’était plus qu’un départ. C’était un exil. Un refus d’être enfermé dans une vie qu’on lui avait tracée sans son consentement. Le vent chaud caressait son visage, soulevant des grains de sable sur son chemin. Il ne savait pas où il allait, mais il marchait avec l’espoir de trouver un lieu où il pourrait exister autrement. Où il pourrait aimer librement. Vivre sans devoir jouer un rôle. Vers midi, il s’arrêta à l’ombre d’un vieux néré. Il s’assit, but une gorgée d’eau, puis ferma les yeux. Le silence de la nature lui fit du bien. Ici, personne ne l’appelait « Prince Adama ». Personne ne lui disait ce qu’il devait faire. Il n’était qu’un homme parmi d’autres. Soudain, il entendit un bruit. Un chant. Doux, lointain. Une voix de femme, claire et posée, qui montait et descendait comme une rivière tranquille. Il se leva doucement, intrigué, et suivit le son. À quelques pas de là, cachée derrière un buisson, il vit une jeune fille agenouillée au bord d’une source. Elle lavait des légumes dans une bassine tout en chantant. Elle portait un pagne simple, ses cheveux attachés en tresses courtes, ses bras fins décorés de perles. Elle ne l’avait pas encore remarqué. Adama, fasciné, s’avança prudemment. — Ton chant est beau, dit-il doucement. Elle se retourna brusquement, surprise. Elle le fixa un moment, les yeux méfiants. — Qui es-tu ? demanda-t-elle. — Je suis… un voyageur. Il ne voulait pas dire qu’il était prince. Pas encore. Il voulait qu’on le voie autrement. Pour une fois. Elle le regarda de haut en bas. — Tu n’as pas l’air d’un voyageur ordinaire. — Peut-être parce que je ne suis pas ordinaire, répondit-il avec un petit sourire. Elle ne sourit pas. Pas encore. — Tu as faim ? Adama hocha la tête. Elle sortit un morceau de manioc de sa calebasse et le lui tendit. Il le prit, surpris de sa gentillesse soudaine. — Merci… — Awa. — Pardon ? — Mon nom. C’est Awa. Il la remercia d’un signe de tête. — Moi c’est… Ibrahim, dit-il en improvisant un nom. Elle haussa un sourcil. — Ibrahim, hein ? D’accord, Ibrahim. Tu viens d’où ? — De loin. D’un endroit où les gens oublient parfois ce que signifie être libre. Awa le regarda encore un moment, puis reprit son travail sans répondre. Le silence s’installa, mais ce n’était pas un silence pesant. Plutôt un silence curieux. Deux âmes qui s’observent sans trop se dévoiler. Au bout d’un moment, elle se leva et essuya ses mains sur son pagne. — Si tu n’as pas d’endroit où dormir, ma mère tient une case pour voyageurs. C’est modeste, mais tu y seras bien. — Merci, dit-il sincèrement. Elle le guida à travers les sentiers du village. Kéran. Un petit hameau à flanc de colline, entouré de champs et de rizières. Les enfants jouaient pieds nus, les femmes pilaient le mil, les hommes travaillaient sous le soleil. C’était simple. Mais vivant. La maison de Mariam, la mère d’Awa, était faite d’argile séchée, avec un toit de paille bien entretenu. À leur arrivée, Mariam accueillit Adama avec un sourire bienveillant. — Ibrahim, hein ? Tu as un visage franc. Entre, fils. Ce soir-là, Adama mangea autour du feu avec elles. Riz, sauce de gombo, poisson séché. Il n’avait jamais goûté un plat aussi simple et aussi bon. Dans le regard de Mariam, il sentait une chaleur qu’il n’avait jamais eue au palais. Après le repas, ils parlèrent longtemps. De tout. De rien. De la pluie, des saisons, des ancêtres, des rêves. Et Awa… Awa écoutait, intervenait parfois, posait des questions. Elle ne riait pas facilement, mais quand elle le faisait, c’était franc. Vrai. Pur. Plus la nuit avançait, plus Adama sentait son cœur se calmer. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait à sa place. Ici, dans cette case de terre battue, loin des dorures du palais. Quand vint le moment de dormir, Mariam lui installa un matelas en fibres de rônier dans un petit coin de la maison. — Tu es ici chez toi, Ibrahim. Il la remercia. Mais dans le silence de la nuit, allongé sur sa natte, Adama ouvrit les yeux et fixa le plafond. Il pensait à son père. À sa mère. À Sory. Et à tout ce qu’il venait de quitter. Puis il pensa à Awa. À ses yeux. À sa voix. À sa force tranquille. Et il sourit. Il ne savait pas encore ce que l’avenir lui réservait. Mais il savait une chose : sa fuite n’était pas une fin. C’était un commencement.Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 15 : L’ombre du douteLe vent soufflait fort sur le palais ce matin-là. Il portait avec lui une tension étrange, presque palpable. Les gardes étaient plus nerveux que d’habitude, les couloirs plus silencieux. Quelque chose flottait dans l’air, un pressentiment que tout allait bientôt changer.Dans sa chambre, le roi Demba se réveilla plus tôt que prévu. Sa toux le secouait avec violence. Il avait perdu du poids, sa peau était pâle, ses gestes plus lents. Les guérisseurs faisaient de leur mieux, mais tous savaient qu’il ne restait plus beaucoup de temps. Lui aussi le sentait.— Où est Adama ? demanda-t-il faiblement à son serviteur.— Il est encore en tournée, Sire. Dans les villages du sud cette semaine.Le roi ferma les yeux. Une douleur sourde lui traversa la poitrine, mais ce n’était pas seulement physique. C’était cette inquiétude qui grandissait en lui depuis des jours, nourrie par les paroles insidieuses de Kouréma et de certains
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 14 : Le souffle du peupleLe soleil n’était pas encore levé que déjà, le village de Kouni s’éveillait à une activité inhabituelle. On parlait avec agitation dans les ruelles, les anciens sortaient leurs tabourets, les femmes interrompaient la préparation du petit-déjeuner pour tendre l’oreille, et les enfants couraient en annonçant la nouvelle. Adama, le fils du roi, venait en personne.Cela faisait longtemps qu’aucun membre de la famille royale n’avait mis les pieds ici. Le palais s’était peu à peu éloigné de la réalité du peuple, enfermé dans ses murs, ses traditions figées et ses intérêts personnels. Mais aujourd’hui, le prince en chair et en os avait décidé de venir écouter. Pas pour donner des ordres. Pas pour juger. Mais pour entendre.Lorsqu’Adama et son petit groupe entrèrent dans le village, un silence curieux s’installa. Il portait une tunique simple, les couleurs du royaume discrètes sur ses épaules. Pas de carrosse, pas de
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 13 : Alliances en secretLe jour se leva doucement sur le royaume, apportant avec lui une brise légère qui semblait vouloir calmer les esprits. Mais dans le cœur d’Adama, il n’y avait ni calme, ni repos. Il savait que les prochains jours allaient être décisifs. La tension montait, comme une corde qu’on tirait trop fort. Et tôt ou tard, elle allait casser.Après la réunion secrète tenue avec ses proches alliés, Adama savait qu’il ne pouvait plus se contenter de discours. Il fallait passer à l’action. Mais dans l’ombre, ses ennemis aussi se mettaient en mouvement. Le conseiller Kouréma ne perdait pas de temps. Il avait déjà envoyé des messagers discrets aux chefs de village, aux gardiens des traditions, aux anciens influents qui voyaient en Adama une menace pour l’ordre établi.— Il faut briser le lien entre le peuple et lui, disait-il à voix basse à ses complices. Si nous coupons ses racines, il tombera comme un arbre mort.De son côté,
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 12 : Le piège du pouvoirAdama savait que la guerre silencieuse avait commencé. Après son discours devant le peuple, les murs du palais se refermaient autour de lui, et la pression montait chaque jour un peu plus. Les conseillers de son père avaient l’air d’avoir oublié leur rôle de conseillers pour devenir des ennemis silencieux. Ils étaient là, dans l’ombre, attendant le moment propice pour le réduire au silence. Il n’était pas naïf. Il savait que ses paroles avaient jeté une pierre dans un lac calme, et que les vagues allaient finir par le submerger.Le prince s’était isolé dans ses appartements, l’esprit tourmenté. Il était fatigué, non seulement de la maladie qui l'affaiblissait, mais aussi des pensées incessantes qui l’assaillaient. Son rêve d’un royaume plus juste semblait de plus en plus irréalisable à mesure que les jours passaient. Ses ennemis, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais, se préparaient à le faire tom
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 11 : Les Ombres du PalaisLe lendemain, après le discours d’Adama sur la place du village, un silence étrange régna sur le palais. L’effet de ses paroles continuait de se faire sentir, comme une onde qui se propage lentement, mais de manière irréversible. Le vent du changement soufflait fort, et même les murs de marbre du palais semblaient vibrer sous son souffle. Mais dans les coulisses, le poids de l’autorité royale, la vieille garde et les conseillers du roi se resserraient autour du jeune prince.Kouréma, le plus fidèle des conseillers du roi, se rendit directement dans les appartements privés du roi Demba, le visage marqué par l’inquiétude.— Sire, vous avez vu ce qu’il a fait, dit Kouréma d’une voix grave. Le prince Adama a défié le royaume. Il a mis la royauté en question devant le peuple. C’est une insulte, pas seulement pour vous, mais pour l’héritage de ce royaume !Le roi, allongé dans son grand lit, leva lentement la tête.
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 10 : Le poids du trôneLe lendemain de la conversation avec son père, Adama se retrouva à nouveau dans le grand hall du palais. Le sentiment d’étouffement qui l’avait envahi en écoutant les mots de son père ne s’était pas dissipé. Le roi Demba, bien que malade, ne semblait pas avoir perdu sa capacité à imposer son autorité, ni à se montrer inflexible dans ses convictions. Mais Adama savait, au fond de lui, que ce n’était pas ce qu’il voulait. Pas ce qu’il recherchait pour son peuple, ni pour lui-même.Il se rendit à l’extérieur, dans les jardins du palais, où il espérait trouver un peu de tranquillité. L’air était lourd, chargé de chaleur, et les oiseaux ne chantaient plus comme avant. Le jardin, autrefois un havre de paix, semblait désormais être un lieu de réflexion douloureuse. Il s’assit sur un banc, son esprit en tourmente, quand une voix familière se fit entendre derrière lui.— Adama.Il tourna la tête pour voir Awa s’approcher,
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 9 : L’épreuve du pouvoirLe matin se leva sur un royaume encore ébranlé par le retour du prince Adama. Le palais, habituellement si silencieux, semblait vibrer d’une tension nouvelle. Les anciens se murmuraient des propos inquiétants dans les couloirs, les gardes se faisaient plus nerveux, et même les serviteurs semblaient plus pressés. Tout le monde savait que quelque chose d’important allait se passer. Le prince était revenu, mais il n'était pas seul.Adama avait pris la décision de ne pas se laisser dominer par les conventions du palais. Ce matin-là, il choisit d’aller à la rencontre du peuple, sans escorte, sans cérémonie. Il voulait voir de ses propres yeux comment le royaume réagissait à son retour. Il laissa Awa dans le palais, consciente de l’importance de ce geste.Il marcha seul dans les rues pavées de la capitale, observant les visages des habitants. Certains le saluaient chaleureusement, d’autres détournaient le regard, mai
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 8 : L’étrangère au palaisLe retour d’Adama au palais n’était pas passé inaperçu. Dès l’aube, la nouvelle s’était répandue comme un feu sur de l’herbe sèche : le prince disparu était revenu. Certains en étaient soulagés, d’autres, beaucoup moins. Car avec lui, il n’était pas revenu seul.Awa marchait timidement dans les couloirs de marbre, les pieds nus sur des tapis moelleux qu’elle n’osait fouler. Son regard se posait partout, émerveillé, un peu inquiet. Les colonnes, les dorures, les fontaines… ce monde était loin de Kéran. Trop loin. Elle n’y comprenait rien. Elle ne savait pas comment s’y tenir, ni quoi dire, ni à qui parler.Les regards la suivaient. Certains curieux, d’autres froids, méprisants. Les femmes du palais, élégantes et hautaines, chuchotaient sur son passage. Elle n’était pas des leurs. Ça se voyait. Ça se sentait. Une simple villageoise n’avait pas sa place ici.Adama l’avait conduite à une chambre, simple malgré le
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 7 : Entre deux mondesLes deux jours demandés par Adama s’écoulèrent trop vite. Chaque heure semblait filer comme le sable entre les doigts, et chaque minute apportait son lot de doutes. Depuis l’arrivée des cavaliers, tout le village vivait dans une tension sourde. On ne disait rien, mais tout le monde savait. Le prince devait choisir entre rester ou repartir. Entre l’amour et le devoir. Entre un présent fragile et un passé lourd.Awa était restée près de lui, sans le forcer, sans l’influencer. Elle savait que la décision devait venir de lui. Mais dans son cœur, une peur grandissait : celle de le perdre.Assis au bord du ruisseau, Adama repensait à tout. À son enfance dans le palais, aux grandes salles froides, aux discours des anciens, à l’absence de sa mère, morte trop tôt. Il repensait à son père, le roi Demba, sévère, distant, mais fier. Et puis il revoyait Kéran, ce village où il avait enfin appris à vivre. Où il avait ri. Travai