Chapitre 4 : Le murmure des anciens
Les jours s’égrenaient comme les grains d’un chapelet. Adama commençait à être connu dans le village de Kéran. Les femmes le saluaient d’un sourire quand il passait avec ses seaux d’eau, les enfants lui couraient après, criant "Ibrahim, Ibrahim !" et les vieux lui faisaient signe de la tête, silencieux mais attentifs. Il n’était plus un étranger. Il devenait un fils du village. Mais dans le silence des ruelles, il sentait parfois des regards se poser sur lui, curieux, lourds, presque soupçonneux. Certains anciens avaient l’œil vif. Ils savaient reconnaître ceux qui ne viennent pas d’ici. Un matin, alors qu’il coupait du bois avec un jeune du nom de Kalil, un vieillard s’approcha de lui. Vêtu d’un boubou blanc, le dos voûté par les années mais les yeux clairs comme l’eau d’une source. — Tu es fort pour quelqu’un qui n’a pas grandi avec la machette à la main, dit-il. Adama s’arrêta, surpris. — Je fais de mon mieux, père. Le vieux hocha lentement la tête. — C’est bien. Mais il ne suffit pas de couper du bois pour être des nôtres. Tu portes en toi une histoire que tu caches. Adama ne répondit pas. Kalil s’éloigna discrètement. — Je m’appelle Tierno. Je suis le doyen du village. Et je vois plus que ce que je dis. Il s’approcha d’Adama. — Il y a dans ton regard la tristesse de ceux qu’on a privés de liberté, mais aussi l’arrogance de ceux qui ont grandi sur des coussins d’or. Tu n’es pas seulement "Ibrahim". Adama soupira. — Non. Je suis Adama Konaté, fils du roi Demba de Sogoya. Tierno resta un moment silencieux, puis s’assit lentement sur une pierre. — Alors c’est vrai… Le fils du roi a fui. Et il est ici, dans notre village. Avec nos filles. Nos histoires. Adama s’agenouilla devant lui. — Je n’ai pas fui pour dominer. J’ai fui pour respirer. Pour être moi. Et si je dois partir d’ici pour vous protéger de mon nom, je partirai. Le vieux le regarda longuement. — Ne sois pas pressé de fuir encore. Mais sache que ton passé finira par te rattraper. Il le fait toujours. Il se leva, posa une main sur son épaule, et s’éloigna sans ajouter un mot. --- Ce soir-là, Awa sentit qu’Adama était plus silencieux que d’habitude. Il triturait ses doigts, le regard perdu dans la flamme. — Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle. — Je crois que le village commence à savoir. — Pour ton identité ? — Oui. Le vieux Tierno m’a parlé ce matin. Awa hocha la tête, sans panique. — Ils vont parler, c’est sûr. Mais s’ils voient ton cœur, ils te jugeront sur ce que tu es ici, pas sur ce que tu as fui. — Et toi ? Tu me juges comment ? — Comme un homme qui doute. Mais qui essaie. Et qui est vrai. Il se tourna vers elle, touché par sa réponse. — Tu sais, je n’ai jamais connu ce genre de vérité au palais. Là-bas, tout est apparence. Ici, je peux être faible sans honte. Et fort sans écraser. Elle sourit doucement. — Peut-être que c’est ça, aimer. Se voir vraiment. Le silence retomba. Doux. Complice. Puis Awa dit, presque à voix basse : — Ma mère m’a demandé ce que je ressentais pour toi. — Et qu’as-tu répondu ? — Que je ne sais pas encore. Mais que je suis prête à le découvrir. Adama sentit son cœur battre plus vite. — Et moi… je veux découvrir ça avec toi. Lentement. Avec respect. Leurs mains se frôlèrent. Juste ça. Une chaleur discrète. Mais un monde entier dans ce simple contact. --- Le lendemain, un messager du royaume de Sogoya arriva au village. À cheval. Fatigué, couvert de poussière. Il ne connaissait pas Adama personnellement, mais il portait une annonce : le roi Demba offrait une grande récompense à quiconque retrouverait son fils disparu. Tierno écouta en silence. Puis il répondit au messager : — Il n’y a pas de prince ici. Seulement des hommes libres. Mais le vent changeait. Le murmure du palais avait atteint les collines de Kéran. Et le cœur d’Adama savait que son calme n’était qu’un répit.Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 15 : L’ombre du douteLe vent soufflait fort sur le palais ce matin-là. Il portait avec lui une tension étrange, presque palpable. Les gardes étaient plus nerveux que d’habitude, les couloirs plus silencieux. Quelque chose flottait dans l’air, un pressentiment que tout allait bientôt changer.Dans sa chambre, le roi Demba se réveilla plus tôt que prévu. Sa toux le secouait avec violence. Il avait perdu du poids, sa peau était pâle, ses gestes plus lents. Les guérisseurs faisaient de leur mieux, mais tous savaient qu’il ne restait plus beaucoup de temps. Lui aussi le sentait.— Où est Adama ? demanda-t-il faiblement à son serviteur.— Il est encore en tournée, Sire. Dans les villages du sud cette semaine.Le roi ferma les yeux. Une douleur sourde lui traversa la poitrine, mais ce n’était pas seulement physique. C’était cette inquiétude qui grandissait en lui depuis des jours, nourrie par les paroles insidieuses de Kouréma et de certains
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 14 : Le souffle du peupleLe soleil n’était pas encore levé que déjà, le village de Kouni s’éveillait à une activité inhabituelle. On parlait avec agitation dans les ruelles, les anciens sortaient leurs tabourets, les femmes interrompaient la préparation du petit-déjeuner pour tendre l’oreille, et les enfants couraient en annonçant la nouvelle. Adama, le fils du roi, venait en personne.Cela faisait longtemps qu’aucun membre de la famille royale n’avait mis les pieds ici. Le palais s’était peu à peu éloigné de la réalité du peuple, enfermé dans ses murs, ses traditions figées et ses intérêts personnels. Mais aujourd’hui, le prince en chair et en os avait décidé de venir écouter. Pas pour donner des ordres. Pas pour juger. Mais pour entendre.Lorsqu’Adama et son petit groupe entrèrent dans le village, un silence curieux s’installa. Il portait une tunique simple, les couleurs du royaume discrètes sur ses épaules. Pas de carrosse, pas de
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 13 : Alliances en secretLe jour se leva doucement sur le royaume, apportant avec lui une brise légère qui semblait vouloir calmer les esprits. Mais dans le cœur d’Adama, il n’y avait ni calme, ni repos. Il savait que les prochains jours allaient être décisifs. La tension montait, comme une corde qu’on tirait trop fort. Et tôt ou tard, elle allait casser.Après la réunion secrète tenue avec ses proches alliés, Adama savait qu’il ne pouvait plus se contenter de discours. Il fallait passer à l’action. Mais dans l’ombre, ses ennemis aussi se mettaient en mouvement. Le conseiller Kouréma ne perdait pas de temps. Il avait déjà envoyé des messagers discrets aux chefs de village, aux gardiens des traditions, aux anciens influents qui voyaient en Adama une menace pour l’ordre établi.— Il faut briser le lien entre le peuple et lui, disait-il à voix basse à ses complices. Si nous coupons ses racines, il tombera comme un arbre mort.De son côté,
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 12 : Le piège du pouvoirAdama savait que la guerre silencieuse avait commencé. Après son discours devant le peuple, les murs du palais se refermaient autour de lui, et la pression montait chaque jour un peu plus. Les conseillers de son père avaient l’air d’avoir oublié leur rôle de conseillers pour devenir des ennemis silencieux. Ils étaient là, dans l’ombre, attendant le moment propice pour le réduire au silence. Il n’était pas naïf. Il savait que ses paroles avaient jeté une pierre dans un lac calme, et que les vagues allaient finir par le submerger.Le prince s’était isolé dans ses appartements, l’esprit tourmenté. Il était fatigué, non seulement de la maladie qui l'affaiblissait, mais aussi des pensées incessantes qui l’assaillaient. Son rêve d’un royaume plus juste semblait de plus en plus irréalisable à mesure que les jours passaient. Ses ennemis, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du palais, se préparaient à le faire tom
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 11 : Les Ombres du PalaisLe lendemain, après le discours d’Adama sur la place du village, un silence étrange régna sur le palais. L’effet de ses paroles continuait de se faire sentir, comme une onde qui se propage lentement, mais de manière irréversible. Le vent du changement soufflait fort, et même les murs de marbre du palais semblaient vibrer sous son souffle. Mais dans les coulisses, le poids de l’autorité royale, la vieille garde et les conseillers du roi se resserraient autour du jeune prince.Kouréma, le plus fidèle des conseillers du roi, se rendit directement dans les appartements privés du roi Demba, le visage marqué par l’inquiétude.— Sire, vous avez vu ce qu’il a fait, dit Kouréma d’une voix grave. Le prince Adama a défié le royaume. Il a mis la royauté en question devant le peuple. C’est une insulte, pas seulement pour vous, mais pour l’héritage de ce royaume !Le roi, allongé dans son grand lit, leva lentement la tête.
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 10 : Le poids du trôneLe lendemain de la conversation avec son père, Adama se retrouva à nouveau dans le grand hall du palais. Le sentiment d’étouffement qui l’avait envahi en écoutant les mots de son père ne s’était pas dissipé. Le roi Demba, bien que malade, ne semblait pas avoir perdu sa capacité à imposer son autorité, ni à se montrer inflexible dans ses convictions. Mais Adama savait, au fond de lui, que ce n’était pas ce qu’il voulait. Pas ce qu’il recherchait pour son peuple, ni pour lui-même.Il se rendit à l’extérieur, dans les jardins du palais, où il espérait trouver un peu de tranquillité. L’air était lourd, chargé de chaleur, et les oiseaux ne chantaient plus comme avant. Le jardin, autrefois un havre de paix, semblait désormais être un lieu de réflexion douloureuse. Il s’assit sur un banc, son esprit en tourmente, quand une voix familière se fit entendre derrière lui.— Adama.Il tourna la tête pour voir Awa s’approcher,
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 9 : L’épreuve du pouvoirLe matin se leva sur un royaume encore ébranlé par le retour du prince Adama. Le palais, habituellement si silencieux, semblait vibrer d’une tension nouvelle. Les anciens se murmuraient des propos inquiétants dans les couloirs, les gardes se faisaient plus nerveux, et même les serviteurs semblaient plus pressés. Tout le monde savait que quelque chose d’important allait se passer. Le prince était revenu, mais il n'était pas seul.Adama avait pris la décision de ne pas se laisser dominer par les conventions du palais. Ce matin-là, il choisit d’aller à la rencontre du peuple, sans escorte, sans cérémonie. Il voulait voir de ses propres yeux comment le royaume réagissait à son retour. Il laissa Awa dans le palais, consciente de l’importance de ce geste.Il marcha seul dans les rues pavées de la capitale, observant les visages des habitants. Certains le saluaient chaleureusement, d’autres détournaient le regard, mai
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 8 : L’étrangère au palaisLe retour d’Adama au palais n’était pas passé inaperçu. Dès l’aube, la nouvelle s’était répandue comme un feu sur de l’herbe sèche : le prince disparu était revenu. Certains en étaient soulagés, d’autres, beaucoup moins. Car avec lui, il n’était pas revenu seul.Awa marchait timidement dans les couloirs de marbre, les pieds nus sur des tapis moelleux qu’elle n’osait fouler. Son regard se posait partout, émerveillé, un peu inquiet. Les colonnes, les dorures, les fontaines… ce monde était loin de Kéran. Trop loin. Elle n’y comprenait rien. Elle ne savait pas comment s’y tenir, ni quoi dire, ni à qui parler.Les regards la suivaient. Certains curieux, d’autres froids, méprisants. Les femmes du palais, élégantes et hautaines, chuchotaient sur son passage. Elle n’était pas des leurs. Ça se voyait. Ça se sentait. Une simple villageoise n’avait pas sa place ici.Adama l’avait conduite à une chambre, simple malgré le
Les cœurs séparésUn roman de ATECOSSI MChapitre 7 : Entre deux mondesLes deux jours demandés par Adama s’écoulèrent trop vite. Chaque heure semblait filer comme le sable entre les doigts, et chaque minute apportait son lot de doutes. Depuis l’arrivée des cavaliers, tout le village vivait dans une tension sourde. On ne disait rien, mais tout le monde savait. Le prince devait choisir entre rester ou repartir. Entre l’amour et le devoir. Entre un présent fragile et un passé lourd.Awa était restée près de lui, sans le forcer, sans l’influencer. Elle savait que la décision devait venir de lui. Mais dans son cœur, une peur grandissait : celle de le perdre.Assis au bord du ruisseau, Adama repensait à tout. À son enfance dans le palais, aux grandes salles froides, aux discours des anciens, à l’absence de sa mère, morte trop tôt. Il repensait à son père, le roi Demba, sévère, distant, mais fier. Et puis il revoyait Kéran, ce village où il avait enfin appris à vivre. Où il avait ri. Travai