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Les coeurs séparés

last update Last Updated: 2025-04-30 22:24:09

Chapitre 4 : Le murmure des anciens

Les jours s’égrenaient comme les grains d’un chapelet. Adama commençait à être connu dans le village de Kéran. Les femmes le saluaient d’un sourire quand il passait avec ses seaux d’eau, les enfants lui couraient après, criant "Ibrahim, Ibrahim !" et les vieux lui faisaient signe de la tête, silencieux mais attentifs. Il n’était plus un étranger. Il devenait un fils du village.

Mais dans le silence des ruelles, il sentait parfois des regards se poser sur lui, curieux, lourds, presque soupçonneux. Certains anciens avaient l’œil vif. Ils savaient reconnaître ceux qui ne viennent pas d’ici.

Un matin, alors qu’il coupait du bois avec un jeune du nom de Kalil, un vieillard s’approcha de lui. Vêtu d’un boubou blanc, le dos voûté par les années mais les yeux clairs comme l’eau d’une source.

— Tu es fort pour quelqu’un qui n’a pas grandi avec la machette à la main, dit-il.

Adama s’arrêta, surpris.

— Je fais de mon mieux, père.

Le vieux hocha lentement la tête.

— C’est bien. Mais il ne suffit pas de couper du bois pour être des nôtres. Tu portes en toi une histoire que tu caches.

Adama ne répondit pas. Kalil s’éloigna discrètement.

— Je m’appelle Tierno. Je suis le doyen du village. Et je vois plus que ce que je dis.

Il s’approcha d’Adama.

— Il y a dans ton regard la tristesse de ceux qu’on a privés de liberté, mais aussi l’arrogance de ceux qui ont grandi sur des coussins d’or. Tu n’es pas seulement "Ibrahim".

Adama soupira.

— Non. Je suis Adama Konaté, fils du roi Demba de Sogoya.

Tierno resta un moment silencieux, puis s’assit lentement sur une pierre.

— Alors c’est vrai… Le fils du roi a fui. Et il est ici, dans notre village. Avec nos filles. Nos histoires.

Adama s’agenouilla devant lui.

— Je n’ai pas fui pour dominer. J’ai fui pour respirer. Pour être moi. Et si je dois partir d’ici pour vous protéger de mon nom, je partirai.

Le vieux le regarda longuement.

— Ne sois pas pressé de fuir encore. Mais sache que ton passé finira par te rattraper. Il le fait toujours.

Il se leva, posa une main sur son épaule, et s’éloigna sans ajouter un mot.

---

Ce soir-là, Awa sentit qu’Adama était plus silencieux que d’habitude. Il triturait ses doigts, le regard perdu dans la flamme.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle.

— Je crois que le village commence à savoir.

— Pour ton identité ?

— Oui. Le vieux Tierno m’a parlé ce matin.

Awa hocha la tête, sans panique.

— Ils vont parler, c’est sûr. Mais s’ils voient ton cœur, ils te jugeront sur ce que tu es ici, pas sur ce que tu as fui.

— Et toi ? Tu me juges comment ?

— Comme un homme qui doute. Mais qui essaie. Et qui est vrai.

Il se tourna vers elle, touché par sa réponse.

— Tu sais, je n’ai jamais connu ce genre de vérité au palais. Là-bas, tout est apparence. Ici, je peux être faible sans honte. Et fort sans écraser.

Elle sourit doucement.

— Peut-être que c’est ça, aimer. Se voir vraiment.

Le silence retomba. Doux. Complice.

Puis Awa dit, presque à voix basse :

— Ma mère m’a demandé ce que je ressentais pour toi.

— Et qu’as-tu répondu ?

— Que je ne sais pas encore. Mais que je suis prête à le découvrir.

Adama sentit son cœur battre plus vite.

— Et moi… je veux découvrir ça avec toi. Lentement. Avec respect.

Leurs mains se frôlèrent. Juste ça. Une chaleur discrète. Mais un monde entier dans ce simple contact.

---

Le lendemain, un messager du royaume de Sogoya arriva au village. À cheval. Fatigué, couvert de poussière. Il ne connaissait pas Adama personnellement, mais il portait une annonce : le roi Demba offrait une grande récompense à quiconque retrouverait son fils disparu.

Tierno écouta en silence. Puis il répondit au messager :

— Il n’y a pas de prince ici. Seulement des hommes libres.

Mais le vent changeait.

Le murmure du palais avait atteint les collines de Kéran.

Et le cœur d’Adama savait que son calme n’était qu’un répit.

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