LorenzoJe n’ai pas dormi.Ou alors si. D’un sommeil trouble, empoisonné, grignoté par des fragments de souvenirs et de vérités trop récentes pour cicatriser. Je flotte dans un entre-deux. Ni vraiment éveillé. Ni tout à fait inconscient. Juste là, à sentir son souffle contre ma peau, à subir l’implacable retour du réel.Elle est encore dans mes bras. Nue. Belle. Fragile. Et tout ce que j’ai cru pouvoir tenir, hier, m’explose aujourd’hui dans les veines.Elle est ma sœur. Demi-sœur. Même sang. Même père.Et je l’ai prise. Aimée. Brûlée. Comme un homme. Pas comme un frère.Je fixe le plafond jauni de cette chambre anonyme. Il n’y a rien de nous ici. Aucune photographie. Aucun souvenir. Juste des draps froissés et l’odeur âcre d’un amour illégitime. Je me déteste. Je me détruis. Et je reste là, pourtant, incapable de fuir.Elle murmure quelque chose dans son sommeil. Un mot. Peut-être mon prénom.Lorenzo.Je retiens mon souffle. Ce prénom dans sa bouche, maintenant, c’est un poison. Une
AlessiaJe l’ai laissé partir.Et ce geste, ce simple geste, a ouvert en moi une faille que rien ne referme. Je suis restée figée là, dans cette pièce suspendue au-dessus de la ville, les pieds nus sur le tapis encore tiède de notre passage, comme si la mémoire de son corps pouvait continuer à m’enlacer. Le cœur battant trop vite, trop fort. Mais aussi trop creux.Le silence, après son départ, n’a rien de salvateur. Il est hurlant. Il est insupportable. Il me déchire comme une note suspendue dans un morceau qu’on aurait brusquement arrêté. Il ne reste que le souffle de mon corps, erratique, rauque. Le silence après lui, c’est comme une vie sans pulsation.Je m’effondre sur le bord du lit. Mes mains tremblent. Je n’arrive même pas à pleurer. Pas encore. Mes yeux brûlent, mais rien ne coule. Il y a une tempête dans mon ventre, un cri qui ne trouve pas de voix.Je revois son regard. Ce moment exact où il a compris. Où moi, j’ai compris. Et cette porte qu’il a claquée, ce n’était pas just
AlessiaIl a claqué la porte.Et le silence qu’il laisse derrière lui a plus de poids que tous ses mots.Je ne respire plus.Je suis restée figée là, dans ce salon où l’air manque soudain, où les murs me semblent trop proches, trop lourds.Comme si c’était moi, la faute.Comme si c’était moi, l’erreur.Je ramasse mon téléphone, mais il est éteint.Ou mort. Ou peut-être que c’est moi qui le suis.Mon cœur bat trop fort.Pas à cause du choc.Mais parce qu’une part de moi refuse d’y croire.Je me répète que ce n’est pas possible. Que ce ne peut pas l’être.Que ce qu’on a vécu n’était pas un mensonge.Pas ça. Pas ça.Et pourtant…Les noms sont là.Les papiers aussi.Et le visage de la femme à l’autre bout du fil, cette archiviste tremblante qui a murmuré "Je suis désolée, mademoiselle, mais vous aviez le droit de savoir", est encore imprimé sous mes paupières.Je voudrais hurler.Vomir.Effacer chaque souvenir de sa peau contre la mienne.Mais tout ce que je ressens, ce n’est pas le rejet
LorenzoIls disent que la lumière révèle.Mais ils oublient de dire ce qu’elle détruit.Je l’ai regardée s’éloigner un instant pour répondre à un appel — sa silhouette découpée dans le halo doré du hall d’entrée, son dos droit, sa nuque tendue comme si elle savait déjà que ce qui l’attendait était plus grand que nous deux.Je n’ai pas bougé. Je l’ai simplement regardée.Parce que parfois, ne pas intervenir est une forme de respect.Et ce soir, Alessia méritait ce respect-là.La vérité, c’est que je n’ai jamais voulu l’emmener ici.Pas elle.Pas comme ça.Je connaissais les conséquences. Je savais que les flashs ne nous quitteraient plus.Mais elle avait dit oui.Un oui murmurant plus fort que tous les silences.Et je l’avais tenue par la main comme on retient ce qu’on ne veut pas perdre.Le restaurant était désormais derrière nous.Mais le monde, lui, restait suspendu.Elle revient. Le téléphone rangé. Les yeux plus sombres qu’avant.Pas fâchée. Juste… lucide.— Ils veulent que je com
AlessiaOn aurait dit un couple ordinaire.Deux silhouettes attablées en terrasse, sous la douce lumière tamisée d’un restaurant étoilé.Un décor étudié, presque trop parfait : nappes blanches impeccables, bougies vacillantes, serveurs en costume noir qui flottaient entre les tables comme des ombres discrètes.Et pourtant, chaque geste entre nous détonnait dans cette normalité feinte.Lorenzo me regardait comme si je n’étais pas réelle. Comme si j’étais encore une hallucination de la nuit précédente.Je sentais son regard sur moi, lourd de souvenirs, d’interdits et de possibles.Il ne disait rien. Pas tout de suite. Mais ses doigts frôlaient les miens sur la table, dans une danse millimétrée, presque fébrile.Autour de nous, les murmures n’étaient pas feints.Ils glissaient entre les verres de vin, ricochaient sur les murs dorés, se collaient à notre peau.Des regards volés, des sourires gênés, quelques visages qu’on aurait reconnus si on avait eu envie de s’attarder.Mais tout était
AlessiaIl n’avait plus de sol.Et moi plus de nom.Le matin a eu la pudeur de ne pas insister.Il s’est glissé dans la chambre comme un souffle, pâle et timide, comme si la lumière elle-même n’osait pas tout révéler.Je ne savais pas ce qu’on devenait après ça.Quand une vérité fissure la peau.Quand les repères s’effondrent sans crier gare.Quand le désir n’a plus de place pour se cacher.Je sentais encore son odeur sur mes poignets.Ses doigts sur mes hanches.Le creux de sa bouche contre mon ventre.Et je me suis demandé, en silence :Qu’est-ce qu’on devient, quand on a couché avec son sang ?Même sans le savoir.Même sans le vouloir.Lorenzo n’a pas parlé.Pas tout de suite.Il s’était levé lentement, s’était habillé en silence.Chaque bouton, chaque geste, semblait lui coûter un peu de lucidité.Comme si le tissu brûlait.Il ne m’a pas regardée.Pas d’abord.Je voyais ses mâchoires serrées, la tension dans sa nuque, le chaos derrière son dos droit.Moi, je m’étais recroquevillée