AlessiaJe n’ai pas dormi. Pas une seconde.Comment aurais-je pu ?La maison est pleine de murmures.Pleine de fantômes.Et ce soir, ce n’est pas Camille qui me hante.C’est eux. Lorenzo. Valeria.Leurs voix qui s’enlacent, qui s’égratignent, qui se blessent dans un ballet de souvenirs trop vifs.Je croyais savoir.Mais je ne savais rien.Au début, j’ai cru pouvoir fuir leur ombre. Me terrer dans la chambre d’amis, comme on se blottit au fond d’une grotte pour échapper à la tempête. Mais ici, les murs sont trop fins. Ou peut-être est-ce moi qui suis devenue trop fragile. Trop perméable. Chaque vibration me traverse, chaque silence m’éclate dans la poitrine.Je les ai entendus.Tous les deux.Le claquement sourd d’une porte.Les mots qui fendent l’air comme des lames.« Tu es à moi. »« Je ne suis plus à personne. »Et puis ce silence.Celui qui dure une fraction de trop.Celui où le corps parle avant la bouche.Celui où l’on sent que quelque chose, même tué, respire encore.Je me suis
ValeriaJe suis restée allongée là. Immobile.Les draps froissés sous moi, l’odeur de Lorenzo encore imprégnée dans le tissu.Cette odeur qui m’a autrefois enveloppée comme un refuge. Aujourd’hui, elle me torture.La colère me brûle la gorge, mais c’est autre chose qui me ronge plus profondément.Le vide.Cette morsure.Cette vérité qu’il a osé prononcer comme un couperet :« Je ne suis plus à personne. Et surtout pas à toi. »Mensonge.Il ment.Il ment parce qu’il veut y croire.Parce qu’il veut se convaincre que ce qu’on a été peut se gommer, se réécrire.Mais moi, je sais.Je le connais par cœur.Je reconnais ses silences, ses tremblements, sa façon de me repousser comme s’il essayait surtout de se sauver lui-même.Il me hait parce que je suis le miroir de ce qu’il refuse d’affronter. De ce qu’il a été. De ce qu’il est encore, quand il arrête de faire semblant.Et elle. Alessia.Je la hais.Pas parce qu’elle l’aime. Mais parce qu’il l’aime.D’un amour tiède, docile, pur…Un amour q
LorenzoLa maison est plongée dans le silence. Ce genre de silence lourd, gluant, qu’on n’ose pas briser. Il a quelque chose d’organique, ce silence-là. Il respire avec moi. Il me serre la gorge.Je suis resté longtemps à fixer le plafond. Allongé. Immobile. Le souffle à peine perceptible. Les murs sont devenus des témoins muets. Ils absorbent les cris qu’on n’a pas poussés, les vérités qu’on a refoulées. Je crois que je n’ai jamais ressenti une nuit aussi dense. Comme si quelque chose allait craquer dans la structure même de la maison. Ou en moi.Alessia s’est enfermée dans la chambre d’amis. Je l’ai entendu marcher jusqu’à la porte du fond. Lentement. Comme si elle voulait que je l’arrête. Puis elle a fermé. Pas avec colère. Avec résignation. Avec ce genre de douceur triste qui fait plus mal que n’importe quel hurlement.Je n’ai rien dit.Je suis resté là. À écouter le bois craquer, à compter mes fautes. Et puis…Des pas.Nus. Lents. Féminins.Ils viennent du couloir. Chaque pas cla
LorenzoJe la revois au seuil de la porte.Valeria.Pas d’appel. Pas de message. Juste ses valises. Et ce regard.— Qu’est-ce que tu fais là ?Elle se tient droite, parfaitement maquillée, vêtue d’un trench beige cintré, comme si elle sortait d’un défilé.Elle me dévisage, un sourire en coin, presque moqueur.— Je m’installe.Ma mâchoire se crispe. Un rire sec me remonte à la gorge.— Chez moi ? Tu as perdu la tête ?Elle hausse les épaules avec une désinvolture qui m’irrite aussitôt.— Non, j’ai juste pris conscience que j’avais besoin de toi. Et toi de moi.Je m’avance, lentement. Une mèche tombe devant mes yeux. Elle ne recule pas. C’est ça, Valeria : elle attaque. Toujours.— On a tout fait, Valeria. Le manque, la rage, le sexe, la destruction. Il nous reste quoi ? Les ruines ?Elle passe devant moi sans me regarder, comme si j’étais un mur qu’on contourne. Ses talons résonnent sur le parquet. Elle dépose ses sacs dans l’entrée, défait lentement son manteau. Son parfum s’élève dan
LorenzoIl est presque midi quand elle se réveille.Alessia.Son souffle est régulier. Son corps, enroulé dans le plaid, semble si frêle que j’ai peur qu’un courant d’air ne la brise. Elle est là, présente, vivante mais comme en sursis. Je reste debout quelques secondes à la contempler, sans la réveiller. Je ne veux pas troubler cette trêve entre deux mondes. Celui de la veille et celui de demain. Je ne suis même pas certain qu’elle rêve. Peut-être qu’elle se protège. Peut-être qu’elle se vide.Je quitte le salon à pas lents. Je referme la porte, comme on referme une plaie.Je me fais un café amer. J’ouvre les rideaux. La lumière s’étale sur les murs. Le monde dehors est d’un calme insultant. Les gens passent. Les voitures roulent. Le soleil se glisse entre les branches. Comme si tout était normal. Comme si rien n’avait explosé.Mais moi, je ne suis plus intact.Et ça, elles l’ont toutes vu.Giulia. Valeria. Clara.Leur retour n’était pas prévu. Mais il était inévitable. Une question
LorenzoJe ne réfléchis pas.Je cours.Je claque la porte derrière moi, à en faire vibrer les murs. Mes pas résonnent dans la cage d’escalier, brutaux, désordonnés, aussi chaotiques que les pensées qui tambourinent dans ma tête. Les battements de mon cœur martèlent mes tempes, chaque souffle me brûle la gorge. J’ai agi trop tard. Je l’ai laissée partir. Et c’est une erreur que je ne peux pas me permettre.C’est ma sœur. Mon sang. Mon double dans un miroir brisé.Et je ne peux pas la laisser errer seule avec ce que nous venons de vivre. Avec ce poids immonde, innommable, qui nous colle à la peau comme une malédiction. Elle ne mérite pas ça. Pas seule. Personne ne mérite d’être laissé seul avec ce genre de vérité.Je la vois enfin. Plus loin. Une silhouette noire dans le brouillard matinal. Elle marche vite. Trop vite. Comme si elle voulait fuir le monde entier. Ou disparaître.— Attends !Ma voix fend l’air. Elle se retourne brusquement. Ses épaules se contractent, son visage se tourne