Anna
Les murs sont couverts d’un vieux papier peint décrépi, taché de moisissures. De vieilles appliques lumineuses diffusent une lueur jaunâtre, presque maladive.
Un frisson me traverse.
Où suis-je ?
Mon regard se perd dans l’obscurité du couloir, qui semble s’étirer à l’infini. Il n’y a aucune fenêtre, aucune porte visible à part celle que je viens de franchir.
Je serre les bras autour de moi.
Respire. Garde ton calme.
Mais chaque pas que je fais semble résonner comme un écho déformé, comme si l’endroit… vivait.
Puis, une voix s’élève derrière moi.
Un murmure, à peine audible.
"Anna…"
Je me fige.
C’est elle.
Mon reflet.
Ma main se crispe sur la poignée de la porte. Je dois fuir. Mais où ?
Un bruit me fait sursauter. Un grattement, quelque part dans l’ombre du couloir. Lent. Presque méthodique.
Comme si quelque chose rampait dans l’obscurité.
Ma respiration devient erratique.
Je veux courir, mais mon corps refuse de bouger.
Puis…
Une silhouette apparaît au bout du couloir.
Floue. Tremblante. Comme une ombre déchirée par la lumière jaunâtre.
Mon cœur manque un battement.
Je ne peux pas voir son visage.
Mais je sais.
Je sais qu’elle me regarde.
Et alors, elle murmure encore, dans un souffle glacé qui glisse sur ma peau comme une caresse funeste.
"Laisse-moi entrer…"
Le murmure glisse dans l’air comme une brise glacée, et mon sang se fige.
"Laisse-moi entrer…"
La voix n’est ni forte ni menaçante. Elle est douce, presque suppliante. Mais c’est justement ce qui la rend plus terrifiante encore.
Mes doigts crispés sur la poignée, je tente d’ouvrir la porte derrière moi.
Rien.
Elle ne bouge pas d’un millimètre.
Je tire plus fort, paniquée. Mon souffle se saccade alors que mes mains deviennent moites. J’ai l’impression d’être enfermée dans un cauchemar.
Derrière moi, le grattement continue. Lent, persistant.
Puis, un autre son le rejoint.
Des pas.
Ils résonnent faiblement sur le parquet, irréguliers, comme si la chose qui approche ne marchait pas tout à fait normalement.
Je ne veux pas me retourner.
Je ne peux pas me retourner.
Mais l’instinct prend le dessus, et malgré moi, mes yeux se tournent lentement vers l’ombre mouvante au bout du couloir.
Une silhouette vacille dans l’obscurité, ses contours flous, comme si elle était faite de brume.
Pas de visage.
Juste une ombre, ondulant doucement, avançant à pas lents vers moi.
Et pourtant, je ressens sa présence comme une vague glaciale m’engloutissant.
Elle veut quelque chose de moi.
— Laisse-moi tranquille, je souffle, la gorge serrée.
L’ombre ne répond pas. Mais elle continue d’avancer, inexorablement.
"Tu ne peux pas m’ignorer, Anna…"
Cette voix…
Elle ne vient pas seulement de l’ombre. Elle résonne dans ma tête.
Un frisson me traverse, et soudain, un violent coup frappe la porte derrière moi.
Je sursaute.
Puis, un autre coup, plus fort. La porte tremble sous l’impact.
Et une voix, différente cette fois, s’élève de l’autre côté.
"Anna ! Ouvre cette foutue porte !"
Je connais cette voix.
C’est Ethan.
Le son de son nom éclaire mon esprit comme un éclair dans la nuit.
Ethan. Mon ami. Mon seul ami.
Il est ici.
Il peut me sortir de ce cauchemar.
— ETHAN ! hurle-je en me jetant sur la porte.
Mes ongles griffent le bois alors que je tente désespérément d’actionner la poignée.
— Ouvre ! crie-t-il de l’autre côté.
— Je… j’essaie ! Elle est bloquée !
Le grattement dans le couloir s’intensifie soudain.
Puis… un ricanement.
Un rire bas, rauque, déformé.
Je me retourne brutalement.
L’ombre n’est plus floue.
Elle a des yeux.
Des orbites vides, sombres, qui me transpercent comme un gouffre sans fond.
— Laisse-moi entrer…
Un hurlement de pure terreur me déchire la gorge.
Et alors, Ethan frappe la porte avec toute sa force.
Une fois.
Deux fois.
À la troisième, elle cède dans un craquement sinistre.
Un flot de lumière jaillit à travers l’ouverture, et l’ombre recule aussitôt, disparaissant dans l’obscurité du couloir comme une tâche d’encre effacée d’un coup.
Je m’effondre en arrière, le souffle court.
Ethan surgit, son regard affolé balayant la pièce.
— Bordel, Anna, qu’est-ce qui se passe ici ?!
Je tremble, incapable de répondre.
Puis, il baisse les yeux.
Et il voit.
Le corps sur le lit.
Le sang.
Son visage se fige.
— Putain…
Un silence glacé tombe entre nous.
Je secoue la tête, les larmes me brûlant les yeux.
— Ce n’est pas moi, Ethan. Je… Je jure que ce n’est pas moi.
Il me regarde.
Dans ses prunelles sombres, je lis un mélange de choc, de peur et d’incompréhension.
Mais il ne parle pas.
Lentement, il s’approche du lit.
Et puis, sa main tremblante effleure le poignet du cadavre.
— Il est froid, murmure-t-il. Mort depuis des heures.
Il relève la tête vers moi, et cette fois, son regard est plus grave.
— Anna… qu’est-ce que tu as fait ?
Je secoue violemment la tête.
— Je n’ai rien fait !
— Alors explique-moi pourquoi il y a un putain de cadavre dans ton lit !
Ma gorge se serre.
Comment lui expliquer ce que je viens de voir ? Ce que j’ai entendu ?
Que quelqu’un d’autre habite mon reflet ?
Que quelque chose d’inhumain m’a chuchoté mon nom dans l’ombre ?
Il ne me croira jamais.
Je ferme les yeux, tentant de reprendre mon souffle.
Puis, une pensée me frappe.
Et si ce n’était que le début ?
AnnaLa pluie tombe doucement sur le monde. Chaque goutte semble porter une part de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai dû traverser. Elle effleure la terre, se pose sur les feuilles des arbres, et je la sens, ici, contre ma peau, comme un dernier souvenir de tout ce qui a été. Le vent, lui, murmure des promesses brisées, des mots d’adieu non dits, mais je les accueille. Car c’est tout ce qui reste à la fin : l’écho de ce qui a été, la résonance de ce que l’on a traversé ensemble.Il est là, à mes côtés. Léo. Angel. Les deux hommes qui m’ont redéfinie. L’un par sa douceur, l’autre par sa passion. L’un par son regard de feu, l’autre par ses bras solides, prêts à me soutenir quoi qu’il arrive. Leur présence me fait me sentir complète, comme si le vide en moi, celui que j’ai toujours cherché à combler, était enfin comblé. Parce que, je le sais, ce n’est pas une question de tout avoir, mais de savoir choisir ce que l’on garde."Tu es prête ?" La voix de Léo brise le silence, doux et clair co
AnnaLe silence, enfin.Pas celui qui oppresse, pas celui qui serre la gorge et fait trembler les mains.Non.Celui qui enveloppe, celui qui rassure, celui qui crée un espace entre les battements du cœur et les soubresauts du monde extérieur.Je suis allongée entre eux, dans cette étrange sérénité où le temps semble suspendu, comme si le monde ne pouvait exister au-delà de la chaleur de leurs corps.La lumière du matin filtre à travers la toile fine qui nous abrite, tremblante, timide. Elle s’invite, comme un rayon secret, et danse sur nos peaux. Elle trouve ses chemins dans les creux, sur les courbes, sur les lignes de vie et de combat.Léo est encore plongé dans un sommeil profond, son visage détendu, marqué par les traces des heures passées à lutter contre tout ce qui nous sépare. Ses mains reposent sur mon ventre, doucement, comme un ancrage. Comme un souffle.Il n’a pas bougé. Pas encore.Angel, lui, se tient un peu à l’écart. Il ne dort pas. Ses yeux sont ouverts, mais il ne me
AnnaIls dorment.Ou ils essaient.Moi, je reste au bord.Assise contre la pierre froide.À distance de leurs souffles.Je ne veux pas les réveiller.Parce que cette nuit… ce n’est pas d’eux que j’ai peur.C’est de moi.Je tremble.Pas de froid. De cette tension que je retiens depuis trop longtemps. Ce cri qui n’est jamais sorti. Cette rage, ce chagrin, cette solitude que j’ai recouverte de silence.Alors je me lève.Je marche dans l’obscurité. Pieds nus.Le vent accroche ma peau. Mais c’est bon.Ça me rappelle que je suis encore là.Je m’éloigne. Un peu.Mais pas assez.Car il me suit.Eliel.Toujours lui.Je m’arrête. Il ne dit rien. Je ne dis rien.Puis je craque.« Tu crois que c’est facile ? » ma voix explose sans prévenir.Elle tremble. Elle se brise.Il ne répond pas.Alors je continue. Parce que si je m’arrête, je m’effondre.« Tu crois que j’ai choisi ça ? Que j’ai choisi de porter un pouvoir qui me consume ? Que j’ai demandé à aimer des gens que je vais sûrement tuer sans le
LéoJe la cherche du regard.Même à travers le chaos, même dans ce monde qui s’effondre, je saurais reconnaître sa silhouette.Même brisée. Même changée.Surtout changée.Parce que ce n’est plus la même Anna.Et pourtant, elle est toujours là.Je l’ai vue s’effondrer. Je l’ai vue se relever.Et quand j’ai cru qu’elle ne reviendrait jamais, qu’elle s’était trop éloignée de nous, j’ai compris : c’est à moi de faire le chemin.Alors j’avance.Angel est à mes côtés.Silencieux, comme toujours.On ne se parle pas.Mais on sait pourquoi on est là.AngelJe n’ai jamais cessé de l’aimer.Même quand elle s’est éloignée. Même quand elle a choisi d’être autre chose.Même quand elle m’a oublié, un peu.Ce n’était pas une décision. C’était une évidence. Une fatalité.Elle vit dans chaque battement de mon cœur, même quand il se fend.Et Léo le sait. Je le vois à sa mâchoire serrée, à ses doigts crispés sur son arme.On est deux à aimer la même fille.Mais on n’est pas ennemis.On est les deux phare
ElielSa main dans la mienne. Elle tremble.Et pourtant, c’est elle qui m’a tendu la sienne.Elle, l’éclat brisé.Elle, la fille que le monde regarde comme un danger.Elle, l’ultime espoir.Je la sens prête à fuir, à se retirer au moindre signe. Mais elle reste.Alors je serre doucement ses doigts, comme on attrape une flamme. Sans vouloir l’éteindre.AnnaJe l’ai choisi.Pas comme on choisit un sauveur. Pas comme on choisit un soldat.Je l’ai choisi comme on choisit une vérité : en sachant qu’elle fera mal.Il me regarde. Je ne détourne pas les yeux.« Il faut entrer dans le cercle, Anna. » dit-il.Je hoche la tête.On y entre. Ensemble.Le sol est marqué de symboles anciens. Le vent se lève. Quelque chose s’éveille sous la terre. Quelque chose de très vieux. Très pur. Ou très terrible.Je sens mes os vibrer.Eliel« Le feu va te tester. » je dis.Elle ne bouge pas.« Tu peux encore faire demi-tour. »« Non. »Sa voix est claire. Inflexible.Alors je recule.Elle s’avance.Et la lumi
AnnaMais ce n’est pas le Eliel que j’ai connu. Pas celui qui avait encore l’espoir au bord des lèvres. Son visage est plus dur. Son regard, plus sombre. Il a vu des choses. Et il porte quelque chose en lui. Une douleur vivante.« Pourquoi es-tu là ? » ma voix tremble malgré moi.Il s’approche d’un pas, puis s’arrête.« Parce que le monde va se fendre, Anna. Et que toi seule peux empêcher qu’il s’effondre. »Je déglutis. Chaque mot est une lame.« Tu savais, n’est-ce pas ? Tu savais ce que j’étais. »Il ferme les yeux. Puis, d’une voix basse :« Je savais que tu étais plus que ce qu’on t’avait dit. Mais je ne savais pas que tu étais… l’éclat brisé. »« L’éclat brisé ? »Il me regarde avec une intensité glaciale.« Celle qui a le pouvoir de refaire le monde… ou de le détruire entièrement. »Le silence tombe, plus lourd que jamais.Je sens mon cœur battre dans mes tempes.« Et toi ? Tu viens m’aider ? Ou m’arrêter ? »Un silence. Long. Tranchant.Puis il murmure :« Je ne sais pas encor