Anna
Sur le mur, au-dessus du lit, une phrase est griffonnée en lettres tremblantes.
Du sang a séché sur le plâtre fissuré.
Et les mots m’arrachent un frisson d’horreur.
"JE SUIS MORTE ICI."
Mes jambes flanchent.
Un vertige me prend, et Ethan me rattrape juste à temps.
— Anna, ça va ?! Il me secoue légèrement, mais je ne peux pas détacher mon regard de ces mots.
Morte ici.
Morte ici.
— Ce n’est pas vrai. Ma voix tremble. Je suis vivante.
Un rire faible s’échappe des lèvres de la femme sur le lit.
Puis elle se lève.
Lentement.
Trop lentement.
Ses os craquent à chaque mouvement, et elle avance vers moi d’un pas traînant.
Je recule instinctivement, prise entre le déni et une terreur grandissante.
— Tu crois être vivante ? Sa voix se fait plus aiguë, plus coupante. Regarde encore.
D’un geste brusque, elle arrache sa chemise d’hôpital.
Et je vois.
Sur sa poitrine, une large cicatrice court de sa gorge jusqu’à son ventre. Une plaie refermée, hideuse, un vestige d’une autopsie incomplète.
L’odeur de formol envahit l’air.
Mes entrailles se tordent.
Je vais vomir.
— Tu crois être vivante, Anna ? répète-t-elle, et cette fois sa voix est un écho caverneux.
La pièce tourne autour de moi.
Les murs vibrent.
Les lumières vacillent.
Tout se distord.
— Arrête… je murmure, serrant ma tête entre mes mains.
Mais elle continue.
Elle hurle maintenant.
— TU ES MORTE, ANNA !
Non. Non. Ce n’est pas vrai.
Je suis vivante.
Je ressens la douleur, le froid, la peur.
Mais alors, pourquoi cette femme a-t-elle mon visage ? Pourquoi ces souvenirs me hantent-ils comme des ombres affamées ?
Et surtout…
Pourquoi ne puis-je pas me rappeler la dernière fois où j’ai vraiment vécu ?
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La pièce explose en un tourbillon d’obscurité.
Tout devient noir.
Et je chute.
Je tombe à travers le vide, aspirée dans un gouffre sans fond.
Je hurle.
Et une voix murmure à mon oreille :
— Réveille-toi.
J’ouvre les yeux.
Le plafond fissuré du motel s’étire au-dessus de moi.
Je suis dans mon lit.
En sueur.
Haletante.
Mais ce n’est pas le pire.
Le pire, c’est la sensation poisseuse sous mes doigts.
Et lorsque je tourne la tête…
Je vois le corps à côté de moi.
Étendu sur le drap blanc.
Sans vie.
Sans souffle.
Avec mon couteau planté dans sa gorge.
Son sang partout.
Sur moi. Sur mes mains.
Et dans son regard vide, je ne vois que mon propre reflet.
Morte ici.
La panique s’empare de moi avant même que je puisse respirer.
Mon corps est figé.
Je sens la moiteur du sang sur ma peau, poisseux et tiède, s’insinuant entre mes doigts tremblants.
Je ne veux pas regarder.
Je ne veux pas savoir.
Mais mes yeux refusent de m’obéir.
Le corps est là. Immobile. Étendu à mes côtés dans ce lit qui, il y a encore quelques heures, était un refuge.
Maintenant, il est une tombe.
Mon cœur bat trop vite. Trop fort.
Je porte une main tremblante à ma bouche, étouffant un hurlement.
Je ne me souviens de rien.
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Un bruit.
Faible. Lointain.
Une goutte de sang qui tombe du drap et s’écrase sur le sol.
Je sursaute violemment.
Mon souffle s’accélère.
Chaque battement de mon cœur est une explosion dans ma poitrine.
Je veux fuir. Mais mes jambes refusent de bouger.
Il faut que je me réveille.
Ce n’est pas réel.
Ce ne peut pas être réel.
Mais l’odeur métallique du sang, la chaleur qui s’évapore lentement du corps à mes côtés, et cette lame enfoncée jusqu’à la garde dans la gorge de l’homme...
Tout cela hurle la vérité.
C’est réel.
Et je suis là.
Trempée de sang.
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Une pensée me frappe comme un coup de tonnerre.
Qui est-il ?
Je force mes muscles tétanisés à bouger.
Je tourne la tête lentement, avec une lenteur terrifiée, et je le regarde enfin.
Son visage est figé dans une expression de surprise éternelle.
Ses yeux sont ouverts, vitreux.
Sa bouche entrouverte semble vouloir prononcer un dernier mot qui ne viendra jamais.
Un frisson d’horreur me traverse.
Parce que ce visage…
Je le connais.
C’est Ethan.
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Je bascule hors du lit, m’écrasant brutalement contre le sol.
Ma respiration devient erratique, mes mains s’agrippent à la moquette, cherchant un point d’ancrage.
Non.
Ce n’est pas possible.
Pas Ethan.
Pas lui.
Les souvenirs me frappent en rafale, mais ils sont flous, incomplets, brisés comme un miroir fracassé.
Nous étions ensemble.
Nous avons bu.
Nous avons ri.
Puis…
Le trou noir.
Je secoue la tête, refusant la réalité.
Quelque chose cloche.
Quelque chose ne va pas.
Je n’ai pas tué Ethan.
Je le sais.
Alors pourquoi… ?
Pourquoi le couteau est-il dans mes mains ?
Pourquoi mon corps est-il couvert de son sang ?
Pourquoi ne puis-je pas me souvenir de la vérité ?
---
Un bruit.
Cette fois, ce n’est pas une goutte de sang.
C’est autre chose.
Quelqu’un.
Un froissement.
Un murmure.
Je ne suis pas seule.
Je lève les yeux, la gorge nouée.
Là, dans l’ombre de la chambre, une silhouette se tient debout.
Je ne distingue que ses contours, une ombre plus noire que la nuit.
Mais je sens son regard brûlant sur moi.
Un sourire s’étire dans l’obscurité.
Puis une voix chuchote, douce, glaciale, terriblement familière :
— Tu te souviens maintenant ?
Mon sang se glace.
Parce que cette voix…
C’est la mienne.
AnnaLa pluie tombe doucement sur le monde. Chaque goutte semble porter une part de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai dû traverser. Elle effleure la terre, se pose sur les feuilles des arbres, et je la sens, ici, contre ma peau, comme un dernier souvenir de tout ce qui a été. Le vent, lui, murmure des promesses brisées, des mots d’adieu non dits, mais je les accueille. Car c’est tout ce qui reste à la fin : l’écho de ce qui a été, la résonance de ce que l’on a traversé ensemble.Il est là, à mes côtés. Léo. Angel. Les deux hommes qui m’ont redéfinie. L’un par sa douceur, l’autre par sa passion. L’un par son regard de feu, l’autre par ses bras solides, prêts à me soutenir quoi qu’il arrive. Leur présence me fait me sentir complète, comme si le vide en moi, celui que j’ai toujours cherché à combler, était enfin comblé. Parce que, je le sais, ce n’est pas une question de tout avoir, mais de savoir choisir ce que l’on garde."Tu es prête ?" La voix de Léo brise le silence, doux et clair co
AnnaLe silence, enfin.Pas celui qui oppresse, pas celui qui serre la gorge et fait trembler les mains.Non.Celui qui enveloppe, celui qui rassure, celui qui crée un espace entre les battements du cœur et les soubresauts du monde extérieur.Je suis allongée entre eux, dans cette étrange sérénité où le temps semble suspendu, comme si le monde ne pouvait exister au-delà de la chaleur de leurs corps.La lumière du matin filtre à travers la toile fine qui nous abrite, tremblante, timide. Elle s’invite, comme un rayon secret, et danse sur nos peaux. Elle trouve ses chemins dans les creux, sur les courbes, sur les lignes de vie et de combat.Léo est encore plongé dans un sommeil profond, son visage détendu, marqué par les traces des heures passées à lutter contre tout ce qui nous sépare. Ses mains reposent sur mon ventre, doucement, comme un ancrage. Comme un souffle.Il n’a pas bougé. Pas encore.Angel, lui, se tient un peu à l’écart. Il ne dort pas. Ses yeux sont ouverts, mais il ne me
AnnaIls dorment.Ou ils essaient.Moi, je reste au bord.Assise contre la pierre froide.À distance de leurs souffles.Je ne veux pas les réveiller.Parce que cette nuit… ce n’est pas d’eux que j’ai peur.C’est de moi.Je tremble.Pas de froid. De cette tension que je retiens depuis trop longtemps. Ce cri qui n’est jamais sorti. Cette rage, ce chagrin, cette solitude que j’ai recouverte de silence.Alors je me lève.Je marche dans l’obscurité. Pieds nus.Le vent accroche ma peau. Mais c’est bon.Ça me rappelle que je suis encore là.Je m’éloigne. Un peu.Mais pas assez.Car il me suit.Eliel.Toujours lui.Je m’arrête. Il ne dit rien. Je ne dis rien.Puis je craque.« Tu crois que c’est facile ? » ma voix explose sans prévenir.Elle tremble. Elle se brise.Il ne répond pas.Alors je continue. Parce que si je m’arrête, je m’effondre.« Tu crois que j’ai choisi ça ? Que j’ai choisi de porter un pouvoir qui me consume ? Que j’ai demandé à aimer des gens que je vais sûrement tuer sans le
LéoJe la cherche du regard.Même à travers le chaos, même dans ce monde qui s’effondre, je saurais reconnaître sa silhouette.Même brisée. Même changée.Surtout changée.Parce que ce n’est plus la même Anna.Et pourtant, elle est toujours là.Je l’ai vue s’effondrer. Je l’ai vue se relever.Et quand j’ai cru qu’elle ne reviendrait jamais, qu’elle s’était trop éloignée de nous, j’ai compris : c’est à moi de faire le chemin.Alors j’avance.Angel est à mes côtés.Silencieux, comme toujours.On ne se parle pas.Mais on sait pourquoi on est là.AngelJe n’ai jamais cessé de l’aimer.Même quand elle s’est éloignée. Même quand elle a choisi d’être autre chose.Même quand elle m’a oublié, un peu.Ce n’était pas une décision. C’était une évidence. Une fatalité.Elle vit dans chaque battement de mon cœur, même quand il se fend.Et Léo le sait. Je le vois à sa mâchoire serrée, à ses doigts crispés sur son arme.On est deux à aimer la même fille.Mais on n’est pas ennemis.On est les deux phare
ElielSa main dans la mienne. Elle tremble.Et pourtant, c’est elle qui m’a tendu la sienne.Elle, l’éclat brisé.Elle, la fille que le monde regarde comme un danger.Elle, l’ultime espoir.Je la sens prête à fuir, à se retirer au moindre signe. Mais elle reste.Alors je serre doucement ses doigts, comme on attrape une flamme. Sans vouloir l’éteindre.AnnaJe l’ai choisi.Pas comme on choisit un sauveur. Pas comme on choisit un soldat.Je l’ai choisi comme on choisit une vérité : en sachant qu’elle fera mal.Il me regarde. Je ne détourne pas les yeux.« Il faut entrer dans le cercle, Anna. » dit-il.Je hoche la tête.On y entre. Ensemble.Le sol est marqué de symboles anciens. Le vent se lève. Quelque chose s’éveille sous la terre. Quelque chose de très vieux. Très pur. Ou très terrible.Je sens mes os vibrer.Eliel« Le feu va te tester. » je dis.Elle ne bouge pas.« Tu peux encore faire demi-tour. »« Non. »Sa voix est claire. Inflexible.Alors je recule.Elle s’avance.Et la lumi
AnnaMais ce n’est pas le Eliel que j’ai connu. Pas celui qui avait encore l’espoir au bord des lèvres. Son visage est plus dur. Son regard, plus sombre. Il a vu des choses. Et il porte quelque chose en lui. Une douleur vivante.« Pourquoi es-tu là ? » ma voix tremble malgré moi.Il s’approche d’un pas, puis s’arrête.« Parce que le monde va se fendre, Anna. Et que toi seule peux empêcher qu’il s’effondre. »Je déglutis. Chaque mot est une lame.« Tu savais, n’est-ce pas ? Tu savais ce que j’étais. »Il ferme les yeux. Puis, d’une voix basse :« Je savais que tu étais plus que ce qu’on t’avait dit. Mais je ne savais pas que tu étais… l’éclat brisé. »« L’éclat brisé ? »Il me regarde avec une intensité glaciale.« Celle qui a le pouvoir de refaire le monde… ou de le détruire entièrement. »Le silence tombe, plus lourd que jamais.Je sens mon cœur battre dans mes tempes.« Et toi ? Tu viens m’aider ? Ou m’arrêter ? »Un silence. Long. Tranchant.Puis il murmure :« Je ne sais pas encor
AnnaUn cercle de pierres se dessinait dans la clairière, parfaitement symétrique. Au centre, une colonne de lumière bleutée s’élevait du sol, sans source apparente. L’air y vibrait, distordu, chargé d’une magie ancienne et inaltérable. C’était comme si le monde retenait son souffle.Je sentis mes jambes trembler, mais je restai droite. Pas cette fois. Je voulais savoir. Je voulais tout affronter.« Qu’est-ce que c’est ? » soufflai-je, hypnotisée.« Le seuil. » La voix de ma mère était douce mais ferme. « Le lien entre ce qui a été et ce qui peut être. C’est ici que les gardiens veillent. C’est ici que tu sauras. »« Les gardiens ? »Elle me regarda, et pour la première fois, j’y lus de la peur.« Ils ont connu la vérité avant nous. Ils ont vu les erreurs, les sacrifices, les serments trahis. Et maintenant… ils attendent ton choix. »Je reculai d’un pas.« Mon choix ? »« Tu es celle qui brise le cycle, Anna. Mais tu es aussi celle qui peut en créer un nouveau. »Un grondement sourd m
AnnaLe sol sous mes pieds vibre à chaque pas. Une pulsation sourde, presque imperceptible, comme si la terre elle-même réagissait à notre passage. Ma main ne quitte pas celle de ma mère. Je sens sa chaleur, sa force, son énergie fluide, ancrée en moi comme une certitude. Nous avançons en silence, mais nos pensées sont bruyantes.Je sens le poids du monde s'alléger. Non pas parce que le danger a disparu, mais parce que, pour la première fois, j'avance sans fuir. J'avance pour comprendre. Pour choisir. Pour affronter.La forêt s'efface lentement, remplacée par des clairières où la lumière lunaire coule comme du lait sur les feuilles argentées. Puis un sentier, une ouverture dans l’obscurité, bordée de pierres anciennes, couvertes de mousse. L’air change. Il devient plus dense, chargé de souvenirs que je ne reconnais pas mais que mon corps semble connaître. Mon sang palpite d’une mémoire plus vieille que moi.« Nous y sommes presque », souffle ma mère, la voix tremblante d’un pressentim
AnnaEt au fond de moi, je savais que même si les ombres du passé ne disparaîtraient jamais complètement, j'étais prête à affronter quoi que ce soit. Avec ma mère à mes côtés, nous pourrions braver toutes les tempêtes à venir. L'héritage de nos ancêtres continuait de vivre à travers nous, et ensemble, nous étions invincibles.Mais quelles autres ombres se cachaient encore dans les recoins de notre avenir ?Alors que le silence s'étendait autour de nous, je me relevai lentement, encore tremblante d'émotions. La forêt, autrefois assombrie par l'angoisse et le danger, semblait maintenant vibrant d'une nouvelle énergie. Le souffle du vent caressait ma peau, porteur d'un ressenti de renouveau. Mais les luttes passées assombrissaient toujours mes pensées. Que se passerait-il maintenant ? Ma mère se tenait à mes côtés, une aura de sérénité émanant de sa présence. Je pouvais lire dans ses yeux qu'elle ressentait la douleur et la fatigue que je portais dans mon cœur. Mais elle avait aussi une