MasukLa maison était étrangement silencieuse après le tumulte de la soirée. Seul le crépitement de la cheminée venait troubler l’obscurité du salon, projetant des ombres mouvantes sur les murs et sur leurs visages. Isabelle restait appuyée contre le dossier du fauteuil, les mains serrées autour d’une tasse de thé qu’elle n’avait pas goûtée, tandis qu’Alexander observait la pièce, les yeux sombres mais attentifs.
Chaque geste, chaque respiration semblait amplifié dans ce calme presque religieux. Isabelle sentait le poids de sa présence, la chaleur de son corps à quelques pas d’elle, et pourtant elle refusait de céder à la peur. Ce n’était pas de la peur, en réalité. C’était… autre chose. Une tension, une curiosité, une attente qu’elle n’osait pas encore nommer. Alexander s’avança lentement, sans hâte, comme pour mesurer le terrain, comme pour vérifier si elle se retirerait ou non. Son manteau tombait sur le sol avec un léger froissement, et Isabelle sentit son cœur bondir. Il avait l’air différent, plus humain, moins inaccessible qu’il ne l’avait jamais été. Une fissure minuscule mais réelle apparaissait dans cette façade glaciale qu’il portait comme une armure. - Isabelle… murmura-t-il, la voix plus basse qu’elle ne l’avait jamais entendue, presque fragile. Elle releva les yeux, et ce simple contact visuel la fit frissonner. Ses mots semblaient vouloir franchir la distance entre eux, mais hésitaient à le faire. Elle fit un pas vers lui, et Alexander ne recula pas. Au contraire, il inclina légèrement la tête, laissant leurs souffles se mêler. Elle sentit son regard glisser sur elle, et dans ce moment suspendu, tout le reste s’effaça : le monde extérieur, le mariage, les conventions, n’étaient plus rien. Il ne restait qu’eux, deux êtres aux émotions brutes, au désir naissant mais encore confus. - Je… je ne pensais pas que ça… que nous… balbutia-t-il, comme s’il cherchait les bons mots et qu’ils se dérobaient sous ses lèvres. Isabelle posa une main sur sa poitrine, là où son cœur battait avec violence. - Chut, dit-elle doucement, juste un souffle, une invitation à ne pas parler pour ne pas briser la magie du moment. Leurs doigts se frôlèrent, d’abord timidement, puis avec une certitude qui surprit tous les deux. Ce contact, si simple et pourtant chargé de tension, sembla sceller un pacte silencieux : le mariage n’était plus seulement une affaire de convenance. Il devenait le théâtre de leurs désirs, de leurs doutes et de leur vérité. Alexander s’abaissa légèrement, juste assez pour que leurs fronts se touchent. Leurs souffles se mêlaient, et Isabelle sentit le monde basculer. Chaque vibration de sa voix, chaque frôlement de sa main semblait avoir le pouvoir de l’enflammer. Elle osa glisser sa main le long de son bras, ressentant la chaleur de sa peau sous ses doigts. Il ne recula pas. Au contraire, il la laissa approcher, comme si cette proximité était la seule chose qui pouvait apaiser le tumulte en lui. Leurs yeux se rencontrèrent, et pour la première fois, Isabelle y lut autre chose que le contrôle ou la froideur : de la curiosité, de la vulnérabilité, et peut-être… de la peur. Une peur douce, humaine, qui la fit sourire malgré la tension. - Pourquoi… maintenant ? murmura-t-elle, comme pour elle-même. - Parce que je ne peux plus attendre, répondit-il d’une voix basse, presque rauque. Parce que vous… vous me troublez plus que je ne l’aurais cru. Leurs lèvres se frôlèrent à peine, un effleurement presque accidentel qui brûla comme du feu. Isabelle sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale. Ce baiser, léger, hésitant, portait en lui toute l’intensité de ce qu’ils n’avaient pas osé dire à voix haute. Elle recula légèrement, consciente du danger de ce jeu, consciente de la fragilité de cette intimité naissante. Mais Alexander ne bougea pas. Il la regardait avec une intensité qui ne mentait pas : chaque geste, chaque respiration, chaque frisson était enregistré, mémorisé, gravé dans quelque chose de plus profond que le simple désir. - Tu es … différente de ce que j’imaginais, dit-il enfin, la voix brisée par une émotion qu’il n’avait jamais laissée transparaître. Isabelle sentit son cœur se serrer. Il ne la voyait pas seulement comme une épouse, ou un défi. Il la voyait comme elle était, et cela la rendait à la fois vulnérable et invincible. Ils restèrent là, immobiles, le temps semblant suspendu. La chaleur de la cheminée, l’intimité du salon, le silence partagé… tout cela formait un cocon fragile mais irrésistible. Dans ce moment, Isabelle comprit que ce mariage ne serait jamais simple. Mais il pourrait être vrai. Et peut-être, juste peut-être, il pourrait être le début de quelque chose qu’aucun d’eux n’avait osé imaginer.La pluie avait cessé depuis l’aube, et la ville s’éveillait lentement, enveloppée d’un voile argenté. Au dernier étage du manoir Kane, le silence n’était rompu que par un souffle doux, celui d’un nouveau-né endormi dans les bras de sa mère.Isabelle caressait les cheveux fins de son fils, encore surpris d’un tel calme après les longues heures de douleur. La lumière filtrait par les grandes fenêtres, dorant les draps et le berceau. Le monde entier semblait s’être arrêté suspendu entre deux respirations.Elle leva les yeux, et son regard croisa celui d’Alexander. Il se tenait près d’elle, immobile, vêtu simplement d’une chemise blanche. Son visage habituellement si impassible était adouci par une émotion rare, presque fragile. Il tendit la main, effleurant la joue de l’enfant comme s’il craignait de le réveiller.- Il te ressemble, murmura-t-il, un sourire discret au coin des lèvres.- Non, répondit Isabelle dans un souffle. Il a ton regard, cette façon intense de tout observer… comme s
Le manoir Kane avait retrouvé un calme presque irréel. Les couloirs autrefois pleins de tension semblaient respirer de nouveau, baignés par la lumière dorée d’un après-midi d’hiver.Isabelle était dans le salon, assise près de la fenêtre, un livre ouvert sur ses genoux qu’elle ne lisait pas vraiment. Depuis l’accident, depuis son retour de l’hôpital, Alexander se montrait étrangement silencieux. Présent, mais ailleurs. Il parlait peu, observait beaucoup, et semblait lutter contre quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore.Ce jour-là, il entra sans prévenir. Vêtu simplement, encore pâle mais debout, il portait dans la main un dossier ancien, usé le contrat de leur mariage arrangé.Il s’approcha lentement. Ses yeux, d’habitude si durs, étaient d’une clarté presque désarmante.-Tu sais ce que c’est ? demanda-t-il doucement.Elle hocha la tête. - Le contrat. L’accord entre toi et Julian.Alexander eut un léger sourire, triste.- Le début de tout ce mensonge. La cage que j’ai constru
Le manoir Kane avait retrouvé un calme presque irréel. Les couloirs autrefois pleins de tension semblaient respirer de nouveau, baignés par la lumière dorée d’un après-midi d’hiver.Isabelle était dans le salon, assise près de la fenêtre, un livre ouvert sur ses genoux qu’elle ne lisait pas vraiment. Depuis l’accident, depuis son retour de l’hôpital, Alexander se montrait étrangement silencieux. Présent, mais ailleurs. Il parlait peu, observait beaucoup, et semblait lutter contre quelque chose qu’elle ne comprenait pas encore.Ce jour-là, il entra sans prévenir. Vêtu simplement, encore pâle mais debout, il portait dans la main un dossier ancien, usé le contrat de leur mariage arrangé.Il s’approcha lentement. Ses yeux, d’habitude si durs, étaient d’une clarté presque désarmante.-Tu sais ce que c’est ? demanda-t-il doucement.Elle hocha la tête. - Le contrat. L’accord entre toi et Julian.Alexander eut un léger sourire, triste.- Le début de tout ce mensonge. La cage que j’ai constru
Depuis la tempête, depuis la vérité, chaque pièce semblait respirer autrement.Les ombres s’étaient allégées, comme si les murs eux-mêmes avaient cessé de retenir leur soufflée.Isabelle vivait toujours à l’aile ouest, mais Alexander avait cessé de l’éviter.Chaque matin, il frappait doucement à sa porte — parfois pour un mot, parfois juste pour un regard.Les repas redevenaient des moments partagés, timides au début, puis presque naturels.Leur silence n’était plus une barrière, mais une présence familière.Un soir, il entra dans la serre, là où Isabelle s’occupait des plantes qu’elle avait fait venir de Londres.La lumière du couchant baignait son visage d’une douceur irréelle.Il resta un instant sans rien dire, puis murmura :- Tu rends cet endroit plus vivant.Elle leva les yeux, surprise, un sourire hésitant aux lèvres.- Il n’était pas mort, il avait juste besoin d’un peu de soin.Il hocha la tête.Leur échange aurait pu s’arrêter là, mais quelque chose dans son regard la retin
Le train s’arrêta dans un sifflement.La pluie fine tombait sur la gare comme un voile gris.Isabelle resta un moment immobile sur le quai, la main serrée sur la poignée de sa valise.Londres s’éloignait derrière elle et devant, c’était le manoir Kane, les fantômes, et cet homme qu’elle n’arrivait ni à haïr, ni à oublier.Depuis que le scandale avait éclaté, les journaux ne parlaient que de ça : les affaires Kane sous enquête, les soupçons de détournement, les dossiers refaisant surface après des années d’oubli.Des rumeurs disaient que la faillite de la famille Mayers celle qui avait justifié le mariage arrangé pourrait avoir été provoquée par un associé corrompu de feu Richard Kane, le père d’Alexander.Tout vacillait.Les fondations mêmes de sa vengeance se fissuraient.---Au manoir, Alexander n’était plus l’homme qu’elle avait quitté.Les couloirs étaient silencieux, les employés nerveux, et la presse campait presque aux grilles.On murmurait que certains actionnaires réclamaient
Londres avait cette façon cruelle d’absorber la douleur des gens.Ses rues bruyantes, ses visages pressés, son ciel sans couleur semblaient tout avaler : la solitude, les regrets, les souvenirs.Isabelle avait trouvé refuge dans un petit appartement au-dessus d’une librairie, dans un quartier discret de Bloomsbury.Chaque matin, elle descendait aider à ranger les livres. Chaque soir, elle lisait des ouvrages sur la liberté, sa nouvelle obsession. C’était son remède, sa manière d’apprendre à respirer sans lui.Pourtant, certaines nuits, le passé revenait. Le souvenir de ses mains, de sa voix grave, de ce regard qui la brûlait. Elle se haïssait de l’aimer encore, mais on ne guérit pas d’un homme qu’on a compris avant qu’il ne se comprenne lui-même.⎯ ⎯Au manoir, Alexander tournait en rond comme une âme enfermée.Depuis le départ d’Isabelle, le silence lui était devenu insupportable.Il travaillait sans relâche, mais dès qu’il fermait les yeux, il revoyait sa douleur et cette phrase : «







