Léna
J’ai toujours été une excellente menteuse. Pas juste une amatrice qui improvise des excuses foireuses pour éviter un dîner de famille. Non. Moi, je suis une artiste. Une virtuose du baratin. Une experte en tromperie.
C’est un talent qui s’est développé très tôt. À six ans, j’ai convaincu ma mère que la maîtresse m’avait élue « Élève la plus brillante de l’année ». À douze ans, j’ai réussi à me faire passer pour la fille d’un diplomate pendant un voyage scolaire. À vingt-trois ans, j’ai embelli mon CV avec une maîtrise en commerce international et une expérience de cinq ans dans une entreprise qui n’existe même pas.
Et aujourd’hui…
Aujourd’hui, je suis devant la porte d’un bureau en verre, dans l’une des plus grandes entreprises de la ville, prête à arnaquer mon futur patron.
Une secrétaire coincée me fait signe d’entrer.
— Monsieur Blackwood va vous recevoir.
Je prends une grande inspiration, ajuste ma jupe et entre avec l’assurance d’une femme qui sait parfaitement ce qu’elle fait.
Adrian Blackwood
Dès qu’elle franchit la porte, je sais qu’elle ment.
C’est un sixième sens. Un instinct aiguisé par des années à diriger une multinationale où les faux sourires et les promesses creuses sont monnaie courante.
Elle s’appelle Léna Morel. Vingt-six ans. Diplômée d’une université prestigieuse. Un parcours sans faute. Trop parfait, en réalité. J’ai parcouru son CV ce matin. J’ai appelé quelques contacts. Et devinez quoi ? Personne ne se souvient d’elle.
Elle avance vers moi avec un sourire éclatant. Un sourire étudié. Dos droit, regard assuré. Elle pense que son jeu est impeccable.
Elle se plante devant mon bureau et tend la main.
— Enchantée, Monsieur Blackwood.
Je ne réponds pas immédiatement. J’aime voir les gens se débattre dans l’incertitude.
Elle ne cille pas. Intéressant.
Je finis par serrer sa main et l’invite à s’asseoir.
— Léna Morel, n’est-ce pas ?
— Tout à fait.
— Dites-moi, quel a été votre plus grand défi en tant qu’assistante de direction chez Sterling & Co ?
Elle ne cligne même pas des yeux.
— Oh, sans hésitation, la gestion de crise lors du séminaire international à Hong Kong. Une pagaille monstre. L’équipe locale avait mal organisé la logistique et j’ai dû improviser un plan B en moins de trois heures.
Un mensonge. Un énorme mensonge.
Sterling & Co n’a jamais organisé de séminaire à Hong Kong.
Je croise les doigts devant mon visage et l’observe en silence.
Elle est douée. Très douée.
— Impressionnant. Vous parlez donc couramment le mandarin ?
Elle hésite. Une fraction de seconde. Un battement de cils en trop. Puis elle sourit.
— Bien sûr.
Parfait. Je la tiens.
Léna
Bon. J’ai merdé.
Je ne parle pas un traître mot de mandarin. Je connais à peine quelques insultes en chinois que j’ai apprises dans un film de kung-fu.
Mais c’est la règle numéro un d’un bon menteur : ne jamais reculer.
Alors, je me contente de sourire et d’attendre sa réaction.
Blackwood me scrute d’un air impassible.
Il est… intimidant. Plus grand que je ne l’imaginais, avec cette prestance qui vous fait sentir minuscule. Costume noir impeccable, regard d’acier, mâchoire serrée. Pas le genre à plaisanter.
Et moi ? Je suis assise là, en train d’improviser ma plus grosse escroquerie à ce jour.
— Bien. Il hoche lentement la tête. Nous avons une réunion avec des investisseurs chinois la semaine prochaine. Vous pourrez assurer la traduction.
Pardon ?
Merde.
Adrian
Elle blanchit légèrement.
Ah. Je savais que j’avais raison.
— Un problème, mademoiselle Morel ?
Elle se redresse aussitôt, retrouve son sourire charmant.
— Aucun ! Je serai ravie de m’en charger.
Je me retiens de sourire. Elle est incroyable.
D’autres se seraient décomposés sous la pression. Pas elle.
C’est fascinant.
Une menteuse née.
Et moi, je déteste les menteurs.
Alors pourquoi suis-je aussi curieux de voir jusqu’où elle ira ?
Léna
Dès que je quitte le bureau, je m’effondre sur un canapé du hall.
Ok. J’ai un problème.
J’ai décroché le job. Mais maintenant, je vais devoir survivre dans un environnement où chaque mensonge peut me faire exploser à la figure.
Et Adrian Blackwood…
Ce type est un requin. Un requin qui a flairé mon sang.
Si je veux m’en sortir, il va falloir que je devienne plus maligne que lui. Plus rapide. Plus audacieuse.
Et surtout…
Ne jamais, JAMAIS me faire prendre.
Léna
Je suis officiellement l’assistante personnelle d’Adrian Blackwood. Un miracle. Ou une catastrophe en devenir.
Je suis arrivée ce matin avec la ferme intention de m’intégrer discrètement, d’apprendre les bases du métier avant qu’il ne découvre mon imposture. Mais ça, c’était avant que Blackwood ne décide de m’humilier dès mon premier jour.
— Mademoiselle Morel, venez dans mon bureau.
Il ne lève même pas les yeux de ses dossiers, sa voix est sèche, tranchante comme une lame.
J’inspire profondément et entre.
Dès que je suis face à lui, il pose un lourd dossier sur la table.
— Voici l’intégralité du contrat entre Blackwood Corp et les investisseurs chinois. Vous avez la matinée pour le traduire en mandarin.
Un sourire cruel étire le coin de ses lèvres. Le salaud.
Je serre les dents.
Il veut me tester.
Je prends le dossier avec mon plus beau sourire.
— Bien sûr, monsieur Blackwood. Ce sera fait.
— Parfait. Dans ce cas, je veux un rapport détaillé sur les clauses les plus sensibles avant midi.
Un rapport en plus ?! Mais je me contente de hocher la tête et sors dignement de son bureau.
Léna – Panique totale
Dès que la porte se referme, je fonce à mon bureau, m’effondre sur mon fauteuil et ouvre le dossier.
Cent cinquante pages.
En anglais juridique.
À traduire en mandarin.
J’ai envie de pleurer.
Je regarde l’horloge. Trois heures.
OK. Je peux gérer.
Première étape : éviter la crise de panique.
Deuxième étape : tricher.
J’ouvre mon ordinateur et commence à copier-coller des passages dans un traducteur en ligne. Sauf que ça donne des phrases incompréhensibles.
Merde.
Je réfléchis à toute vitesse.
L’important, c’est d’avoir l’air crédible. Blackwood ne va pas relire toute ma traduction, il veut juste voir si je repère les points clés du contrat.
Alors… je vais improviser.
Je tape frénétiquement un rapport bidon en anglais, en surlignant quelques clauses au hasard. J’y ajoute des termes vagues comme "renforcement des accords commerciaux" et "négociation des actifs à long terme".
C’est du charabia. Mais du charabia convaincant.
À 11h55, je m’élance vers le bureau de Blackwood avec mes documents.
Je frappe.
— Entrez.
Adrian
Elle pose le dossier devant moi avec un sourire fier.
Je l’observe. Trop confiante.
Je feuillette rapidement les pages, note la mise en page impeccable, les termes bien placés.
Intéressant.
Je tourne lentement les pages.
Elle ne bouge pas.
Je relève les yeux.
— Vous avez vraiment traduit tout ça en trois heures ?
— Bien sûr.
Je ne réponds rien. Mensonge.
Mais quel culot.
J’appuie sur l’interphone.
— Natalie, envoyez-moi Monsieur Zhang immédiatement.
Elle sursaute.
— Monsieur Zhang ?
Je souris intérieurement. Tu paniques, Léna ?
Quelques minutes plus tard, Zhang, mon consultant en commerce international, entre.
— Monsieur Blackwood ?
— J’aimerais que vous vérifiiez la traduction de Mademoiselle Morel.
Le silence tombe comme une sentence.
Je sens son malaise, je vois son sourire s’affaisser légèrement.
Mais elle tient bon.
Zhang prend le dossier et le parcourt lentement.
— Eh bien… c’est plutôt clair, mais… Il fronce les sourcils. Il manque quelques nuances techniques.
Il ne dit pas que c’est faux. Parce qu’elle a triché intelligemment.
Je croise les bras.
— Intéressant. Je me tourne vers elle. Vous avez utilisé une source externe pour cette traduction ?
Elle se redresse.
— Non, j’ai simplement condensé les informations pour aller à l’essentiel.
Une réponse habile.
Zhang hoche la tête.
— Le document est bien présenté, même si certains termes sont un peu approximatifs.
Je la fixe encore un instant, cherchant une faille. Mais elle me tient tête, impassible.
Finalement, je me lève.
— Bien. Vous pouvez disposer, Mademoiselle Morel.
Léna – Une victoire temporaire
Je ressors du bureau en nage.
Il a failli me griller.
Mais j’ai tenu bon.
Adrian Blackwood est un prédateur, un type qui aime tester ses employés comme on teste la résistance d’un métal sous pression.
Mais moi, je suis Léna Morel.
Et je suis prête à jouer.
Ce n’est que le début.
AlejandroLe silence est absolu dès que je referme la porte derrière nous. Le tumulte de la fête s’éloigne, étouffé, remplacé par une paix étrange, presque irréelle. Comme si le monde attendait, suspendu, que nous franchissions ce seuil, seuls.Je reste un instant immobile, à contempler Léna. Elle est là, debout devant moi, plus belle que jamais, enveloppée dans cette robe qui épouse ses formes avec une délicatesse presque sacrée. La lumière tamisée caresse ses cheveux, dégage son visage, fait scintiller ses yeux où je me perds à chaque regard.Mon cœur s’emballe, et pourtant, une partie de moi voudrait figer ce moment pour ne jamais le perdre. Graver dans la mémoire chaque détail : la courbe de sa nuque, la façon dont ses lèvres tremblent doucement, cette lumière fragile et forte à la fois dans ses prunelles.Je m’approche lentement, presque avec crainte de briser ce fragile équilibre. Mes mains effleurent sa taille, caresse légère qui cherche à l’envelopper, à la rassurer. Elle ferm
LénaAlejandro.Il est là, droit comme un roi, calme et sûr de lui dans ce costume noir parfaitement coupé qui épouse ses épaules larges. Il n’a pas besoin de sourire pour que je sache qu’il est heureux. Ce sont ses yeux qui parlent, ces orbes sombres et vibrants qui m’électrisent à chaque regard. Quand il me fixe, j’ai l’impression d’être à la fois la seule femme au monde et celle qui a toujours su marcher sur le fil du danger, fragile et indomptable à la fois. Son regard est une promesse silencieuse, une déclaration d’amour et de guerre, un refuge indestructible.Je fais un pas.Un autre.Sous mes pieds, le sol est tapissé d’un mélange parfait de pétales rouges et blancs, la passion et la pureté mêlées dans un tapis vivant qui semble dessiner notre avenir, fragile et ardent. Chaque pas que j’avance est un défi, une victoire contre les ombres du passé, contre les cicatrices que la vie a voulu laisser. Je serre les poings, inspire lentement, profondément.Je suis prête.Un silence sol
Léna Le premier souffle du jour caresse la ville d’une lumière dorée, douce et fragile, comme une promesse suspendue. Tout semble retenir son souffle, comme si le temps lui-même attendait ce moment unique.Le manoir perché au sommet de la colline, surplombant la mer, vibre déjà d’une vie nouvelle. Les jardins, métamorphosés, se parent de guirlandes florales blanches et rouges ces couleurs qui parlent de passion et de pureté, comme notre histoire. Le parfum des roses et du jasmin flotte dans l’air salin, enveloppant tout d’un voile d’éternité.Au loin, j’entends le fracas des vagues contre les falaises, une mélodie grave et rassurante, comme un écho à ce que je ressens au fond de moi.Devant le grand miroir ancien, j’observe ma silhouette dans la robe blanche cassée, légère comme une armure de soie. Le corsage épouse mes formes, sans jamais m’enfermer. Mes mains tremblent quand je caresse le tissu, puis je pose ma paume sur la bague que je garde en secret depuis des mois ce cercle d’o
LénaJe n’arrive pas à détacher mon regard de l’anneau.Il brille sur ma peau comme un serment gravé à vif.Pas trop grand. Pas trop parfait. Juste… exact.À son image.À la mienne.J’ai toujours cru que je ne me marierais pas.Pas parce que je n’y croyais pas, non.Mais parce que je savais ce que cela exigeait.Un mariage, ce n’est pas une robe blanche ni des fleurs.C’est une guerre que l’on décide de mener ensemble, dos à dos.Contre le monde.Contre soi-même.Et Alejandro…Alejandro, c’est le champ de bataille que j’ai choisi.Et l’abri que je n’ai jamais osé espérer.Je le regarde. Il est là, penché sur moi, les yeux brillants d’une douceur qu’il ne réserve qu’à moi. Il ne parle pas, mais je le sens brûler. Fort. Fier. Foutu de certitude.— Tu devrais dormir encore un peu, murmure-t-il en m’effleurant la joue.Mais comment dormir quand ton cœur vient d’exploser sous ta cage thoracique ?Comment dormir alors qu’un homme comme lui vient de poser son monde entre tes mains ?Je secou
AlejandroIl est tard.Ou peut-être tôt.Je ne regarde même plus l’heure.Le silence est total, à peine troublé par le soupir des rideaux que la brise effleure. Dehors, la ville dort, inconsciente de ce moment suspendu. Et moi, je suis là, immobile dans ce fauteuil de cuir noir, torse nu, les bras croisés, incapable de détourner les yeux.Elle est là.Dans notre lit.Léna.Ses cheveux en bataille dessinent des constellations sur l’oreiller. Une mèche glisse sur sa joue. Sa respiration est calme, presque musicale, et chaque souffle qui s’échappe de ses lèvres me rappelle ce que j’ai failli perdre.Je la fixe comme on fixe une vérité trop longtemps tue.Quelque chose que j’ai tenté de fuir, de briser, de dominer.Et qui m’a toujours ramené à l’essentiel : elle.Chaque fois que je prononce son nom, même en silence, c’est comme un serment muet.Un aveu.Un cri intérieur.Léna.Je l’ai détruite.Puis recousue, à la manière d’un homme qui ne sait aimer qu’en griffant.Je l’ai défiée, testée
Adrian BlackwoodSilence.Après la tempête, il n’y a rien d’autre.Ni cris, ni ordres, ni urgence.Juste un calme suspendu, presque trop calme, comme si le monde avait cessé de tourner quelques instants.Un vide sonore, un écho gelé entre deux battements de cœur.Je suis resté là.Assis. Figé.La tête entre les mains, les coudes posés sur mes genoux.Le genre de posture qu’un roi n’adopte jamais.Mais ce soir, je ne suis plus un roi.Ce soir, je suis un homme à genoux, priant dans une langue qu’il ne comprend plus.Mes paumes tremblent encore.Je sens l’odeur métallique du sang. Le souvenir de son regard. Le froid dans sa peau.Et ce cri étouffé dans sa gorge, quand elle a murmuré mon nom comme une supplique.Elle est vivante.Et lui aussi.Ils sont là.Je me répète ça comme une incantation.Mais j’ai du mal à le croire.J’ai vu trop de morts pour croire sans douter à la survie.Puis on frappe à la porte.Un geste doux, discret, presque tendre.Je lève les yeux.Une infirmière entre,