Chapitre 7: revenir à soi

Chapitre 7— Revenir à soi

Rebecca se tenait près de la fenêtre, le téléphone à la main. L’écran affichait un numéro qu’elle n’avait plus composé depuis des années. Elle hésite encore quelques secondes, le cœur serré, puis appuya sur “Appeler”.

Un souffle. Deux tonalités. Puis une voix grave, toujours aussi douce malgré le poids des années :

— Rebecca ? Est-ce que… c’est bien toi ?

Un sourire timide étira les lèvres de la jeune femme.

— Oui, Professeur Thomson. C’est moi.

Il y eut un silence. Puis un rire chaleureux traversa la ligne.

— Eh bien… tu m’appelles après tout ce temps. J’allais justement t’écrire. J’ouvre une clinique de massage thérapeutique en ville. Et si tu n’étais pas en ligne aujourd’hui, je t’aurais appelée demain.

Rebecca sent son ventre se nouer. Ce genre de coïncidence lui avait toujours paru suspecte.

— Je… j’aurais dû vous appeler plus tôt. Mais j’avais honte. J’ai tout abandonné. Je suis partie comme une idiote, sans un mot.

— Rebecca… la coupe-t-il, doucement. Tu étais jeune, je peux te comprendre.

— Tu m’avais tendu la main à une époque où personne ne voyait ce que je valais, murmura-t-elle. Et moi, je suis partie. Juste parce qu’il m’a dit qu’il avait besoin de moi.

Elle entend un soupir à l’autre bout du fil fatigué et empathique.

— Tu m’as sauvé la vie, Rebecca. Tu te souviens ?

Elle ferme les yeux. Oui. Elle avait à peine 18 ans. Étudiante dans un petit programme de soins corporels accessible sans diplôme universitaire, réservé aux jeunes en situation difficile. Elle n’avait pas de parents présents. Son père était une silhouette floue, jamais revenue. Sa mère, une voix au téléphone tous les trois mois, trop occupée par ses choix chaotiques pour assumer deux enfants, Alors évidemment, ils ont choisi la sœur la plus brillante

pour rester avec eux, et l’ont envoyée, elle, chez la grand-mère, livrée à elle-même..

Sa grand-mère, une femme fière, malade du cœur, mais pleine d’une tendresse brute. C’était elle qui l’avait poussée à faire quelque chose “avec ses mains”. Elle disait toujours que Rebecca avait “les doigts qui réparent”.

Ce jour-là, au centre de formation, le Professeur Thomson , un homme respecté, spécialiste des techniques de massage nerveux , s’était effondré en plein cours. Crise d’hypoglycémie, puis malaise cardiaque.

Pendant que les autres élèves criaient ou restaient paralysés, Rebecca, elle, avait couru. Elle avait desserré sa cravate, vérifié sa respiration, soulevé ses jambes. Des gestes appris en observant les infirmiers de sa grand-mère. Des réflexes instinctifs.

Elle avait maintenu le rythme de ses battements jusqu’à l’arrivée des secours. Elle ne s’était pas effondrée. Pas paniquée. Juste… agi.

C’est ce jour-là que Thomson avait dit : « Tu as un don, Rebecca. Pas juste dans les mains. Dans le cœur. »

Il avait insisté pour la prendre en formation avancée. Il lui avait appris des gestes précis, des pressions millimétrées capables de calmer une crise, soulager une douleur, libérer une tension.

Elle aimait ça. Plus qu’elle ne l’avait jamais avoué. Quand elle travaillait sur un corps, elle n’existait plus. Elle entrait dans un état de calme absolu, de concentration pure.

Puis Gregory était arrivé. Et avec lui, le sentiment qu’elle n’avait plus besoin de se battre. Qu’il suffisait de l’aimer, d’être là. Elle avait laissé tomber la formation. Pensant qu’elle avait trouvé sa voie dans le couple. Quelle erreur.

— Professeur, souffla-t-elle, est-ce qu’il est trop tard ?

Il rit doucement.

— Trop tard ? Rebecca, ton instinct, ta main, ton énergie, ça ne disparaît pas. Ça se repose. Ça attend qu’on vienne les réveiller.

Elle sentit les larmes lui monter aux yeux.

— Je suis prête, murmura-t-elle. Cette fois, je ne fuis plus.

— Alors viens lundi matin. La clinique est au centre-ville, juste derrière le jardin botanique. Il y a un cabinet prêt pour toi. Un uniforme t’attend. Et une table de massage avec ton nom dessus.

Elle sourit, la gorge nouée.

— Merci… Merci de ne pas m’avoir oubliée.

— Je t’ai observée longtemps, Rebecca. Même de loin. Tu avais besoin de tomber pour comprendre où était ta vraie force. Ce n’est pas une faiblesse. C’est une renaissance.

Quand elle raccroche, elle reste debout un moment.

Puis elle va dans le salon. Séléna lisait, un masque de soin sur le visage.

— C’était qui ? demanda-t-elle en relevant la tête.

— Monsieur Thomson . Mon ancien professeur. Il m’a proposé un poste dans sa nouvelle clinique. Je commence lundi.

Séléna éclata de joie, se leva d’un bond.

— Mais c’est incroyable ! Tu veux dire que tu reprends ta formation ?

Rebecca hocha la tête, une lueur nouvelle dans le regard.