Chapitre 4

Sélina a été réveillée par un appel venant du Manoir Robert, elle s'est levée en grognant, encore à moitié endormie.

Elle a remarqué que le liquide dans la poche de perfusion était déjà vide, sans qu'elle ne s'en aperçoive, et que le sang avait remonté dans la tubulure de perfusion. Elle s'est hâtée de retirer l'aiguille et a pris l'appel.

« Madame Sélina, Madame Isabelle souhaite que vous et Monsieur reveniez dîner demain. Le temps se refroidit, l'automne est arrivé, Madame Isabelle a un peu de toux et elle aimerait goûter votre sirop de poire ! »

Sélina a interrompu brièvement son geste. « Mamie ne se sent pas bien ? Que dit le médecin de famille ? »

« Le médecin dit que ce n'est rien de grave, juste quelques petits maux de personnes âgées. Il suffit de se reposer. Si vous êtes inquiète, vous pouvez revenir avec Monsieur pour la voir. »

Isabelle faisait davantage confiance à la médecine douce qu'à la médecine conventionnelle.

Sélina a touché la plaie près de son front, a remis ses cheveux, et, s'assurant qu'ils couvraient bien la blessure, elle a fini par répondre : « D'accord... alors, on rentrera demain pour accompagner Mamie. »

La chambre était remplie de l'odeur des désinfectants, et avec le matelas de l'hôpital auquel elle n'était pas habituée, Sélina a passé la nuit à se retourner sans réussir à bien dormir.

À l'aube, elle s'est levée et s'est dirigée vers l'entrée de l'unité de soins intensifs. À travers la vitre, elle a observé Romain, toujours inconscient, et ses pensées étaient en désordre.

Il y a eu un instant où Sélina s'est dit que, lorsqu'elle avait tout laissé derrière elle pour courir à Paris avec François, elle avait fait une erreur monumentale !

En revenant dans la chambre, Sélina avait l'intention de demander à Théo d'apporter le petit déjeuner, mais elle ne s'était pas attendue à ce que Nancy arrive plus tôt que tout le monde, avec une boîte à repas de La Maison Céleste dans les mains.

En voyant le bandage sur le front de Sélina, la toujours décontractée Mademoiselle Petit s'est indignée immédiatement : « C'est aussi grave que ça ? Et tu m'as fait croire que tout allait bien ! Ce sale type de François, sa femme est à l'hôpital et lui il va accompagner une autre femme ! Il est complètement fou ou quoi ! Et il veut se prendre pour un héros qui sauve une demoiselle en détresse ! C'est un lâche sans honneur ! Ces deux-là sont des ordures, qu'ils restent ensemble pour toujours ! »

On ne pouvait pas en vouloir à Nancy d'être aussi en colère, car les nouvelles d'hier étaient toujours en tête des tendances, et cela semblait clairement être une humiliation publique pour Sélina, la femme légitime.

Un homme comme François, beau et homme d'affaires parisien de renom, qui se retrouvait mêlé à une belle et célèbre artiste, avait immédiatement attiré toutes sortes de rumeurs et de potins.

Nancy avait passé la nuit à lire des potins en ligne, et en voyant le sujet devenir de plus en plus populaire, elle avait fini par conclure qu'on avait sûrement payé pour faire monter ce sujet dans les tendances !

Furieuse, elle avait ajouté plusieurs influenceurs en tant qu'amis, afin de dépenser de l'argent pour obtenir des informations. Comme elle l'avait prévu, il s'était avéré que c'était Sophie, cette femme qui semblait si pure et innocente, qui avait payé pour faire monter les rumeurs la concernant et François en tête des tendances.

Elle n'avait vraiment aucune honte ! Elle s'était volontairement fait passer pour la maîtresse !

Sélina a bu une soupe de poulet avec des truffes, a levé paresseusement les yeux, sa voix teintée d'une froideur discrète : « À l'époque, la famille Robert ne voyait pas d'un bon œil Sophie. Sophie avait sauvé la vie de François, mais la grand-mère de François aurait préféré payer pour remercier Sophie de cette faveur, plutôt que de la voir épouser un Robert. Aujourd'hui, Sophie est revenue de ses études à l'étranger, et François fait tout pour la mettre en avant, organiser des expositions, dans le but de lui donner suffisamment de statut pour entrer dans ce milieu. Mais tu sais aussi bien que moi, ce milieu n'est pas si facile d'accès. Même si Sophie semble avoir du succès, au mieux elle porte le titre de 'célèbre artiste', mais notre milieu regorge de peintres et d'artistes. »

Sophie se faisait la douce illusion que ce qui déplaisait à Isabelle dans son cas, c'était son manque de naissance. Mais Isabelle, qui tenait les rênes du Groupe Robert depuis des années, était surnommée à juste titre « la Dame de Fer » et pouvait voir le vrai visage de chacun.

Sophie, cette jeune fille forte, optimiste et déterminée, semblait innocente et sans malice, mais ses intentions étaient loin d'être aussi simples qu'elles en avaient l'air. Quant à ses véritables motivations envers François, Isabelle en avait une parfaite clarté.

« Exactement ! » Nancy s'est réveillée soudainement, comprenant le jeu sous-jacent. « Sophie est de retour dans le pays, elle a un peu de réputation, mais qu'est-ce que ça change ? Elle veut entrer dans ce milieu, et François est le chemin le plus rapide pour y parvenir ! »

Sélina a acquiescé et a ajouté calmement : « Et puis, mon contrat de mariage avec François arrive bientôt à son terme, et elle a choisi ce moment précis pour revenir. »

Sélina a tiré sur ses lèvres, ses sourcils délicats ont arboré une légère froideur. Après avoir bu tout un bol de bouillie chaude, ses lèvres pâles ont retrouvé enfin un peu de couleur.

Nancy a laissé échapper un petit reniflement, son visage a marqué par un dédain évident. « On dirait que ces trois années à l'étranger ne lui ont pas seulement ajouté des printemps, mais aussi un peu de jugeote ! »

C'était donc compréhensible que, dans le passé, elle ne faisait que publier discrètement quelques photos pour provoquer Sélina, la légitime épouse, sans jamais oser envenimer les choses sur internet.

À peine rentrée, elle profitait déjà de l'occasion pour se faire de la publicité sur sa relation avec François, ouvrant ainsi des portes pour elle-même, s'intégrant rapidement dans le milieu, et en même temps, elle avait réussi à agacer Sélina d'un coup, sans même avoir à se battre. C'était vraiment une manœuvre habile !

Nancy, après avoir réfléchi un moment à tous ces dessous, s'est souvenue soudain de quelque chose. Elle a sorti son téléphone, cherchant les photos de l'exposition de Sophie qu'elle avait reçues.

« Voici les photos de l'exposition de Sophie. J'ai demandé à des amis dans le milieu de prendre une photo de chaque œuvre. Mais plus je regarde, plus je trouve que le style de ces peintures me semble étrangement familier. »

Nancy, bien qu'assez négligente de nature, était une héritière de famille aristocratique. Élevée dans un environnement strict, ses goûts esthétiques et son sens de l'art ne devaient pas être pires que ceux de la plupart des gens.

Si elle pouvait repérer ces problèmes dans les tableaux, Sélina, qui avait étudié l'authentification des œuvres, ne pouvait sûrement pas les ignorer !

Elle n'y croyait pas. Trois ans, même si François avait investi de l'argent pour faire progresser Sophie, et même si Sophie avait un certain talent pour la peinture, il était impossible qu'elle ait pu progresser si vite en si peu de temps.

De plus, au niveau de la qualité, même les brouillons de Sélina étaient meilleurs que les œuvres de Sophie, et pourtant, elle avait le culot d'organiser une exposition !

Sélina a passé quelques minutes à parcourir tous les albums, son visage pâle affichant une expression neutre. Ces albums semblaient confirmer ses soupçons, mais elle ne semblait pas vraiment surprise.

« Tu as bien raison, dix pour cent sont ses œuvres, et le reste, quatre-vingt-dix pour cent… doivent être l'œuvre d'un artiste fantôme. »

« Putain ! » s'est exclamée Nancy, excitée. Elle s'est assise précipitamment, tenant son téléphone et faisant défiler les photos avec enthousiasme. Elle a semblé avoir découvert un énorme scandale, et son visage s'est couché dans une expression presque exagérée.

« Elle a vraiment fait appel à un artiste fantôme ? ! »

Sélina lui a jeté un coup d'œil. En voyant l'éclat dans ses yeux, elle n'a pas pu s'empêcher de sourire. « Pourquoi tu es si contente ? Même si Sophie se plantait, il y aurait toujours quelqu'un pour la rattraper. »

Nancy a ricané et ses yeux se sont plissés d'une lueur malicieuse. « Même si François, ce sale type, venait à la sauver, je ferai en sorte qu'elle devienne la plus grande risée de tout le milieu ! Elle croit quoi, elle ? Elle ose s'attaquer à ma meilleure amie ! »

Nancy a fait défiler une image au style différent et a tourné l'écran de son téléphone vers Sélina en lui demandant : « C'est celle des dix pour cent ? »

Sélina a hoché la tête. Nancy a agrandi immédiatement la description sous l'œuvre et a écarquillé les yeux.

« Eh bien ! Et qu'est-ce que c'est que cette mention “œuvre précoce” ? C'est pour éviter que les connaisseurs ne repèrent tout de suite la médiocrité du niveau, et qu'elle puisse se défendre en disant que c'était une de ses premières œuvres, pas encore mûre ? »

Sélina a souri légèrement sans dire un mot. Elle était trop occupée à réfléchir à la manière d'aborder François au sujet de leur retour au Manoir Robert. Après tout, elle avait déjà signé les papiers du divorce, mais elle devait encore jouer la scène du couple amoureux devant sa grand-mère. Ce n'était vraiment pas facile.

« Les techniques de l'artiste fantôme sont clairement bien plus avancées que celles de Sophie. Qui serait assez idiot pour ne pas saisir sa chance de se faire un nom et, à la place, jouer à l'artiste fantôme pour Sophie ? »

Nancy a eu l'impression que le style de ces peintures lui était familier, mais elle n'arrivait pas à se souvenir d'où elle avait déjà vu quelque chose de similaire.

« Peut-être que cette personne a rencontré des difficultés ! Sinon, avec son talent, la célébrité n'aurait été qu'une question de temps. Sinon, il ne se serait pas retrouvé à jouer le rôle de peintre fantôme. »

Il y avait une œuvre parmi celles-là que Sélina avait vue quelques années auparavant lorsqu'elle était partie en Provence chercher des herbes médicinales, et par coïncidence, elle se trouvait aussi dans cette exposition.

Le soleil a percé les nuages, diffusant une lumière éclatante qui a formé un effet Tyndall, aussi magnifique qu'un paysage féerique.

Pour pouvoir voir ce moment, elle avait dû se lever tôt plusieurs matins et grimper en haut de la montagne, juste pour apercevoir cette scène qui durait quelques secondes.

La peinture était un art, une passion. À moins qu'il n'y ait eu une raison particulière, cet homme n'aurait jamais accepté de devenir peintre fantôme juste pour de l'argent.