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Chapitre 2 — L’offre

Author: Déesse
last update Huling Na-update: 2025-04-13 07:44:34

Graziella

Je regarde la carte une fois de plus, comme un test. Un piège. Un billet vers l’enfer, un autre vers le sommet. Le nom d'Élias De Marens inscrit en lettres noires, aussi lisses et froides que l'immobilier de luxe qu’il semble posséder. Je devrais la jeter, ignorer ce qu'elle représente, oublier tout cela. Mais mon cœur s’emballe à chaque fois que mes yeux glissent dessus. Un mystère, un pari, un rêve brisé… je ne sais pas encore.

Je la tiens dans ma main, mes doigts tremblants. Elle n’a pas de logo, pas de référence, juste une promesse, cette simple phrase qui m’hypnotise : « Appelez-moi si vous voulez vraiment briller. » Ça semble si simple, mais je sais que tout dans cette phrase est chargé d'implications.

Je ferme les yeux un instant, le bruit de la ville gronde à travers la fenêtre. L'Opéra, la scène… tout ce que j’ai toujours voulu. Mais à quel prix ? Et suis-je prête à payer ce prix ?

Un bruit dans l’encadrement de la porte. Ma mère. Le regard fatigué, mais bienveillant. Elle a vu cette carte plusieurs fois maintenant. Elle sait que je doute. Elle sait que j’ai une ambition trop grande pour être contenue dans ce petit appartement, mais elle ne le dit jamais à voix haute. Elle a vu toutes les étoiles montantes se briser autour de nous, et elle craint que je devienne juste une autre d’entre elles.

— Tu te nourris ? Elle me parle, les yeux dans le vague. Je ne réponds pas. Je suis trop absorbée par cette carte.

Elle s'assoit en face de moi, ses mains calleuses frottant une vieille nappe en lin. J'ai le sentiment que le monde entier peut s’effondrer, mais elle continue à faire ce qu'elle fait tous les jours. Travailler sans jamais se lasser, sans jamais chercher autre chose.

— Je suis fatiguée, Graziella, dit-elle enfin. Tu veux vraiment y aller ? Tu crois que ces gens-là te donneront quelque chose de gratuit ? Ils ont toujours tout ce qu’ils veulent. À nous de payer.

Sa voix s'est adoucie, mais je sais qu'elle craint ce genre de propositions. Elle veut protéger ce qui est encore pur en moi, ce rêve naïf que la danse pourrait me sauver de la pauvreté, que la scène peut être un lieu de beauté et non de manipulation.

Je respire profondément, essayant de lire entre ses mots. Elle a raison. Elle a toujours raison sur ce genre de choses. Mais… est-ce que j’ai le choix ?

Je suis si proche. Les auditions, les petites scènes… tout cela ne me suffit plus. J’ai besoin de plus. Je veux plus.

— Maman, je… je crois que je vais l’appeler. Ce n’est pas juste une promesse, c’est une chance.

Je vois la douleur traverser son visage, mais elle ne me retient pas. Elle le sait, tout comme moi, qu’un jour je devrais faire ce choix. Peut-être que ce jour est arrivé plus tôt que prévu.

Elle ne dit rien. Elle tourne la tête, comme si, au fond, elle avait su que ça viendrait.

Je me lève. J’ai l’impression de marcher sur du verre brisé. Je mets la carte dans ma poche. Elle brûle contre ma peau.

---

J’ai du mal à respirer une fois devant la porte. Je suis au numéro de l’adresse inscrite sur la carte. La rue est silencieuse, déserte, comme une vieille peinture de Paris figée dans le temps. L’immeuble devant moi est beau, trop beau. Et tellement froid. L’impression qu’il n’a pas été fait pour être habité, mais pour être admiré.

Je monte. Chaque marche me rapproche de la vérité, de l’inconnu. Ma main serre le téléphone dans ma poche. Que vais-je dire ? Comment vais-je dire ces mots ? Que je suis prête ? Mais prête à quoi, vraiment ?

Je me tiens là, face à une porte noire, et tout en moi hurle de reculer, de fuir. Mais je sais aussi que ce qui m'attend derrière pourrait me propulser dans un autre monde, un monde que j’ai rêvé sans jamais oser y croire.

Je sonne. L'ombre derrière la porte s'agite avant de s'ouvrir. Un homme, grand, avec des traits durs, me scrute un instant avant de me laisser entrer. Aucune question. Aucune salutation. Juste un silence chargé. L'ambiance est lourde, feutrée, mais quelque chose dans l’air me dit que tout ici est soigneusement calculé. Rien n’est laissé au hasard.

Il me conduit jusqu’à une pièce éclairée par des lumières tamisées. Là, seul, derrière un bureau en bois sombre, se tient Élias De Marens.

Il ne sourit pas. Il ne me fait pas de compliments. Il me regarde comme s'il cherchait à voir au-delà de ma peau. J’ai l’impression qu’il peut lire en moi comme un livre ouvert. Et c’est dans cet instant de vérité, de fragilité, que je me sens vulnérable comme jamais.

— Graziella Valcourt. Vous avez du talent. Mais il ne suffit pas.

Ses mots me frappent comme un coup de poing dans l’estomac. Il ne m’offre pas de rêve tout de suite. Non. Il commence par un constat froid, un jugement silencieux.

— Vous voulez tout. Vous voulez l’Opéra, les rôles principaux, la reconnaissance. Mais vous devez comprendre une chose : pour avoir cela, vous devez me donner quelque chose en retour.

Je reste immobile, mais mon cœur bat trop fort. Un marché, je le sais. Il est là, tout tracé, prêt à être signé. Je pourrais dire non. Mais ma bouche se sèche. Mes yeux restent fixés sur lui, et chaque fibre de mon être me hurle de courir.

— Que voulez-vous de moi ? murmuré-je, à peine un souffle.

Il se lève. Lentement. Ses mouvements sont mesurés, prédateurs. Et puis, il m’approche, tout près, si près que je sens son parfum, lourd, masculin, envoûtant.

— Vous m’appartiendrez. Corps, âme, et danse. Vous serez la mienne.

Et là, dans ce silence, dans ce regard intense, je sens tout ce que je pourrais devenir. La célébrité. La gloire. Ou bien tout perdre en un instant. 

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