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Alessia avait appris à aimer la solitude. En vivant dans cette maison, elle était devenue son quotidien. Être seule comme maintenant, seule avec ses démons et ses pensées noires. Seule. À se demander si cette vie méritait d'être vécue. Elle en voulait beaucoup à sa sœur. D'une part, elle ne l'avait jamais contrainte, mais elle ne lui avait même pas laissé une raison de refuser. Et Dieu seul savait qu'elle lui faisait regretter chaque jour cette décision. Elle avait l'impression que chacun de ses gestes était épié, scruté. Comme si elle n'avait jamais quitté cette maison. Après tout, elle n'avait été qu'une remplaçante. — Madame. Cette voix fit sortir Alessia de ses pensées. — Madame Martin vous attend. Alessia fit glisser ses yeux sur la table avant de les poser sur la jeune femme et de lui offrir un sourire. Elle enfouit de nouveau ses doutes en elle, là où personne ne les verrait. — Bien. Dis-lui que j'arrive dans un instant. La domestique s'inclina et s'en alla. De nouveau seule, Alessia prit une grande bouffée d'air puis se leva. En rejoignant l'étage, elle passa devant le bureau d'Ethan. Ce dernier avait une conversation avec sa mère. Elle s'arrêta un instant. La discussion n'était pas houleuse, mais elle méritait qu'elle en connaisse le sens. — Fils, tu sais qu'il est temps pour vous d'avoir un autre enfant. La famille a besoin d'un héritier, tu le sais. C'était sa belle-mère qui avait pris la parole, et Alessie fronça les sourcils. Elle qui pensait être la seule à recevoir ce genre de remarques... Elle s'était lourdement trompée. — T'as pas que moi comme enfant. Tu peux te rabattre sur ton deuxième fils si t'as besoin d'un héritier. Eleanor m'a déjà donné une ravissante fille, et ça suffit. Les paroles d'Ethan avaient été dites avec tellement d'amertume que Alessie préféra s'en aller. Elle ne voulait pas souffrir en se rendant compte qu'elle n'était personne dans cette maison. — Je t'écoute et je me demande toujours si t'es bien mon fils. Tu parles de ta femme comme si celle que t'as ici ne compte pas. La matriarche poussa la chaise d'un grincement dur. — Je te l'ai déjà dit, tu t'en souviens ? Lorsque ta femme n'a pas hésité à prendre sa sœur pour réceptacle et que tu as accepté de te marier à elle, je t'ai dit qu'il ne fallait pas la faire souffrir. Tu ne veux pas lui donner sa chance, même après deux ans. — Ce n'est pas une question de chance. Je ne veux pas oublier Eleanor. Elle était et elle restera mon seul amour. Sa mère baissa la tête, non par compassion, mais parce que son fils s'obstinait à ne pas comprendre où elle voulait en venir. — Garder un squelette ne va pas te faire avancer. On ne te demande pas de l'oublier, mais tu ne vois pas que cette pauvre oméga est malheureuse ? Même moi, je le vois. Et de plus, tu es l'aîné, et c'est à toi qu'on va donner la responsabilité de l'héritier. Si tu ne fais pas fonctionner les choses, elles ne le feront pas toutes seules. Elle se leva, prit son sac qui se trouvait sur le bureau. Ses doigts avaient serré la sangle. — Je veux vous voir demain. Ton frère rentre, et il n'a même pas encore rencontré ta nouvelle femme. Ethan ne répondit pas, mais elle savait que ces paroles avaient été bien reçues. Peut-être que ça les aiderait à avancer dans leur relation. Et peut-être que d'ici là, elle pourrait serrer son petit héritier. Elle sourit. Lorsqu'elle referma la porte du bureau, elle vit Alessia descendre les marches. Elle se rapprocha donc d'elle. — J'ai parlé à Ethan. Demain, nous organisons un repas, et j'aimerais que tu viennes un peu plus tôt, histoire d'aider en cuisine. Tes plats se trouvent être délicieux. Ça plairait beaucoup à mes fils. — J'y serai, maman. — Bien. En ce cas, à demain. Puis elle s'en alla. Alessie souffla une deuxième fois et rejoignit l'entrée, où l'attendaient déjà son chauffeur et garde du corps, Martin. Lorsque ce dernier la vit, il s'empressa de lui ouvrir la portière. Alessie lui sourit, et il lui rendit son sourire en allant prendre place à l'avant. Puis il démarra sans plus attendre. ✩ — Madame Blackwood, je vous sens un peu distraite lors des cours. Quelque chose s'est passée ? — Monsieur, ce n'est rien. C'est juste que je suis un peu prise. Alessia avait le visage baissé, et ses doigts s'emmêlaient et se démêlaient entre eux. Elle ne voulait pas leur dire la cause de ce relâchement. L'enseignant déposa un dépliant sur le bureau. — Vous m'avez dit que vous aimeriez avoir un travail à l'université. Il se trouve qu'il y a un élève de troisième année qui cherche une preneuse de notes. Il a un problème auditif et, en ce moment, il n'arrive plus trop à suivre. Il voudrait bien de l'aide. — Je commence quand ? Alessia s'empressa de répondre. — Mais tu n'as même pas encore vérifié si vos horaires correspondaient ou si le salaire te convenait. — Je n'ai pas besoin de tout ça. Si je peux rester loin de chez moi encore un peu plus longtemps, alors j'accepte. L'enseignant regarda Alessie longuement, essayant de voir derrière sa carapace. Mais la seule chose qu'il voyait était une jeune oméga triste et renfermée. Alessia était aussi restée là à le fixer, attendant qu'il lui donne plus d'explications sur ce job. — Ah oui... Il tendit le dépliant, et Alessia le prit. — Tout y est. Son nom et son numéro. Tu peux l'appeler et voir tout ça avec lui. Alessia hocha la tête, puis se leva et inclina respectueusement la tête avant de sortir de la salle. Elle rangea le dépliant dans son sac en voyant que son garde du corps l'attendait. — Déjà terminé ? Il voulait quoi ? La voix du garde s'éleva dans le couloir bientôt désert. — Pas grand-chose. Juste pour me faire savoir que mes notes avaient baissé, mais rien que je ne puisse améliorer. Le jeune homme hocha la tête. Lorsque son patron lui avait demandé de prendre soin de son épouse, il avait accepté parce qu'il n'y pouvait rien. Mais maintenant qu'il avait appris à la connaître, il l'aimait bien. Pourtant, Alessia ne lui disait toujours rien. Il l'accompagna ensuite à son dernier cours de la journée. Après ça, il resta en retrait, comme d'habitude. Alessia n'était plus vraiment là. Son cœur ? Ses yeux étaient restés collés au dépliant. Elle sortit ensuite son téléphone et enregistra le numéro, puis elle envoya un message. La réponse ne tarda pas à la faire sourire. . . . « Eleanor, je pense que je viens de trouver un échappatoire. »ʚĭɞ L'obscurité habituelle n'était plus. La prairie verdoyante, remplie de ses magnifiques fleurs, de sa colline, du vent frais et rafraîchissant, n'était plus. Seul un blanc immaculé à perte de vue subsistait. C'était froid, d'un froid absolu et stérile, et silencieux, trop silencieux, un silence de cathédrale engloutie.Elle ne savait pas où elle se trouvait. Debout, elle se mit à pivoter sur elle-même, mais rien, pas une âme qui vive, aucun point de repère dans ce néant laiteux. Désespérée, elle s'affaissa, ne sachant pas si la surface qui la soutenait était le sol, le ciel, ou l'entrecroisement des deux. Aucune frontière ne délimitait cet espace hors du monde.Alors qu'une panique glaciale menaçait de submerger son être tout entier, une voix, qu'elle aurait reconnue entre un milliard, s'éleva dans le brouillard. Une petite silhouette se dressa devant elle, son visage flouté, indistinct, comme protégé par un voile d'énergie pure.« Pourquoi tu ne t'es pas battue ? » Sa voix calme
❈Une voix grave, striée de cette neutralité clinique propre aux annonces tragiques, fendit l’air étouffant de la salle d’attente via le système de hauts-parleurs. « Code rouge. Arrêt cardiorespiratoire en salle de réveil, chambre 4. Équipe de réanimation, stat. »Le cœur d’Ethan Blackwood se bloqua net, comme sidéré, avant de repartir dans un martèlement chaotique qui lui monta à la gorge. Avant même que son cortex cérébral n’ait achevé de traiter l’information, son corps d’alpha avait réagi. Un instinct primal plus fort que la raison. Il fut debout dans un mouvement fluide et violent, enjambant presque le banc où il était assis avec son frère, propulsé par une vague d’adrénaline pure.Il fonça, visant le couloir, ce boyau aseptisé qui menait à l’unique chose qui importait. Damien était à ses trousses, tentant de rattraper son élan désespéré. À peine arrivé devant la porte numérotée 4, une infirmière – un bloc infranchissable en tunique bleue – le repoussa fermement d’une poussée sèc
❍Ethan Blackwood avait passé la nuit à veiller sur Alessia. « Veiller » était un bien grand mot. Il n’avait été autorisé à rester à son chevet que cinq courtes minutes, le temps de serrer sa main inerte dans les siennes, avant qu’une infirmière ne le prie respectueusement de sortir. Trop de présence, avait-elle expliqué d’une voix douce mais ferme, pourrait nuire à son réveil.Il avait alors rejoint la salle d’attente où Nathaniel l’attendait, immobile et silencieux. Un faible sourire, l’ombre de lui-même, avait étiré les lèvres d’Ethan en l’apercevant. Ils étaient restés là, côte à côte, sans un mot, à observer le ballet silencieux du personnel médical et les angoisses des autres familles en attente. Des heures s’étaient écoulées, rythmées seulement par le tic-tac implacable de l’horloge murale et le bourdonnement étouffé des néons. Lorsque les premières lueurs de l’aube avaient teinté le ciel d’un gris laiteux et que la neige avait commencé à recouvrir la ville d’un linceul immacul
~ ʚĭɞ ~Ses doigts défilèrent sur son dos nu avec une lenteur délibérée, telle une mélodie de caresses silencieuses. Chaque parcelle de peau, chaque courbe et chaque cicatrice invisible était honorée sous ce toucher possessif et apaisant. Après leur étreinte, Damien s’était retiré, et ce simple geste les fit soupirer en parfaite synchronie, un son lourd de bien-être et de complicité. Puis, sans un mot, il l’avait soulevée dans ses bras, comme si Kaëlle ne pesait pas plus qu’une plume, et l’avait emportée vers la salle de bain.Là, sous la lueur tamisée, il fit couler l’eau de la baignoire, y versant les huiles essentielles que son oméga lui avait tendues. Un parfum envoûtant de vanille et de santal embauma instantanément la pièce, créant un cocon vaporeux. Ils s’installèrent ensemble, l’eau chaude enveloppant leurs corps fatigués. Le dos de Kaëlle vint se coller contre le torse musclé de Damien, et ce dernier enroula fermement ses bras autour de sa taille, l’enserrant dans une bulle d
~ ʚĭɞ ~Le soleil filtrait ses rayons d’or pâle à travers les voilages, inondant la chambre d’une lumière laiteuse et chaude. Des particules de poussière dansaient comme des paillettes dans l’air, portées par les souffles du vent qui faisaient onduler les rideaux d’un blanc éclatant. Allongée sur le lit immense, Kaëlle avait le bras replié sur son visage, bouclier fragile contre l’assaut de la lumière. Trop épuisée pour se lever, trop vidée pour même fermer complètement les paupières. Depuis son retour de l’hôpital, le sommeil fuyait son corps tendu, son esprit emprisonné dans les mots énigmatiques de Nathaniel, son beau-frère. Une lubie pour le sang… Que cachait cette phrase sibylline ? Un frisson lui parcourut l’échine.Un soupir las, lourd de fatigue et d’interrogations, s’échappa de ses lèvres pulpeuses. Elle se redressa avec une lenteur sensuelle, sculptant son dos cambré contre la tête de lit en acajou massif. Elle glissa un coussin de soie entre ses jambes, un faible réconfort,
~ ʚĭɞ ~Sur le chemin sinueux qui serpentait vers l’hôpital, Ethan Blackwood sentait son cœur battre à tout rompre contre sa cage thoracique, comme un oiseau affolé pris au piège. Maintenant que l’adrénaline de la crise retombait, une marée noire d’angoisse l’envahissait, lui serrant la gorge et le ventre. Son téléphone vibrait sans relâche contre le cuir de son siège. Il jeta un regard fiévreux à l’écran où le nom de Nathaniel dansait, les lettres semblant flotter dans l’air épais de l’habitacle, telles des lucioles hypnotiques et menaçantes.Il brûlait de répondre, mais une peur viscérale, primitive, lui tordait les entrailles. La perspective d’entendre une mauvaise nouvelle, déformée par la froideur d’un appareil, lui était insupportable. Il devait être là. Il devait voir, entendre, toucher la réalité. Son véhicule, une BMW noire aux lignes agressives, s’immobilisa dans un crissement à peine audible devant l’entrée glaciale des urgences. La portière s’ouvrit avant même que le moteu