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Eleanor était une jeune bêta pleine de vie, souriante et un peu espiègle. C’est comme ça qu’Alessia se souvenait d’elle. Elle s’était mariée à 26 ans avec l’amour de sa vie, et Alessia n’était qu’au lycée. Elle ne voyait plus sa sœur et leur relation s’était un peu distancée. Durant plus de cinq ans, Alessia avait vu Eleanor venir pleurer dans les bras de leur mère, parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Des difficultés de conception, lui avait dit le médecin de la famille Blackwood. Normal, puisqu’elle n’était qu’une bêta et Ethan, un alpha dominant. Ce n’était pas courant, ce genre de mariage. Mais voilà, leur mère lui avait dit qu’Ethan l’aimait beaucoup, et Alessia ne pouvait que croire à ces paroles. Alors qu’on leur avait enfin annoncé la nouvelle de sa grossesse, Eleanor avait aussi appris qu’il ne lui restait que quelques mois à vivre. Un cancer en phase terminale, ce qui n’avait fait qu’achever sa sœur. Alessia avait tout vu : les traitements, les espoirs, les déceptions. Lorsqu’Eleanor lui avait demandé son aide, elle avait accepté, simplement parce qu’elle était la seule à qui sa sœur pouvait se confier. Mais maintenant, Alessia pensait que tout cela n’avait été qu’une erreur. Elle n’avait pas pu faire le deuil d’Eleanor. Les médecins le lui interdisaient : "Pas de tristesse, cela affecterait le fœtus." Alors, Alessia avait enfoui sa douleur. Pendant les premiers mois, alors qu’elle était encore à l’hôpital, c’était sa mère qui s’était occupée d’elle. Puis, quand elle avait rejoint la maison des Blackwood, c’était sa belle-mère qui avait pris le relais… tandis qu’Ethan, son propre mari, était toujours absent. Alessia se sentait comme un fantôme dans cette demeure. Mais elle gardait tout pour elle, pour le bien du bébé. Sa belle-mère semblait ravie, impatiente de tenir son petit-fils dans ses bras. Sauf que… Ce n’était pas un garçon. Dès que la petite Jun était née, tout avait changé. Le regard de Madame Blackwood s’était glacé. "Une fille ?" avait-elle murmuré, comme si c’était une insulte. Depuis ce jour, Alessia ne connaissait plus la paix. "Donne-nous un héritier." "Ton ventre a déjà servi une fois, il peut bien servir encore." Les mots de sa belle-mère résonnaient comme une condamnation. ✩ Ce matin-là, comme tous les autres depuis deux ans, Alessia se précipita dans la chambre de Jun pour l’habiller. La maison était silencieuse, seuls quelques domestiques vaquaient à leurs tâches. Elle ouvrit l’armoire… et tomba sur le visage souriant de la nourrice. — Madame, je vous ai déjà dit que je m’en occupais, protesta la jeune femme en lui prenant les vêtements des mains. — Mais j’ai envie de le faire. Laisse-moi t’aider. La nourrice secoua la tête, lui indiquant la porte du doigt. Alessia soupira et se dirigea vers la cuisine. C’était la seule chose qu’elle avait encore le droit de faire ici : préparer le petit-déjeuner. Elle moulut le café, mit le riz à cuire, prépara la soupe d’algues. Quand tout fut prêt, une servante dressa la table, et Alessia partit se préparer pour ses cours. Depuis son arrivée, elle partageait une chambre avec Ethan… mais son mari n’y dormait jamais. Il entrait seulement pour prendre ses affaires, comme ce matin. Ethan dormait encore. Alessia retint son souffle, attrapa ses vêtements, et… — Je t’ai déjà dit que je ne voulais pas sentir tes phéromones dans cette maison. Sa voix était froide, tranchante. Alessia se figea. — Je… je ferai attention, murmura-t-elle sans se retourner avant de s’enfuir. La porte claqua derrière elle. Son cœur battait si fort qu’elle avait l’impression qu’il allait exploser. La nourrice, Luna, la prit dans ses bras sans un mot. Elle était la seule à savoir ce qu’Alessia endurait ici. Ethan ne la touchait pas. Ne la regardait pas. Ne la supportait pas. "Je ne veux pas te sentir." La première fois qu’elle avait oublié ses inhibiteurs, il l’avait repoussée avec une violence qui l’avait marquée à jamais. Alors, elle faisait attention. Toujours. — Ça va ? demanda Luna en s’écartant. Alessia hocha la tête. — Bien. Va prendre ta douche, je m’occupe du sac de Jun. Dans la salle de bain, Alessia contempla son reflet dans le miroir. Une douleur sourde lui serra la poitrine. — Eleanor… est-ce que tu m’as enfermée dans une prison dorée ? Ses doigts tremblaient en effleurant son ventre, là où sa sœur avait placé son dernier vœu. — J’étouffe, tu sais. Une larme coula. Elle l’essuya d’un geste brusque, puis se déshabilla. L’eau glacée de la douche lui rappela une chose : Ici, elle ne serait jamais chez elle. ✩ — Allez, ma princesse, une dernière cuillère ! s’exclama Luna. — Non ! — Jun, tu n’as pas fini ton repas ! — Maman ! Alessia se retourna. Sa fille tendait les bras vers elle, refusant de se laisser nourrir par Luna. Mais Alessia ne pouvait pas bouger. Ethan était là. Comme chaque matin, ils mangeaient en silence. Son mari ne lui adressait jamais la parole. Ne la regardait même pas. Mais aujourd’hui, Jun pleurait. Alessia se leva, la prit dans ses bras, la berça doucement… — Oh, bonjour ! Vous êtes encore attablés ? Sa belle-mère. Madame Blackwood entra, son parfum lourd envahissant la pièce. — Alessia, ma chère, donne la petite à sa nourrice et viens me servir, ordonna-t-elle en s’installant près d’Ethan. — Bien, maman. Alessia obéit, le cœur serré. Ethan partit le premier, comme d’habitude. Sa belle-mère attaqua aussitôt : — Alessia, dis-moi… quand vas-tu donner un héritier aux Blackwood ? Elle essuya ses lèvres avec une serviette en soie. — Jun va bientôt avoir deux ans. Vas-tu mettre cinq ans, comme ta sœur ? Alessia serra ses poings sous la table. — Ta sœur est morte sans avoir accompli sa mission. Toi, tu es encore là. Alors sois utile. La chaise grinca. Madame Blackwood se leva. — Ton ventre a déjà porté l’enfant d’une autre. Il peut bien porter celui de mon fils, non ? Puis elle partit, ses talons claquant sur le marbre. Alessia resta seule, ses larmes brûlant ses paupières. Elle ne pleurerait pas. Elle ne pouvait pas. . . . "Eleanor… le mariage, ce n’est pas du tout ce que tu m’avais décrit."ʚĭɞ L'obscurité habituelle n'était plus. La prairie verdoyante, remplie de ses magnifiques fleurs, de sa colline, du vent frais et rafraîchissant, n'était plus. Seul un blanc immaculé à perte de vue subsistait. C'était froid, d'un froid absolu et stérile, et silencieux, trop silencieux, un silence de cathédrale engloutie.Elle ne savait pas où elle se trouvait. Debout, elle se mit à pivoter sur elle-même, mais rien, pas une âme qui vive, aucun point de repère dans ce néant laiteux. Désespérée, elle s'affaissa, ne sachant pas si la surface qui la soutenait était le sol, le ciel, ou l'entrecroisement des deux. Aucune frontière ne délimitait cet espace hors du monde.Alors qu'une panique glaciale menaçait de submerger son être tout entier, une voix, qu'elle aurait reconnue entre un milliard, s'éleva dans le brouillard. Une petite silhouette se dressa devant elle, son visage flouté, indistinct, comme protégé par un voile d'énergie pure.« Pourquoi tu ne t'es pas battue ? » Sa voix calme
❈Une voix grave, striée de cette neutralité clinique propre aux annonces tragiques, fendit l’air étouffant de la salle d’attente via le système de hauts-parleurs. « Code rouge. Arrêt cardiorespiratoire en salle de réveil, chambre 4. Équipe de réanimation, stat. »Le cœur d’Ethan Blackwood se bloqua net, comme sidéré, avant de repartir dans un martèlement chaotique qui lui monta à la gorge. Avant même que son cortex cérébral n’ait achevé de traiter l’information, son corps d’alpha avait réagi. Un instinct primal plus fort que la raison. Il fut debout dans un mouvement fluide et violent, enjambant presque le banc où il était assis avec son frère, propulsé par une vague d’adrénaline pure.Il fonça, visant le couloir, ce boyau aseptisé qui menait à l’unique chose qui importait. Damien était à ses trousses, tentant de rattraper son élan désespéré. À peine arrivé devant la porte numérotée 4, une infirmière – un bloc infranchissable en tunique bleue – le repoussa fermement d’une poussée sèc
❍Ethan Blackwood avait passé la nuit à veiller sur Alessia. « Veiller » était un bien grand mot. Il n’avait été autorisé à rester à son chevet que cinq courtes minutes, le temps de serrer sa main inerte dans les siennes, avant qu’une infirmière ne le prie respectueusement de sortir. Trop de présence, avait-elle expliqué d’une voix douce mais ferme, pourrait nuire à son réveil.Il avait alors rejoint la salle d’attente où Nathaniel l’attendait, immobile et silencieux. Un faible sourire, l’ombre de lui-même, avait étiré les lèvres d’Ethan en l’apercevant. Ils étaient restés là, côte à côte, sans un mot, à observer le ballet silencieux du personnel médical et les angoisses des autres familles en attente. Des heures s’étaient écoulées, rythmées seulement par le tic-tac implacable de l’horloge murale et le bourdonnement étouffé des néons. Lorsque les premières lueurs de l’aube avaient teinté le ciel d’un gris laiteux et que la neige avait commencé à recouvrir la ville d’un linceul immacul
~ ʚĭɞ ~Ses doigts défilèrent sur son dos nu avec une lenteur délibérée, telle une mélodie de caresses silencieuses. Chaque parcelle de peau, chaque courbe et chaque cicatrice invisible était honorée sous ce toucher possessif et apaisant. Après leur étreinte, Damien s’était retiré, et ce simple geste les fit soupirer en parfaite synchronie, un son lourd de bien-être et de complicité. Puis, sans un mot, il l’avait soulevée dans ses bras, comme si Kaëlle ne pesait pas plus qu’une plume, et l’avait emportée vers la salle de bain.Là, sous la lueur tamisée, il fit couler l’eau de la baignoire, y versant les huiles essentielles que son oméga lui avait tendues. Un parfum envoûtant de vanille et de santal embauma instantanément la pièce, créant un cocon vaporeux. Ils s’installèrent ensemble, l’eau chaude enveloppant leurs corps fatigués. Le dos de Kaëlle vint se coller contre le torse musclé de Damien, et ce dernier enroula fermement ses bras autour de sa taille, l’enserrant dans une bulle d
~ ʚĭɞ ~Le soleil filtrait ses rayons d’or pâle à travers les voilages, inondant la chambre d’une lumière laiteuse et chaude. Des particules de poussière dansaient comme des paillettes dans l’air, portées par les souffles du vent qui faisaient onduler les rideaux d’un blanc éclatant. Allongée sur le lit immense, Kaëlle avait le bras replié sur son visage, bouclier fragile contre l’assaut de la lumière. Trop épuisée pour se lever, trop vidée pour même fermer complètement les paupières. Depuis son retour de l’hôpital, le sommeil fuyait son corps tendu, son esprit emprisonné dans les mots énigmatiques de Nathaniel, son beau-frère. Une lubie pour le sang… Que cachait cette phrase sibylline ? Un frisson lui parcourut l’échine.Un soupir las, lourd de fatigue et d’interrogations, s’échappa de ses lèvres pulpeuses. Elle se redressa avec une lenteur sensuelle, sculptant son dos cambré contre la tête de lit en acajou massif. Elle glissa un coussin de soie entre ses jambes, un faible réconfort,
~ ʚĭɞ ~Sur le chemin sinueux qui serpentait vers l’hôpital, Ethan Blackwood sentait son cœur battre à tout rompre contre sa cage thoracique, comme un oiseau affolé pris au piège. Maintenant que l’adrénaline de la crise retombait, une marée noire d’angoisse l’envahissait, lui serrant la gorge et le ventre. Son téléphone vibrait sans relâche contre le cuir de son siège. Il jeta un regard fiévreux à l’écran où le nom de Nathaniel dansait, les lettres semblant flotter dans l’air épais de l’habitacle, telles des lucioles hypnotiques et menaçantes.Il brûlait de répondre, mais une peur viscérale, primitive, lui tordait les entrailles. La perspective d’entendre une mauvaise nouvelle, déformée par la froideur d’un appareil, lui était insupportable. Il devait être là. Il devait voir, entendre, toucher la réalité. Son véhicule, une BMW noire aux lignes agressives, s’immobilisa dans un crissement à peine audible devant l’entrée glaciale des urgences. La portière s’ouvrit avant même que le moteu