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Chapitre 2

Author: Noëlle Lecocq
Les ténèbres épaisses avaient englouti la dernière lueur sur la voûte de l'église, et mon ombre solitaire avec.

Les douze coups de minuit avaient retenti. Gauthier n'était finalement pas revenu.

Comment pouvais-je ignorer que ce mariage, que j'avais préparé avec tant de soin, allait finir en éclats, tout comme les quatre-vingt-sept fois précédentes ?

L'écran de mon téléphone s'est allumé, éclairant mon visage livide et désespéré.

C'était une nouvelle publication de Claudine. Neuf photos, soigneusement composées, débordant d'un bonheur qui me transperçait les yeux : Mes parents, le regard rayonnant, en train de peler méticuleusement des raisins pour elle ; Gauthier assis à ses côtés, un sourire tendre aux lèvres, repoussant une mèche de ses cheveux avec délicatesse ; et une photo de groupe où mes parents et Gauthier l'entouraient, tous affichant des sourires éclatants.

Sa légende disait : « Bien que la maladie soit difficile, être entourée d'amour me donne le courage de vaincre les ténèbres. Merci Papa, Maman, merci à mon Gauthier. Votre amour me tire sans cesse de l'abîme. »

Et dans les commentaires ? Une harmonie sucrée à vomir.

Mon père : « Ma chérie, tout ira bien. Je veillerai toujours sur toi. »

Ma mère : « Tu resteras à jamais le trésor le plus précieux de nos cœurs. »

Gauthier : « Repose-toi bien. Tout cela passera. »

Comme si cette attaque ne suffisait pas, ma mère m'a envoyé un message, sur un ton qui n'admettait aucune objection : « Va commenter la publication de Claudine. Elle a peur que tu sois fâchée contre elle et refuse de prendre ses médicaments. »

Claudine avait forcément manigancé cela. Elle voulait me provoquer, me signifier une nouvelle victoire.

Même en voyant clair dans son jeu, ma colère et mon ressentiment se sont embrasés.

N'étais-je pas la fille biologique de mes parents, la fiancée de Gauthier ? Pourquoi, à chaque conflit entre elle et moi, se rangeaient-ils toujours à ses côtés sans hésiter ?

Je me suis souvenue de la première annulation de mon mariage. Simplement parce que c'était son anniversaire, Claudine avait tout saccagé en pleurant, disant ne pas vouloir souffrir chaque année à cette date.

Gauthier avait aussitôt proposé de changer la date.

Mes parents, tout en décrochant la photo de Gauthier et moi, m'avaient reproché : « Léone, tu as déjà Gauthier, pourquoi provoquer Claudine ? Comment peux-tu être aussi méchante ? »

La deuxième fois, elle avait rêvé que Gauthier l'abandonnerait après notre mariage. Elle était allée en pleine nuit dans sa chambre et s'était accrochée à lui.

Gauthier l'avait laissée sur le lit que nous avions choisi ensemble, laissant mes parents m'éloigner de force. « Ne dérange pas Claudine, elle a eu peur, tu ne comprends pas ? » avait-il dit.

La troisième annulation, prétextant un accident de voiture : son chat que Gauthier lui avait offert avait disparu. Cela avait provoqué sa crise en le cherchant.

Mes parents m'avaient alors chassée de la maison vingt-quatre heures pour que je « réfléchisse » : « Tu savais très bien ce que ce chat représentait pour elle ! Pourquoi n'as-tu pas fermé la porte ? »

Et cette fois ? Elle prétendait que nous ne l'avions pas invitée au mariage, qu'elle ne se sentait pas importante.

Les prétextes, de plus en plus absurdes, fonctionnaient à chaque fois. Gauthier, mes parents, couraient, cédaient, m'abandonnaient pour elle.

Toutes ces années, j'avais crié, supplié. Le résultat était toujours le même : on me demandait de comprendre, de céder, de me sacrifier.

N'avais-je pas assez perdu quatre-vingt-sept mariages à cause d'elle ?

Face à l'église vide, j'ai lâché prise. J'ai renoncé.

Voilà dix ans que j'étais revenue chez les Sadoul. Malgré tous mes efforts, tous mes succès, Claudine restait à leurs yeux la fille modèle, tandis que je n'étais qu'une menteuse égoïste, jalouse de ma sœur.

Peut-être n'aurais-je jamais dû espérer quoi que ce soit d'eux, dès le début.

J'ai finalement obéi à ma mère en commentant la publication de Claudine : « Je te souhaite un prompt rétablissement. »

Une seconde plus tard, ma mère m'a répondu par un emoji souriant : « Léone, tu es aussi un trésor pour moi. »

N'était-ce pas ridicule ? Ce n'était qu'en cédant face à Claudine que ma mère m'offrait une miette de tendresse.

Pourtant, une question me brûlait l'esprit : s'ils découvraient mon départ, s'ils apprenaient que la si vertueuse Claudine simulait sa maladie et avait orchestré cette fameuse séquestration… éprouveraient-ils des regrets ?

Relâchant ma lèvre inférieure que j'avais mordue jusqu'au sang, j'ai composé le numéro de mon associé, Ken Bardin : « Je me porte volontaire pour le développement du marché au Hériville. »

Sa voix stupéfaite a résonné à l'autre bout du fil : « Tu es sûre ? Ce projet nécessite un engagement de dix ans sur place. Tu viens juste de te marier, ton mari est d'accord pour une séparation immédiate ? Et tes parents ? Ton plus grand rêve n'était-il pas de rester à leurs côtés ? »

Fixant l'église vide, j'ai ri amèrement : « Le mariage a encore été annulé, de quel mari parles-tu ? Quant à mes parents, Claudine leur suffit. »

Après un silence, l'homme a fini par acquiescer : « D'accord. Prépare-toi, tu pourras partir demain. »
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