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Chapitre 2 : Le Pacte.

last update Dernière mise à jour: 2025-04-21 00:40:01

Amour n’était pas parti. Il s’était installé dans un coin de ma vie comme une présence discrète mais constante, parfois silencieux, parfois brûlant. Le lendemain de notre rencontre, je me suis réveillé en sursaut, le cœur battant, persuadé que tout n’avait été qu’un rêve étrange. Pourtant, la chaise en face de moi sur la terrasse du café était toujours tirée, comme si quelqu’un s’y était assis récemment. Je suis retourné sur les lieux, les mains dans les poches, sous un ciel gris. Rien n’avait changé, sauf moi.

— Tu es revenu, dit Amour, assis à la même place que la veille.

Il n’avait pas vieilli d’un jour. Son regard brillait toujours, mais quelque chose en lui était différent : une gravité dans la voix, un calme inquiétant.

— Je ne sais pas pourquoi je suis là, ai-je murmuré.

Il haussa les épaules.

— C’est toujours comme ça. Personne ne vient vers moi en sachant exactement ce qu’il veut. On vient parce qu’on manque. Parce qu’on sent qu’il y a un vide quelque part.

Je me suis assis sans un mot.

— Je ne peux rien te promettre, Nathan. Je ne suis ni facile, ni prévisible. Je fais peur. Je détruis parfois plus que je ne construis. Mais je peux aussi être ce qui te rendra vivant.

Je me suis souvenu de Solitude, de son regard glacé. De Mélancolie au bar. Et j’ai senti leurs présences rôder autour de moi comme des ombres jalouses.

— Qu’est-ce que tu attends de moi ? ai-je demandé.

— Que tu sois honnête. Que tu sois prêt. Et surtout… que tu ne triches pas avec moi.

Il tendit la main une nouvelle fois. Cette fois, je ne l’ai pas prise.

— Je ne suis pas prêt.

Il hocha la tête, compréhensif.

— Personne ne l’est jamais. Mais ils avancent quand même.

Je suis rentré chez moi ce soir-là avec une sensation étrange dans la poitrine. Ce n’était pas de la peur. Ce n’était pas du soulagement non plus. C’était… une attente. Comme si quelque chose s’était mis en marche. Comme si une ancienne porte, que je croyais scellée à jamais, avait soudainement grincé sur ses gonds.

J’ai tenté de reprendre mes habitudes : mon journal, mon thé tiède, mes silences. Mais même eux me semblaient différents, comme s’ils m’observaient, eux aussi, en se demandant ce qui allait suivre.

C’est cette nuit-là que les autres sont revenus. Colère, la première.

Elle s’est manifestée dans mon sommeil, comme à son habitude. Elle ne crie pas toujours. Parfois, elle frappe plus subtilement, comme une tension dans la nuque, un serrement de poings, une envie de jeter quelque chose contre un mur.

— Tu crois vraiment que tu peux le laisser entrer, lui ? Tu crois que c’est lui qui va t’arranger ? me dit-elle, le visage déformé par la rancune.

Elle s’était assise au bord de mon lit, comme une mère épuisée. Je reconnaissais cette posture : elle avait veillé trop de nuits à mes côtés.

— Je ne cherche pas à t’effacer, ai-je soufflé. Mais j’ai besoin de comprendre ce que je ressens quand tu n’es pas là.

Colère n’a pas répondu. Elle s’est levée, m’a tourné le dos et, avant de disparaître dans l’ombre, a murmuré :

— C’est lui qui t’effacera, pas moi.

Les jours suivants furent étranges. Amour n’était jamais loin. Il apparaissait à des moments inattendus : à la vitrine d’une librairie, dans le reflet de mon écran, ou entre les lignes d’un vieux livre que je relisais pour la dixième fois.

Il ne disait rien. Il me regardait simplement. Il attendait.

J’ai commencé à écrire. Pas sur lui, pas sur moi. Sur ce vide. Sur cette attente. Sur cette étrange sensation que quelque chose d’immense se préparait.

Et c’est là que Solitude a frappé à la porte.

Elle était pâle, les yeux cernés, mais toujours élégante dans ses gestes. Elle s’est installée dans le fauteuil en face de moi sans demander.

— Il est toujours là ? demanda-t-elle en désignant d’un mouvement de tête invisible le coin de la pièce où je sentais encore la présence d’Amour.

— Je crois, oui.

— Tu sais qu’il ne reste jamais sans tout bouleverser. Tu sais que je suis la seule constante dans ta vie.

Je n’ai pas su quoi répondre.

Solitude n’était pas cruelle. Elle avait été là dans mes pires moments. Elle m’avait protégé du monde, parfois même de moi-même. Mais elle avait aussi tissé autour de moi des murs épais, invisibles, dont je n’avais jamais su sortir.

— Tu ne peux pas le garder et me garder moi, Nathan. L’un de nous devra partir. Et je crois que tu n’as pas encore décidé.

Elle s’est levée. Elle n’était pas en colère. Elle était triste.

— Appelle-moi si tu changes d’avis.

Et elle a disparu.

Il m’a fallu plusieurs semaines pour comprendre. Amour n’était pas un invité. Il n’était pas un miracle. Il était une épreuve. Un passage. Un choix.

Et puis, un jour, il est revenu. Non pas dans mon salon, ni dans mon sommeil. Mais dans la vraie vie.

Je l’ai vu dans le regard de cette femme qui lisait au parc, les jambes croisées, le visage penché sur un roman abîmé. Il y avait dans ses yeux quelque chose de lui. Pas l’Amour tout-puissant, mais l’étincelle. Le potentiel.

Elle a levé les yeux au moment où je la regardais. Un sourire. Simple. Sans promesse.

Je ne lui ai pas parlé ce jour-là. Mais en rentrant, Amour m’attendait, appuyé contre ma porte.

— Tu as senti, n’est-ce pas ? me demanda-t-il, sans détour.

— C’était toi ?

— Non. C’était elle. Moi, je ne fais qu’ouvrir les possibilités.

Il m’accompagna jusqu’à l’intérieur. Il avait changé. Il n’était plus ce mystère intimidant croisé sous la pluie. Il semblait plus humain. Moins lointain.

— Tu commences à comprendre, dit-il en s’asseyant sur le bord de mon bureau.

— Comprendre quoi ?

— Que je ne suis pas un événement. Je suis un processus. Je suis un voyage. Et parfois, je suis une chute.

Je restai silencieux.

— Tu veux toujours me suivre ?

Je regardai mes mains. Je pensai à Colère, à Solitude. À Mélancolie qui, depuis plusieurs jours, se faisait discrète. Peut-être était-elle partie. Peut-être s’était-elle juste assoupie dans un coin de mon esprit.

— Et si je tombe ? ai-je demandé.

Amour haussa les épaules.

— Alors tu te relèveras. Ou pas. Mais au moins, tu auras vécu.

Cette nuit-là, j’ai fait un rêve. J’étais sur un pont suspendu, au-dessus d’un vide immense. À gauche, Solitude m’appelait doucement. À droite, Colère hurlait. En face, Amour m’attendait.

Je ne pouvais pas voir son visage. Seulement une lumière autour de lui. Une lumière chaude. Vivante.

J’ai fait un pas. Le bois a craqué sous mes pieds. Un deuxième. Le vide m’a happé. J’ai chuté.

Mais je ne me suis pas écrasé.

Je me suis réveillé en sursaut, le cœur battant, les yeux pleins de larmes.

Et je savais.

Le pacte était scellé.

Le lendemain, je suis retourné au parc. La femme au roman n’y était plus.

Mais Amour, lui, était là. Il marchait à mes côtés, silencieux, les mains dans les poches.

— Tu ne la reverras peut-être jamais, dit-il.

— Je sais.

— Mais ce n’est pas elle qui compte. C’est ce qu’elle a réveillé.

Je me suis arrêté. J’ai regardé le ciel. Il faisait bleu. Presque trop bleu.

— Je suis prêt, ai-je murmuré.

Amour sourit.

— Alors on peut commencer !

Les jours suivants prirent une autre texture. Comme si le monde avait gagné en profondeur. Les couleurs semblaient plus vives. Les silences, moins lourds. Et les regards des inconnus, moins indifférents.

Amour ne parlait presque plus. Il m’observait vivre. Comme s’il attendait de voir ce que je ferais de cette liberté nouvelle.

Mais avec lui, rien n’est jamais simple.

Un matin, en ouvrant les rideaux, je l’ai vu assis sur le toit en face. À ses côtés, Peur était revenue.

Elle avait grandi.

— Tu pensais que je partirais ? demanda-t-elle sans se lever. Tu pensais que lui suffirait ?

Je ne répondis rien. Amour me regardait, lui aussi. Mais il ne disait pas un mot. Il ne me défendait pas. Il ne la chassait pas.

Parce qu’il savait.

Amour n’efface pas Peur. Il l’invite à la table. Il lui donne une chaise, un couvert, et parfois même un mot à dire.

Elle descendit du toit d’un bond, comme un chat, et entra par la porte laissée ouverte.

— Il te fera souffrir, tu sais. Comme les autres. Peut-être même plus fort.

Je hochai la tête.

— Je le sais.

— Alors pourquoi tu continues ?

— Parce que souffrir pour quelque chose de vrai vaut mieux que de survivre dans le vide.

Peur se tut. Puis elle sourit. Un sourire triste, mais moins tranchant que d’habitude.

— Tu changes, Nathan. Tu grandis.

Elle s’éclipsa comme elle était venue, dans un courant d’air léger.

Amour s’approcha. Il posa une main sur mon épaule.

— Elle ne partira jamais vraiment.

— Je sais.

— Et Mélancolie non plus. Ni Colère.

— Je ne veux pas qu’elles partent. Je veux apprendre à vivre avec elles… sans qu’elles me gouvernent.

Il sourit.

— Alors, le vrai pacte est là.

Cette nuit-là, je suis retourné au café. Celui où tout avait commencé. La pluie tombait à nouveau, fine, rythmée. Mais cette fois, je n’étais pas seul. Amour marchait à mes côtés, les mains toujours dans les poches, comme un frère silencieux.

En entrant, j’ai cru voir Solitude, un peu plus loin. Elle m’a regardé, sans rancune. Comme une vieille amie qu’on revoit sans qu’on sache trop quoi lui dire. Je lui ai adressé un petit signe de tête. Elle a hoché la sienne.

Puis, je me suis assis à la même table.

Et j’ai ouvert un nouveau carnet.

J’ai écrit, pour la première fois depuis longtemps, sans douleur. Sans fuite.

Je n’étais plus un homme brisé. Ni un homme guéri.

J’étais en chemin.

Et Amour, toujours assis en face, me regardait avec cette étincelle dans les yeux. Pas comme un roi, ni un miracle. Mais comme un compagnon de route.

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