J’étais bien décidée à demander à mon père un poste dans l'entreprise familiale, si Cassidy y travaillait, pourquoi pas moi ?
Je suis allée trouver papa un soir, après son travail. Il était dans le grand salon, assis dans son fauteuil, en train de lire le journal comme à son habitude. Dès qu’il m’a vue, il a posé son journal et m’a souri.
— Toi, tu as quelque chose à me demander.
Je lui ai souri et je me suis assise en face de lui.
— Papa, j’aimerais travailler pour toi. Comme Cassidy. Je pense en être capable, et…
— Mais bien sûr que tu en es capable !
Il s’est redressé et a posé ses avant-bras sur ses genoux, le regard brillant.
— Tu me fais le plus beau des cadeaux en me demandant ça. J’avoue que, dans le rôle de la femme au foyer, je ne t’y voyais pas du tout.
J’ai vu de la fierté dans ses yeux, et mon cœur s’est emballé.
Dans l’autre vie, est-ce que je l’avais déçu ?
Cette pensée me serra le cœur douloureusement.
Il reprit son journal.
— Je regarde demain avec le chef du personnel et je reviens vers toi dans quelques jours, cela te va ma chérie ?
— Oui, merci papa.
Je me suis levée.
— Tu devrais aller rejoindre ta mère au jardin. Elle plante un nouveau rosier, mais elle n’a pas l’air bien… Et tu la connais, elle refuse toujours de se confier à moi.
J’ai vu son regard un peu triste, alors je lui ai souri.
— Ne t’en fais pas, papa. Je vais aller la voir.
Quand je suis arrivée dans le jardin, maman était à genoux, en train de planter un rosier rouge éclatant. Elle a levé les yeux vers moi… et j’ai tout de suite vu qu’elle avait pleuré.
— Ça va aller, ai-je murmuré.
Elle s’est levée, m’a prise dans ses bras et j’ai senti son corps trembler légèrement.
— J’ai peur… Et si on ne pouvait pas me sauver ? Et si c’était trop tard ?
— Non, maman. Le docteur a dit que si tu suis bien le protocole, tu as 90 % de chances de guérir.
— Et les 10 %, alors ?
Je me suis légèrement écartée d’elle, et j’ai froncé les sourcils.
— Tu ne m’as pas toujours dit qu’il fallait rester positive, quoi qu’il arrive ?
Elle a baissé les yeux et essuyé une larme du bout des doigts. Puis, sans un mot, elle m’a prise par la main et m’a entraînée jusqu’au rosier de ma naissance.
— Regarde ce rosier. Tu as raison, il faut croire en la vie. On m’avait dit que je ne pourrais jamais avoir d’enfant. Je pensais que je n’aurais que Cassidy… Attends, ma chérie. J’aime Cassy comme si elle était ma propre fille, tu le sais. Mais toi… tu es la preuve que les miracles existent. Ce rosier, je l’ai planté le jour où j’ai appris que j’étais enceinte de toi. La grossesse a été difficile… mais regarde la belle jeune fille que tu es devenue.
— Et toi, maman, tu vaincras ce cancer. Je serai là, chaque jour, pour te soutenir. Mais…
Elle a remarqué mon hésitation et m’a regardée avec douceur.
— Mais quoi ?
— Ne mets pas papa de côté. Il s’inquiète autant que nous… Et le fait que tu ne lui parles pas, ça le rend triste.
— Je sais… C’est juste que parfois, c’est plus difficile de parler à ceux qu’on aime le plus. Mais je te le promets : je vais faire un effort.
On a passé le reste de l’après-midi à regarder ses rosiers. Même cette peste de Cassidy en avait un. Un sublime rosier blanc, rare et majestueux.
Quelques jours plus tard, papa m’a annoncé, tout sourire, qu’il m’avait trouvé un poste. Un vrai. Pas un petit stage bidon pour me faire plaisir.
— Tu vas intégrer le service stratégie du groupe, m’a-t-il dit. Aux côtés de Cassidy. Tu es contente, ma chérie ?
Un poste qui en jette.
Mais l’idée de travailler avec Cassidy ne me réjouissait pas plus que ça. Pourtant, j’ai souri, je l’ai embrassé pour le remercier. Il était si content que ses yeux brillaient de mille feux.
Moi, dans le bureau de l’homme qui, dans une autre vie, m’avait brisée.
La fille Leclair, bien vivante, bien droite, face à celui qui croyait avoir déjà gagné la partie.
Et là, j’ai compris : mon père ne me donnait pas juste une place. Il me confiait une arme.
J’ai laissé mon père à ses occupations et je suis montée dans ma chambre. J’allais faire du rangement dans mon armoire, choisir les tenue pour mon nouveau poste.
J’ai attrapé quelques robes, celles que j’avais achetées juste pour plaire à Damon. Je les ai toutes balancées en boule sur le lit et j’ai continué à trier. Rien que de voir les efforts que j’avais faits pour lui… ça me dégoûtait de moi-même.
Je me suis regardée dans le miroir. J’avais retrouvé ma jeunesse, oui. Mais surtout, j’avais retrouvé cette lucidité qui m’avait cruellement manqué à l’époque.
Mon regard est revenu sur les robes, toutes plus chics les unes que les autres. Et là, un souvenir m’a traversée : ce jour où j’avais fait du shopping avec Lucie, mon amie d’enfance. Celle avec qui je m’étais fâchée, encore à cause de Damon.
Comment j’ai pu le croire, ce jour-là ?
Comment j’ai pu gober ses mensonges, quand il m’a juré qu’elle avait essayé de le séduire ?
Il m’avait montré des messages — faux, évidemment — et moi, j’avais coupé les ponts sans même lui laisser une chance de s’expliquer.
Aujourd’hui, je sais que c’est moi qui l’ai trahie.
Mais j’ai la chance de pouvoir faire comme si de rien n’était.
J’ai pris mon téléphone portable et je l’ai appelée. Une fois. Puis deux.
J’avais retrouvé mes parents. Et, dans le même coup, ma meilleure amie.
J’ai composé son numéro. Il n’a pas fallu attendre longtemps avant qu’elle décroche.
— Willow ?
— Oui, c’est bien moi ! Je suis revenue, et je me demandais si ça te dirait une petite séance de shopping avec moi. Papa m’a trouvé un poste dans son entreprise, et je voudrais pas ressembler à un sac.
Elle a ri.
— Oh génial, Willow ! Ça me ferait plaisir. Mais dis-moi… ton copain ? Depuis que t’étais en couple, t’étais toujours collée à lui. J’ai cru que tu m’avais oubliée !
Je me suis sentie rougir.
— Oui… j’avoue que je t’ai un peu délaissée. Et je t’en demande pardon. Aucun homme ne devrait passer avant toi. Tu es ma meilleure amie.
Il y a eu un silence. J’étais sincère. Je connaissais Lucie depuis la primaire. C’était presque ma jumelle, tant on s’entendait bien.
— Ça me fait plaisir que tu reviennes à la raison… tu m’as manqué, Willow.
Je sentis mon regard s’embuer. Je me suis reprise.
— On se retrouve cet après-midi, si tu peux ? Au café habituel ?
— D’accord. Quatorze heures, ça te va ?
— C’est parfait !
MAXIME— Willow, monte dans cette putain d’ambulance.Je crois que je hurle, mais ça sonne creux. Ma voix se perd dans le vacarme autour, dans les sirènes, dans la peur qui suinte de chaque regard.Ma main serre la sienne si fort que je sens mes propres phalanges trembler, presque à m’en faire mal. Elle vacille à peine, mais je sais qu’elle tient sur un fil, un mince fil qui menace de rompre à chaque instant. Le front en sueur, la robe déchirée et maculée de sang. Du sang. Son sang.— Je vais bien, insiste-t-elle, encore et encore, comme si répéter ces mots pouvait les rendre vrais.Mais son teint est trop pâle, presque translucide. Ses jambes flanchent comme une plante desséchée. Ce rouge vif qui coule lentement sur ses cuisses me rend fou, me fait perdre pied.— Tu te vides, bordel. T’as pas vu ta tête ? Tu saignes depuis cinq putains de minutes, Willow, t’as peut-être une hémorragie !Elle me regarde avec ces yeux fous, têtus, brisés, perdus dans un monde où la douleur n’a pas de r
DAMONMes oreilles sifflent. Un goût de sang, métallique, âcre, envahit ma bouche, me submerge, me noie. Mes côtes sont en feu, chaque inspiration un coup de poignard rouillé qui me lacère les poumons. Le volant, enfoncé dans mon torse, m’écrase, m’empêche de respirer. Mon bras gauche pend, mou, inutile, comme un poids mort accroché à mon épaule. Mes jambes… je ne les sens plus. Rien. Juste un vide glacial là où elles devraient être.Le moteur gémit, un râle d’agonie mécanique, un écho de ma propre douleur. L’odeur d’essence sature l’air, âpre, suffocante. Elle s’infiltre dans ma gorge, colle à ma langue, brûle mes narines. Je tousse, et le goût du sang s’intensifie, chaud, poisseux. Chaque mouvement, chaque souffle, est une torture. Je suis coincé, prisonnier d’une carcasse de métal tordu, un cercueil roulant qui m’enserre comme un étau.Et devant moi… Cassidy.Étendue sur le capot, brisée, désarticulée. Une poupée cassée abandonnée sur un tas de ferraille. Sa robe de fiancée, blanch
Fuir. C’est tout ce qui reste. Plus rien d’autre. Ma tête est vide, un brouillard épais où la raison n’a plus sa place. Je ne pense plus. Je ne réfléchis plus. Je fonce, comme un animal traqué, les tripes nouées par une rage qui brûle encore, un feu qui me dévore de l’intérieur. La clé tourne dans le contact, le moteur rugit, et sans savoir pourquoi, j’attrape le bras de Cassidy, la tirant vers la voiture.— Monte ! je grogne, la voix rauque, presque inhumaine.Elle obéit, tremblante, ses yeux écarquillés par la peur. L’automatisme, peut-être. Ou la lâcheté. Je ne sais pas. Mes mains tremblent sur le volant, mes phalanges blanchies par la pression. La pluie martèle le pare-brise, un rideau d’eau brouillant la route. Le goudron file sous les roues, un tapis noir déroulé devant le diable lui-même. Les gyrophares clignotent au loin dans le rétroviseur. Rouge. Bleu. Rouge. Bleu. Les flics. Ils nous collent au train, leurs sirènes hurlant comme des chiens affamés.Cassidy est à côté de moi
DAMONLe monde s'écroule. Alors je frappe.Je sens que tout m’échappe. Les regards. Les murmures. Les flashs. L’humiliation.Maxime vient de m’arracher la verrine. Il me grille devant tout le monde. Ce mec que j’aurais dû écraser depuis le début est là, debout, avec mes secrets dans la main. Et tout le monde le regarde, lui. Pas moi.J’ai envie de hurler.Cassidy s’effondre à genoux. Elle m’a trahi. Ou elle panique. Je ne sais pas. Je ne sais plus.Je fais un pas en arrière, prêt à me tirer. Faire ce que je sais faire : fuir, vite, et cogner si besoin.Mais une main m’attrape violemment le bras.— Pas si vite, enculé.C’est Bastien. L’ancien flic. Le chien errant de Maxime. Il m’empoigne comme s’il venait de me retrouver après dix ans de chasse.Son regard est noir. Implacable. Il veut m’arrêter. Ici. Devant tout le monde.Il croit que c’est fini ? Que j’ai perdu ?Mon poing part. Un direct dans sa gueule. Il recule, surpris par la violence. Il tente de se reprendre, me bloque l’ép
MaximeJe dévale les marches comme un homme consumé par les flammes. Mes jambes s’élancent avec une fureur contenue, mon cœur cogne dans ma poitrine tel un tambour de guerre.Dans l’enceinte de mon esprit, une seule image tourne en boucle, obsédante : Damon, la verrine cristalline, la gélule dissimulée.L’air siffle, coupant, tandis que je jaillis dans le jardin, un théâtre festif s’étendant devant moi, ignorant et insouciant. Les violons grincent leur mélodie mielleuse, des rires éclatent encore parmi les invités, des bulles de champagne dansent dans les flûtes.Et là, au cœur de cette mascarade, lui.Damon.Un sourire ourle ses lèvres, un toast scintille dans une main, et dans l’autre, la verrine en cristal – celle qu’il a souillée de son crime. Mon regard s’aiguise, se mue en lame affûtée. Je fends la foule avec détermination, esquivant un plateau d’argent, un bouquet de roses, un éclat de rire. Il tend la verrine à William Leclair, le père de Willow, qui s’apprête à la saisir, con
WILLOWLe jardin de mes parents est terne avec l'hiver qui arrive.La réception a lieu dans le hall , le salon et la salle a mangé chez mes parents.Chaque pétale semble avoir été sélectionné à la pince.Chaque verre de champagne brille comme un piège.Maxime serre ma main plus fort que nécessaire. Il sourit. Je fais semblant aussi. Tout le monde fait semblant.C’est la fête. C’est les fiançailles officielles de Cassidy et Damon.Et pourtant, moi, je suis à deux doigts de vomir devant toute cette mascarade.Je n'ai rien dit a mes parents mais j'imagine qu'ils vont tombé de haut les pauvres...Avec la santé fragile de maman, ils n'avaient pas besoin de ça !— Respire, murmure Maxime. Dans une heure, tout sera terminé.Je lève les yeux vers lui.Il est beau.Trop calme.Trop propre pour l’homme que je sais capable de faire tomber un empire à mains nues.— Tu crois vraiment qu’il va tenter quelque chose aujourd’hui ?— Il va le faire. Parce qu’il pense qu’il a gagné. Et c’est exactement