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Angelo n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Au matin, il se contenta de prendre une douche avant de se laisser tomber sur son lit, les yeux fermés, allongés sur le dos. Il était à bout. Il restait immobile, si parfaitement figé qu'on aurait pu le croire endormi.

Emily fut tirée de son sommeil par la gouvernante en chef, une femme au regard dur, qui lui jeta de l'eau en plein visage pour la réveiller.

– Bonjour, princesse, railla-t-elle.

– Qui êtes-vous ? demanda Emily, se redressant, frottant ses yeux avec lenteur.

– Ta patronne. Et à ta place, je ferais mieux de m'y faire. Depuis que t'es ici, t'as rien de fichu. Tu dois te croire dans un conte de fées.

– Je ne comprends pas… Qu'est-ce que vous racontez ?

Emily était debout maintenant. La femme, Anna, n'a répondu pas. Elle lui tendit un balai d'un geste sec.

– Le patron part tous les jours à sept heures pour le travail. Vous devez nettoyer sa chambre. Jamais tu n'entres quand il est là, et quand tu le croises, tu baisses les yeux. C'est clair ? Je m'appelle Anna. Et je suis ta supérieure.

Emily hocha vivement la tête et allait partir quand Anna la rattrapa.

– Tu comptes y aller comme ça ? Va te laver. Tu peux.

Elle grimaça avec dégoût. Emily obéit aussitôt.

À sa sortie de la salle de bain, elle tomba de nouveau sur la mine dégoûtée d'Anna.

– Allez, bouge-toi.

Elle claqua des doigts et Emily s'exécuta sans discuter.

*

Emily se retrouva devant la porte d'Angelo. Elle ne prend même pas la peine de frapper, certaine qu'il serait déjà parti. Elle inspire profondément et entra. Les murs étaient peints d'un gris orageux, sombre et froid, à l'image du propriétaire des lieux. Emily a parcouru la pièce du regard. Un portrait accroché attira son attention : une femme magnifique, dans la Trentaine, posée dans un cadre au fond de la pièce.

Puis son regard glissa vers le lit — et elle recula d'un lien. Angelo était là, allongé, torse nu sous une chemise ouverte et un jean, les yeux fixés sur elle.

– T'as du culot pour entrer sans frapper, dit-il d'une voix grave, rauque, qui vibrait malgré lui d'une sensualité presque gênante.

Emily déglutit, serrant le balai comme une arme.

– Je... je croyais que vous étiez parti…

Ses mains tremblaient. Les yeux d'Angelo, fatigués, ne la lâchaient pas.

Il n'a pas répondu. Il attrapa une cigarette, hésite, puis la jeta de côté sans l'allumer. Il prend son téléphone, envoie un message et le reposa. Emily commença à balayer, tendue, parfaitement consciencieuse de son regard impassible sur elle.

– Viens ici, dit-il au bout d'un moment.

– Hein ?

– C'est ce qu'on a entendu.

Emily fit de petits pas jusqu'au lit, s'arrêta au bord. Angelo l'attire par le bras, la tira contre lui, la faisant tomber sur son torse. Il garde les yeux fixés sur son visage. Elle sentait son cœur battre à tout rompre contre lui. Il la fit pivoter pour qu'elle s'allonge à ses côtés.

– Qu'est-ce que vous faites ? tenta-t-elle, en suggérant de se dégager.

– Ne bouge pas, ordonna-t-il.

Elle obéit. Ses épaules étaient tendues, mais elle resta immobile.

Le silence s'installe. Angelo fixait le mur, sans émotion. Emily, elle, regardait un tatouage sur sa peau. Une femme tenant une rose, le soleil au-dessus d'elle. Un peu plus longe, une rose fanée.

Emily fronça les sourcils. Pourquoi la rose était-elle fanée, comme si l'absence de la femme et du soleil l'avait condamnée ?

– Qu'est-ce que ça veut dire… le tatouage ? demanda-t-elle sans réfléchir, avant de se figer, la main sur la bouche.

Angelo la regarda. Elle baissa aussitôt les yeux.

– T'as eu une enfance difficile, vous aussi ? reprit-elle, sans se rendre compte que la mâchoire d'Angelo se crispait.

– Dans les films, les mecs froids comme vous ont toujours un passé de merde. C'est ton cas aussi ?

– Qui n'en a pas ? murmura-t-il.

– Moi. Sourit-elle. Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

– Comment tu peux être aussi innocente ?

Il la dévisagea, ses yeux dans les siens. Elle attendait une réponse.

Il haussa simplement les épaules.

– Laisse tomber.

Il ferme les yeux.

Peu à peu, sa respiration se fit plus régulièrement. Emily tourne la tête. Il dormait profondément. Son visage avait perdu toutes résistances. Il semblait presque… doux. Elle aurait dû détourner le regard. Mais elle ne le fit pas. Elle ne le pouvait pas.

Quelques mèches couvraient son front. Emily prend la main pour les remplacer. Ses cils étaient longs, presque trop beaux pour un homme.

Pars maintenant, lance sa conscience. Lève-toi, éloigne-toi. Mais son corps n'obéissait pas.

Sa main suit les contours de son visage, descendit le long de sa mâchoire, s'approche de ses lèvres — et là, il la saisit. Toujours plus rapide qu'elle. Ses yeux s'ouvrent. Ses prunelles grises croisèrent les siennes, bleu pâle.

– Tu veux bien me laisser dormir ? dit-il, d'une voix encore plus rauque, ensommeillée.

– Tu pourras recommencer plus tard. Et si tu veux m'embrasser, t'as pas besoin de fixer mes lèvres comme un chaton perdu.

Il esquissa un sourire en pièce.

– Désolée, murmura-t-elle.

Il relâche sa main, renvoie les yeux. Et se rendormit.

*

Quelques minutes plus tard, Carlos a ouvert la porte. Il reste bouche bée devant la scène. Il sort aussitôt son téléphone, prend trois photos avant qu'Emily ne le voie.

– Je reviens plus tard ? articula-t-il silencieusement.

Emily serrant la tête, tentant de se redresser.

– Chut, ne bouge pas. Il n'a pas dormi de la nuit. Ne le réveille pas.

– Je dois rester là comme ça jusqu'à ce qu'il se réveille ? chuchota-t-elle.

– Oui. Il ne dort jamais sans… Bref, t'arrive à le faire dormir, toi.

– Qu'est-ce que ça veut dire ? demanda-t-elle.

– Cherche pas trop. Je te laisse… Ah, et dis-lui que je suis à la boîte.

Emily hocha la tête, troublée par ce qu'il venait de dire.

*

Une heure plus tard, Angelo bougea, se réveilla. En se tournant, il tombe sur Emily, endormie à côté de lui. Il se leva sans bruit, à la salle de bain, revint.

Son téléphone, Sonna.

– Tu as vu l'e-mail que je t'ai envoyé ? demanda immédiatement Carlos.

– Non.

Emily ouvrait les yeux, regardait autour d'elle. Angelo avait le dos tourné. Elle voulait se lever, mais il la fixa. Emily Paniqua, roula et chuta au sol.

– Comment tu veux que je trouve une fille en une heure ? pesta-t-il, se pinçant l'arête du nez avant de sortir de la pièce.

– Qu'est-ce qui cloche chez moi ? Grogna Emily.

Elle finit par se relever, le cœur battant toujours à cent à l'heure. Elle sortait discrètement, imposait d'éviter Angelo, mais tomba sur Carlos.

– Doucement, fit-il en souriant.

– Je croyais que t'étais au bureau ?

– En fait… Je suis venu te chercher.

– Moi ?

Il hocha la tête.

– Pas le temps d'expliquer. Allez, viens.

Carlos Monta dans sa voiture.

– Émilie !!!

– J'arrive ! répond-elle, courant vers lui.

CHEZ LES ADAMS

Laura contemplait un portrait de famille dans la chambre de Rosette. Ils souriaient tous, Emily et Ava enlacées, Rosette tirant l'oreille de Mr Adams. Une larme solitaire coula sur sa joue. Ils pourraient rester une famille heureuse sans cet enfoiré. Elle soupira tristement, reprenant le tri des affaires de Rosette.

En ouvrant un tiroir, un journal tomba. Elle le ramassa, curieuse, l'ouvre… et se figea.

Cher journal, aujourd'hui, j'ai commis le plus grand péché de ma vie. Un acte qui me hantera à jamais. À chaque fois que je ferme les yeux, je revois le visage de cette femme, ses supplications, ses pleurs, et mon refus de l'aider. Je l'ai chassée. J'aimerais tant revenir en arrière pour lui demander pardon. J'ai été égoïste et cela lui a coûté la vie. Le regard de son fils… je ne l'oublierai jamais. Je ne trouverai jamais la paix. Mais j'espère qu'un jour, ce petit garçon deviendra quelqu'un de bien. Et s'il se souvient de moi… qu'il ne me déteste pas.

Laura resta sans voix. Cette lettre datait de treize ans. De qui Rosette parlait-elle ? Qu'avait-elle fait ?

Tant de questions. Mais la seule personne qui aurait pu y répondre n'était plus là.

– Chérie ? appela Brad depuis l'embrasure de la porte.

Laura sursauta, reposa rapidement le journal.

– Tu as retrouvé Emily ? hurla-t-elle.

– Calme-toi. Je cherche encore, dit Brad doucement.

– Tout ça, c'est ta faute ! Ma fille est quelque part, peut-être en danger, à cause de toi ! Si tu avais quitté cette mafia quand je te l'ai demandé…

– Je…

– Tu m'avais promis ! Rosie est morte, et Emily a été enlevée à cause de toi !

– Je comptais arrêter… C'était juste une dernière livraison. J'ai pris un petit truc. J'avais besoin d'argent…

– Un petit truc ? Tu dois six millions à Angelo ! C'est ça, un petit truc ?!

– Je suis désolé. Je vais la retrouver, je te le jure.

Il l'enlaça. Ils pleurèrent ensemble.

Dehors, Ava avait tout entendu. Elle en restait figée. Elle avait espéré une erreur. Mais là…

– Je vous déteste tous les deux, murmura-t-elle en laissant tomber son sac avant de s'enfuir de la maison.