AIDENÀ terre, face à l’impossibleJe vois flou.Pas à cause de la douleur.Pas seulement.Mais parce qu’elle est restée.Parce qu’elle me tourne le dos.Parce qu’elle a choisi de faire face seule au monstre que même nos anciens ne nommaient plus qu’à voix basse.Et qu’il est là. Devant elle.Le Délié.Ce mot que même les anciens redoutaient. Ce souffle sans origine. Cette absence de forme si ancienne qu’elle est devenue mémoire.Je le vois se redresser lentement, comme un arbre noir dont les racines percent le monde, aspirant jusqu’à la lumière.Il ne bouge pas vite.Il n’a pas besoin.Il est déjà partout.Autour de lui, tout plie.L’espace.Le temps.Les pensées.Les feuilles se fanent en un instant. L’herbe se fige. L’air devient lourd. Chargé d’une poussière invisible, celle des souvenirs broyés.Il n’avance pas.C’est le monde qui recule.Je veux me relever.Par instinct. Par amour. Par rage.Mais mes jambes ne répondent plus.Mon flanc me brûle comme s’il avait été arraché. Mes
ELINALisière du camp : Au bord du gouffreJe ne ressens plus mes pattes.Ou peut-être que si. Peut-être que c’est pire : je sens chaque nerf hurler, chaque veine battre à contresens. Mon cœur s’est calé sur un rythme qui n’appartient plus qu’à la peur. Une peur sèche, souterraine. Une peur ancienne. Préhumaine. Inécrite.Devant moi, la chose avance.Ce n’est pas un loup.Ce n’est pas un homme.Ce n’est pas un dieu.Et pourtant, il les englobe tous.Il est la faille. Le gouffre. Le ventre noir de la légende.Il n’a pas besoin de parler. Pas besoin de grogner. Il est. Et cela suffit.Chaque mouvement fait trembler l’air. Les branches se tordent sur son passage comme si la forêt elle-même voulait fuir. Et, au fond de mes entrailles, quelque chose de très vieux se recroqueville. Un instinct enfoui. Celui que l’on pensait éteint. Celui des premières meutes, des premières chasses. Le souvenir du Délié.Je recule d’un pas, le museau retroussé. Non pas pour grogner. Mais pour respirer. Pour
ELINALisière du camp : Crépuscule rougeLe ciel saigne.Un rouge dense, saturé, éclaté sur les hauteurs comme une plaie béante. L’air est lourd, chargé d’électricité, de cendres volantes et de cette odeur familière : sueur, métal, peau animale chauffée à blanc. Il y a une tension dans le vent. Une peur contenue, crue. Elle ne vient pas de moi , elle vient de la terre.Je suis en première ligne. Là où tout commence. Là où tout peut finir.Autour de moi, les nôtres s’apprêtent. Pas un mot. Pas un hurlement. Pas même un battement de cœur inutile. Ce soir, la guerre ne se danse pas. Elle s’égorge.À ma droite, Aiden, solide comme un roc. Il ne bouge pas, mais ses épaules vibrent d’un calme terrible. Ses griffes brillent déjà, prêtes à déchirer.À ma gauche, Lys, plus loup qu’humaine. Ses yeux ont viré au bleu électrique. Sa respiration est courte. Mais régulière. Contrôlée. Un battement de rage maîtrisé.Et derrière, les nôtres. La meute restée. La vraie. Pas les plus puissants. Pas les
ELINACamp des Loups, Fin de matinéeLe tumulte ne faiblit pas.Il gronde dans l’air, comme un grondement sourd qui monte des entrailles de la terre. Les minutes s’étirent, tendues à craquer. Chaque bruit, chaque cri, chaque martèlement de pas résonne dans mes tempes, et ma peau vibre d’alerte. J’ai quitté Aiden depuis peu, mais la chaleur de sa paume reste imprimée dans la mienne. Je m’y accroche. Comme à une encre dans la tourmente.Autour de moi, la meute s’active.Les éclaireurs reviennent, haletants, le regard halluciné, les griffes encore sorties pour certains. Le sol est labouré par des sabots et des griffes, des sacs éventrés, des chaînes oubliées. Les ordres fusent, secs, rapides. L’odeur de sueur, de terre et d’adrénaline flotte dans l’air. La tension est presque palpable, comme si elle avait pris corps.Un jeune arrive en courant. Son souffle est court, son pelage encore mi-dressé malgré sa forme humaine.— Trois colonnes en approche. En ligne. Ils ont des drapeaux noirs… e
ElinaCampement sud, matin clairLe vent léger fait frissonner les feuilles mortes qui jonchent le sol autour du campement, soulevant par instants de petits tourbillons de poussière fine. L’air est encore frais, chargé de cette odeur âcre et métallique propre aux nuits passées près du feu et à l’anticipation sourde du sang à venir. Autour de moi, le camp s’éveille dans une tension palpable. Les voix, d’abord chuchotements d’inquiétude, deviennent ordres, cris, consignes données dans la hâte et l’urgence.Partout, des silhouettes s’agitent. Des mains nouent des cordes, chargent des carquois, tendent des arcs, aiguisent des lames. Le bruit sourd des pas lourds sur la terre battue se mêle aux grincements des charrettes. Le regard des combattants est dur, parfois embrumé par la peur, mais surtout chargé d’une détermination sourde, prête à éclater.Et pourtant, malgré ce tumulte, mon esprit ne peut s’éloigner. Mes yeux cherchent celui dont la présence seule suffit à calmer la tempête dans
ElinaCampement sud, premières lueurs de l’aubeLe ciel s’ouvre lentement, une faille lumineuse dans la nuit encore épaisse. Des nuances subtiles de rose, d’or et de lavande s’étirent à l’horizon, déposant une caresse douce sur nos visages marqués par la fatigue et les combats. Le feu de la veille s’est mué en un lit de braises rouges, qui palpitent faiblement, comme un cœur qui refuse obstinément de s’arrêter.Je sens encore la chaleur de la main de Léonie dans la mienne, un lien silencieux, solide, dans le tumulte de mes pensées. Cette nuit, j’ai cru toucher un avenir que je croyais interdit, un fragment de paix que je pensais hors de portée, un renouveau improbable qui renaît de nos cendres communes. Un espoir si fragile qu’il aurait pu se briser au moindre souffle.Mais l’aube, en révélant la lumière, fait aussi surgir les ombres tapies au loin.À l’orée du camp, une silhouette s’avance dans la pénombre. C’est Marek, le messager, appuyé sur sa canne, sa démarche lourde trahit l’ur