CassandreJe me redresse lentement. Je titube, mais mon regard se plante dans celui de l’homme toujours là, debout dans mon salon minable, aussi à sa place ici qu’un diamant dans une bouche d’égout.Il m’observe. Immobile. Inébranlable. Il a ce regard de ceux qu’on n’ose jamais contredire.Je le reconnais.Ce genre d’homme possède tout. Et quand il désire quelque chose… il l’obtient.Mais moi aussi, j’ai appris à jouer.Avec moins de moyens.Plus de ruses.Alors j’affiche mon sourire le plus calme. Le plus hypocrite.— Si vous voulez récupérer Lyra, dis-je en croisant les bras, il va falloir nous rembourser. Dix fois ce qu’on a dépensé pour elle. Non. Cent fois.Ma mère sursaute. Mon père me fusille du regard. Mais je m’en fiche.J’ai perdu Lyra. Autant en tirer quelque chose.Mais l’homme me fixe. Et je sens tout l’air de la pièce se glacer.— Ton appétit est sans limite, murmure-t-il, chaque mot cinglant comme une lame. Je peux te libérer de tes dettes. De tes prêts usuraires. Je sa
LyraLe quartier pue la résignation.Les murs suintent le renoncement. Lépreux, couverts de moisissures et de souvenirs oubliés. Les vitres sont barricadées, les toits pleurent une pluie acide. Tout semble sur le point de s’écrouler, mais rien ne tombe. Ce quartier est un mensonge qui tient debout par habitude. Comme ma famille.À chaque pas, mes talons s’enfoncent dans un bitume fissuré, gorgé d’eau stagnante.Les flaques puent la rouille et l’humiliation.Un chat famélique traverse ma route en crachant. Il me ressemble trop.Je monte les marches de l’immeuble, lentement, comme on gravit un échafaud.L’odeur de friture rance, de linge moisi, de colère figée m’agrippe la gorge. Chez nous, l’air est lourd. Il ne circule pas.Rien ne respire ici.Rien ne grandit.Même pas l’amour.J’ouvre la porte. Elle grince comme toujours. Elle gémit, comme si elle savait ce qui m’attend.Cassandre est là.Reine de pacotille sur son trône éventré, jambes croisées, tasse de café en main, le regard pla
LyraJe ne sais pas quand j’ai franchi la ligne. Je ne sais pas si c’est moi qui l’ai franchie… ou si c’est lui qui l’a tirée jusqu’à moi.Je me souviens de ses mains précises, insolentes, patientes.De sa voix, basse, mordante, qui effleurait ma nuque comme un avertissement.De ce regard, planté dans le mien, qui me promettait la perte et la lumière tout à la fois.La première caresse a été légère, presque respectueuse.Un doigt qui suit la ligne de ma mâchoire, une paume posée sur mes côtes comme pour mecompter les os, les failles. Il ne s’est pas précipité. Il m’a observé. Goûtée. Comme s’il voulait apprendre mon langage, celui que je ne dis jamais à voix haute.Puis il s’est approché. Plus près. Si près que sa respiration faisait frissonner la mienne.Il m’a dit :— Tu peux encore partir.Mais sa main retenait déjà la mienne.Et tout a basculé.Il n’a pas été brutal.Mais il n’a pas été doux non plus.Il a été tout ce que je redoutais : entier, entier jusqu’à l’indécence.Son cor
AlexandreElle s’effondre dans mes bras sans prévenir.Un poids de soie, trempé de fièvre et de vertige.Mon premier réflexe est de la repousser.Elle sent l’alcool. Le chaos. L’urgence.Elle sent la faiblesse.Et pourtant, je reste là.Ses bras s’enroulent autour de moi avec la fragilité d’un piège. Sa joue repose contre mon torse comme si elle y avait toujours appartenu.Elle ne sait pas ce qu’elle fait.Mais moi, je sens que ce n’est pas un accident.C’est une collision.Son corps s’ajuste au mien avec une facilité indécente.Je devrais être dégoûté. Écoeuré.Mais ce n’est pas le même dégoût que d’habitude. Pas de cette répulsion froide que m’inspirent les femmes trop faciles, celles qui se jettent au cou du premier homme riche comme des chiennes en chaleur. Elle, c’est différent.Elle me heurte.Je la regarde vraiment, pour la première fois.Cette robe.Trop sage. Trop droite. Un détail qui crie qu’elle n’est pas d’ici.Ce maquillage maladroit, comme posé par une amie pressée.Ce
LyraTout avait commencé quelques heures plus tôt.J’étais sortie en courant de l’appartement de Rafael, mes chaussures à la main, le cœur en vrac, les yeux gonflés de rage. Mon téléphone vibrait encore, mais je n’arrivais même plus à lire ses messages. Il n’y avait rien à sauver. Ni nous, ni ce mensonge qu’il appelait amour.J’avais marché longtemps, au hasard, dans le froid, jusqu’à ce que Cassandre m’appelle.Comme si elle savait. Comme si elle m’attendait.— Je suis en ville, avait-elle dit. Viens. Je t’emmène boire un verre. Il faut que tu te changes les idées, petite sœur.Petite sœur.Elle ne le disait jamais.Ce mot avait claqué dans l’air comme un piège.J’aurais dû me méfier.Mais j’étais trop brisée. Trop seule.Alors j’ai dit oui.Le bar semblait irréel, comme une scène de film trop brillant. Cassandre m’avait accueillie avec une étreinte rapide, presque sincère. Elle portait une robe noire en satin, sobre mais provocante, et des boucles d’oreilles qui brillaient comme des