Lina tourna doucement la poignée de la porte, hésitant à entrer. Elle resta un instant figée devant la chambre, l’oreille tendue, à écouter le silence tendu qui régnait de l’autre côté. Aïssatou n’avait pas reparlé depuis leur retour. Elle s’était enfermée sans un mot, sans même manger. Lina savait qu’elle avait ouvert une brèche. Une brèche où la vérité voulait s’infiltrer à tout prix. Mais elle ne savait pas encore comment la contenir, ni comment l’adoucir. Elle poussa la porte, lentement. Aïssatou était assise sur le lit, jambes croisées, fixant le mur. Elle ne leva même pas les yeux. — Tu veux qu’on parle ? demanda Lina doucement. — Non, répondit Aïssatou. Enfin… si. Mais je veux pas que tu me mentes. Lina s’assit au bord du lit, à bonne distance. — Je ne te mentirai pas. Pas aujourd’hui. Un silence s’installa, lourd et chargé. — C’est vrai ? Malik est mon frère ? — Oui. — Pourquoi tu me l’as jamais dit ? Lina prit une grande inspiration. — Parce que moi-même je ne l’a
Lina sentit une boule dans sa gorge en regardant Aïssatou nouer ses lacets avec insouciance. Elle avait prévu de l’emmener dans un endroit qu’elle ne connaissait pas encore, un lieu où la vérité rôdait à chaque recoin : l’atelier Naaya. Jusqu’à présent, elle avait réussi à lui cacher l’essentiel. Mais elle savait que tôt ou tard, le monde qu’elle avait construit finirait par s’imposer à sa petite sœur. Et ce moment était arrivé. — Prête ? demanda-t-elle, feignant un sourire léger. — Ouais ! On va où, au fait ? T’as pas voulu me dire. — Tu verras, répondit Lina en attrapant son sac. Aïssatou haussa les épaules avec un air mi-amusé, mi-curieux. Dans l’ascenseur, elle ne cessa de parler, posant des questions, plaisantant. Mais Lina, elle, restait silencieuse, le regard ailleurs. Une tension invisible se formait autour d’elles, une tension que seule Lina ressentait. Le trajet jusqu’à l’atelier fut court. Lina avait tout prévu pour que personne ne soit là à leur arrivée, pour qu’Aïssa
La semaine était passée à toute vitesse. Aïssatou, rayonnante, avait repris ses marques dans leur ancien appartement. Les murs familiers, les meubles usés, les odeurs du quartier — tout lui semblait identique, rassurant, comme si rien n’avait changé. Mais la réalité, elle, avait pris de l’avance sur son innocence. Et les premières fissures commençaient à apparaître. — Ce matin-là, Lina la regardait dormir un instant, le visage paisible, les bras écartés. Elle avait grandi. Son corps s’était allongé, son rire avait changé de tonalité. Mais elle restait cette enfant qui croyait encore que le monde tournait rond. Lina, elle, se sentait au bord du vertige. Dans quelques jours, Aïssatou finirait par comprendre. Et Lina n’était pas prête. Pas encore. — — T’as encore reçu du courrier, dit Aïssatou en entrant dans la cuisine avec une enveloppe beige à la main. Lina sursauta. Elle attrapa rapidement l’enveloppe. — C’est rien, juste du boulot. — Pourquoi y’a écrit "Naaya" dessus ? L
Le moteur du car scolaire gronda une dernière fois avant de s’immobiliser sur le trottoir. Lina, les mains moites, attendait en bas des marches, les yeux rivés sur les visages qui défilaient derrière les vitres.Et puis elle la vit.Petite silhouette vive, sac de voyage bringuebalant sur une épaule, grand sourire aux lèvres. Aïssatou.— Linaaa !Elle courut vers elle et se jeta dans ses bras, comme si tout l’univers venait de se recentrer.— T’as pas changé ! T’es pareille !— Et toi t’as grandi, s’émerveilla Lina en la serrant plus fort.Elles restèrent enlacées quelques instants, jusqu’à ce que les voix des autres enfants les ramènent à la réalité.— Allez viens, j’ai préparé une petite surprise, dit Lina en récupérant le sac.— Une surprise ? Tu m’as manquée, grande sœur. Tu sais, j’ai pensé à toi tous les jours. Même quand on faisait du canoë !Lina esquissa un sourire. Ce genre de phrase, lancé avec innocence, lui piquait les yeux plus qu’elle ne l’aurait cru.—Au lieu de les ra
Le soleil se levait lentement sur Paris, étirant ses rayons dorés à travers les vitres de l’atelier Naaya. L’air y était plus calme qu’il ne l’avait été depuis des semaines, mais une tension flottait encore, comme une note suspendue à la fin d’une mélodie inachevée.Lina se tenait debout près de la table de coupe, les doigts effleurant machinalement un tissu imprimé. Le silence dans l’atelier ne lui pesait plus autant. Il était devenu une toile vierge. Après les flammes, les cendres. Après les cendres… il fallait bien recommencer à construire.La conférence dans l’ancienne laverie avait déclenché une onde de choc. Les médias s’étaient emparés de l’affaire avec une frénésie presque violente. Les révélations sur Élise Delcourt, les documents légués par Demba, et le témoignage de Lina avaient changé la donne. Du jour au lendemain, Naaya n’était plus une simple marque. C’était devenu un symbole de résilience. De révolte. Et, pour certains, d’espoir.Mais Lina, elle, ne cherchait ni l’admi
Le vent balayait les rues de Paris comme un souffle venu du passé. Lina regardait par la fenêtre de l’atelier, les mains croisées sur son ventre. Elle avait l’impression que les murs eux-mêmes retenaient leur souffle. Tout avait brûlé : les rumeurs, les doutes, les attaques personnelles. Et ce qu’il restait maintenant… c’étaient des cendres. Et des vérités. Rien d’autre. Mais parfois, il faut toucher le sol pour pouvoir rebâtir. — Dans l’atelier, une nouvelle énergie flottait. Samba était revenu plus motivé que jamais. Malik passait ses journées à apprendre à manier les machines, à organiser les stocks, à aider avec l’humilité d’un homme en quête de sens. Awa, elle, préparait du thé pour tous, en silence, avec un sourire doux et fatigué. — On aurait presque dit une vraie famille, murmura Ethan, en observant la scène. Lina lui sourit, mais ses yeux restaient lointains. — Presque. Mais une famille, c’est plus que du partage. C’est des secrets mis à nu. Et on n’a pas encore fini d