Le palais vibrait comme une bête blessée. Ses colonnes craquaient, ses vitraux brisés laissaient s’engouffrer la nuit et les flammes, et chaque écho dans ses couloirs sonnait comme un glas. Moreau, revolver à la main, avançait en titubant parmi les couloirs tapissés de marbre fendu. Sa respiration haletante résonnait comme un souffle de bête traquée. Pourtant, ses yeux brûlaient d’une flamme démente : il refusait de tomber en silence. Dehors, la foule hurlait encore, martelant les marches, portant les flammes comme des torches de justice. Le nom d’Ethan roulait de bouche en bouche, plus fort que les balles, plus fort que les ordres de mort. Lina, ses vêtements imprégnés du sang d’Ethan, avançait au premier rang. Sa pierre brandie n’était plus une arme, mais un symbole. Ses yeux, rougis par les larmes, ne reflétaient plus la douleur seule, mais une détermination inébranlable. Clément courait à ses côtés, carnet trempé par la pluie et la sueur, mais sa plume continuait de gratter malgr
Le coup de feu claqua comme une déchirure dans le ciel. Un instant, la ville entière sembla se figer : les oiseaux s’envolèrent brusquement des toits, les bougies tremblèrent, et les milliers de cœurs massés devant le palais cessèrent de battre à l’unisson. Puis un cri éclata, porté par la foule. Ethan s’était jeté devant Lina, et son corps s’effondra contre elle. Ses yeux s’agrandirent d’un éclat surpris, presque incrédule, avant de se voiler. Le sang jaillit, chaud, tâchant la pierre qu’il avait juré de défendre. Lina le retint, ses bras tremblants, son souffle coupé. — Non… non, Ethan ! cria-t-elle, ses mains cherchant désespérément à retenir la vie qui s’échappait. Autour d’elle, la foule hurla. Le cri ne ressemblait plus à la peur ni à la colère, mais à quelque chose de plus vaste : un écho primal, une douleur qui résonnait dans chaque gorge, chaque poitrine. Clément, figé, la plume encore entre ses doigts, vit son carnet tomber au sol, ses pages tachées par des gouttes de sa
Le boulevard résonnait encore du martèlement des pas quand la marche atteignit le seuil du palais. Là, la ville semblait s’arrêter d’un seul souffle. Devant les grilles noircies par la fumée, se dressait l’armée de Moreau, formée en muraille. Boucliers serrés, fusils pointés, blindés immobiles comme des bêtes de métal prêtes à rugir. Lina leva les yeux. Les colonnes du palais, autrefois symbole de puissance, semblaient désormais fissurées par l’écho des cris qu’elles avaient enfermé. Ce n’était plus une forteresse invincible, mais une carcasse. Pourtant, derrière ces murs, Moreau tenait encore les leviers du pouvoir. Ethan serra la main de Lina. — Si on franchit ce seuil, il n’y a plus de retour. — Il n’y en a jamais eu, répondit-elle. Aujourd’hui, c’est ici ou jamais. Clément, carnet toujours en main, murmurait : — Le peuple est arrivé jusqu’aux portes de son bourreau. Maintenant, l’histoire décide si ces portes s’ouvrent ou si elles nous engloutissent. Autour d’eux, la foule
La nuit précédente avait été lourde, traversée par les échos de rafales et les hurlements des patrouilles. Pourtant, à l’aube, quand le premier rayon du soleil tomba sur la place des Martyrs, il y eut un silence qui n’appartenait pas à la peur. C’était un silence de décision. Le cercle de pierres tenait encore debout, couvert de cendres, entouré de bougies éteintes par le vent. Autour, des silhouettes se rassemblaient déjà. Des femmes aux foulards défaits, des hommes aux visages creusés, des enfants encore endormis dans les bras de leurs mères. Tous avaient les mêmes yeux : creusés par la faim, mais gonflés d’une lumière nouvelle. Lina se tenait au centre, le cœur battant. Elle n’avait pas dormi. Toute la nuit, elle avait senti le poids du serment résonner dans son corps comme un tambour. Aujourd’hui, il fallait lui donner forme. Pas seulement un geste, pas seulement un mot. Un mouvement. Ethan arriva à ses côtés, le visage fermé. — Tu es sûre de ça ? demanda-t-il. Si on marche,
La ville s’était rendormie dans une odeur de viande carbonisée. Sur l’esplanade où Moreau avait dressé ses tables, il ne restait plus qu’un champ de cendres, des carcasses fumantes, et des ombres noires projetées par les torches encore allumées. Le festin des ombres n’avait nourri personne. Il n’avait laissé qu’un goût de fer et de fumée. Pourtant, dans les ruelles, un frisson circulait. Ce n’était plus la peur, ni même la faim, mais une sorte de tension nouvelle. Le peuple avait refusé de manger le pain du tyran. Et ce refus, dérisoire en apparence, s’était mué en victoire intime. Lina, assise contre un mur encore tiède, respirait avec peine. Elle avait tenu tête devant des centaines de regards, mais c’était après que la fatigue la frappait. Ethan s’accroupit près d’elle, ses yeux sombres fixés sur les cendres qui volaient encore dans l’air. — Tu sais ce que ça veut dire ? demanda-t-il d’une voix basse. — Oui, souffla-t-elle. Ça veut dire qu’on a choisi la faim, et qu’il ne n
La ville portait encore l’odeur âcre du brûlé. Dans les ruelles noircies, la suie collait aux pierres comme une seconde peau. Chaque pas réveillait une poussière rougeâtre, trace muette des combats de la veille. Mais au milieu de ce décor calciné, une rumeur circulait, insidieuse : Moreau préparait quelque chose. Pas un assaut, pas une rafle. Non, une mise en scène. Lina en entendit parler au détour d’une cave où les résistants s’étaient réfugiés. Une vieille femme, les mains tremblantes, souffla : — Ils disent qu’il a convoqué le peuple. Sur la grande esplanade. Il veut un festin. Ethan fronça les sourcils. — Un festin ? Dans une ville qui crève de faim ? Clément, livide, leva les yeux de ses notes. — Ce ne sera pas un banquet, mais une cérémonie. Une orgie de pouvoir. Moreau n’offre jamais sans reprendre. Un silence glacé s’installa. Tous savaient ce que cela signifiait : le tyran n’allait pas seulement affirmer sa force militaire. Il allait tenter de corrompre l’âme même du