Trois semaines.
— Trois semaines ! s’écriait intérieurement Kate en fendant le centre-ville à vive allure, filant vers l’aéroport situé à l’autre extrémité de la capitale. Son vol pour le Pays Z décollait dans à peine une heure, et elle venait tout juste de quitter le bureau. Chaque feu rouge lui arrachait un soupir, chaque ralentissement nourrissait sa frustration.
Pourquoi ? Pourquoi me suis-je autant attachée à cet homme ? Pourquoi ce sentiment, si déroutant, si envahissant ?
— Ah la la, pauvre petite sotte, ironisa sa voix intérieure. Tu prétendrais ne rien ressentir, mais ton ventre se serre chaque fois qu’il t’écrit, qu’il t’appelle. Tu aurais dû faire plus attention avant de t’abandonner à lui.
Kate se massa le front, agacée par ses propres pensées. Elle repensait à cette nuit, cette parenthèse hors du temps, qui n’aurait jamais dû dépasser le stade d’une aventure. Pourtant, ce n’était pas le souvenir des caresses ou des frissons qui l’obsédait. Non. C’étaient leurs échanges, leur complicité, cette impression de se comprendre sans mots. Et cette connexion, aussi fugace soit-elle, la troublait plus que tout.
Heureusement, la circulation était fluide. Elle atteignit l’aéroport à temps, juste avant la clôture de l’enregistrement. Une fois installée à bord, ses écouteurs en place, elle ferma les yeux. La voix douce de Haley Reinhart, sur Can’t Help Falling in Love, s’insinua dans ses oreilles. Et les souvenirs défilèrent, avec la précision douloureuse d’un rêve éveillé.
C’était un lundi 19 août. Un jour comme les autres.
Elle était arrivée au Radisson Blu en début d’après-midi. Préférant la discrétion, elle s’était installée dans un fauteuil près de la salle de conférence, attendant la fin du déjeuner des autres participants. Elle avait manqué toute la matinée ; il aurait été malvenu de débarquer à la table des discussions sans avoir assisté au début.
À quatorze heures, elle prit enfin place dans la salle, s’asseyant au fond, près de la porte. Elle traînait un vilain rhume depuis des semaines, sa voix était cassée, et le masque qu’elle portait pour préserver les autres la gênait dans sa respiration.
Le premier jour passa sans accroc. Le deuxième fut plus engageant, les échanges se réchauffèrent. C’est là qu’elle fit sa connaissance : Dave Hopkins, son voisin de siège. PDG du groupe BlueStone, homme politique influent. Elle n’en revenait pas de voir une figure aussi importante participer à un tel atelier.
Même son DG avait jugé qu'il avait sans doute “mieux à faire”.
Et pourtant, Monsieur Hopkins était là.
Après une série de débats animés sur la gouvernance du secteur, Dave s’était penché vers elle, un sourire au coin des lèvres :
— Pour ta gorge, passe à la pharmacie d’à côté. Demande un Anginovag. Ce spray te rendra ta voix d’ici demain.
Ce conseil inattendu la fit sourire. Et bien qu’étonnée, elle l’avait suivi.
Le mercredi, un voyage fut annoncé pour le reste de la semaine dans une région voisine.
— Ils se fichent de nous, ou quoi ?
La ville C, où se tiendrait la suite de l’atelier, se trouvait à cinq heures de route. Arrivée au parking la première, Kate avait pu choisir la voiture : un grand 4x4, indispensable pour les routes sinueuses. Elle prit naturellement place à l’avant — le mal des transports l’empêchait de supporter les longs trajets à l’arrière.
Alors qu’elle discutait avec le chauffeur, une voix la surprit :
— Je peux m’asseoir à côté de toi ?
C’était Dave.
— Euh… je suis désolée, j’ai le mal du transport à l’arrière. À moins que tu veuilles prendre ma place ?
— Non, pas du tout. J’ai juste froid. Et être près de toi… ça me réchaufferait sûrement.
Elle éclata de rire.
Le trajet fut ponctué de discussions passionnées sur la politique et l’économie. Dave, encore une fois, paya le petit-déjeuner à tout le monde. Elle se promit de le rembourser à leur arrivée.
À la ville C, le groupe se scinda en deux : les uns vers les restaurants chics, les autres vers les gargottes locales. Kate choisit la seconde option, et fut surprise de voir Dave faire de même.
— Comment connaît-il ce genre d’endroit ?
La gargotte servait des plats copieux à trois euros. Elle se régala : poisson frit, sauce, riz, salade, fruits. Dave commanda exactement la même chose. Elle lui proposa alors de payer son repas — une manière discrète de solder sa dette du matin.
De retour à l’hôtel, elle se retira dans sa chambre pour une visio-conférence prévue à 18h. Elle en sortit deux heures plus tard, affamée, et descendit commander une soupe et un yaourt. Le serveur lui proposa de faire monter le tout dans sa chambre. En attendant, elle disputa une partie de billard avec Oliver Deschamps, un homme charmant et élégant, sous les commentaires sarcastiques d’Annabelle Delattre, l’exubérante du groupe. L’ambiance était légère, rieuse.
Sa commande étant prête, elle leur souhaita bonne nuit.
Elle venait tout juste d’enfiler sa chemise de nuit quand on frappa à sa porte.
Perplexe, elle ouvrit.
Dave.
Elle n’arrivait pas à comprendre.
Le soleil se couchait doucement sur les jardins de la villa, teignant le ciel d’un rose orangé. Les familles, réunies pour un dîner en extérieur, savouraient les derniers instants d’une journée parfaite. Tandis que les bébés dormaient paisiblement à l’étage, bercés par les soins experts de leurs grands-parents, les jeunes mariés profitaient d’un rare moment de calme.Dave, accoudé à la rambarde de la terrasse, sirotait un jus de citron frais, le regard perdu dans l’horizon. À ses côtés, Greg sirotait un soda glacé, les pieds posés sur une chaise vide.Soudain, Dave tourna la tête vers lui, un sourire malicieux au coin des lèvres.— Tu te souviens du pari qu’on avait fait, il y a un an ? Juste après que j’ai rencontré Kate ?Greg haussa un sourcil, l’air intrigué… puis éclata de rire en recrachant presque sa gorgée.— Comment oublier ça ! J’avais parié que tu finirais par tomber fou amoureux d’elle, et que tu l’épouserais !— Et moi j’avais dit que c’était impossible… répondit Dave, fa
Le grand jour était enfin arrivé.Sous un ciel bleu limpide et une brise douce parfumée de jasmin, la grande villa des Hopkins avait été transformée en un jardin de conte de fées. Guirlandes suspendues entre les arbres, pétales de roses jonchant l’allée, arche florale majestueuse… tout semblait tout droit sorti d’un rêve.Mais comme dans tout rêve parfait, il y avait... quelques imprévus.Evan courait partout avec une cravate de travers.— Quelqu’un a vu les chaussures de Greg ?! Mathias a bavé sur mes fichues notes de discours ! Et Christiana vient de faire pipi sur la robe de Joy. CATASTROPHE !Kate sortit de la chambre, rayonnante dans sa robe ivoire. Elle attrapa Evan par les épaules :— Respire. Tout va bien.— Je vais m’évanouir avant vous !Greg arriva au même moment, torse nu, une chaussette sur la tête au lieu du pied.— Je suis prêt ? Non ? Trop de pression. Dave respire comme Dark Vador dans le dressing. Joy pleure parce qu’elle a marché sur sa traîne. Et Mathias veut un bib
La villa de Kate et Dave bourdonnait d’une effervescence douce et joyeuse. Depuis l’annonce de leur double mariage, les familles Kitson, Hopkins, Jensen et Hanson ne parlaient plus que de ça : le grand jour. Ou plutôt... les deux grands jours réunis en un seul.Car oui, l’amour avait frappé fort et d’un coup : Kate et Dave, les âmes reconnectées après mille tempêtes, allaient dire oui... en même temps que Joy et Greg, les cœurs nouveaux, surpris mais sincèrement liés.La première à fondre en larmes en voyant les robes de mariées alignées sur les portants, ce fut Eva, la maman de Kate et Joy.— Mes bébés vont se marier... et le même jour en plus !— Tu veux que je te dise, maman ? lança Joy en souriant. J’ai toujours su qu’on ferait tout ensemble. Même tomber amoureuse au même moment.— On va vous voler la vedette, ajouta Kate en riant, les yeux fixés sur sa sœur.Pendant ce temps, Greg et Dave, eux, testaient leurs costumes devant un miroir géant.— Je crois que j’ai un air de prince
Le lendemain matin, la nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre. Greg et Joy étaient ensemble. Ou, selon les rumeurs des plus enthousiastes : "ils s'aiment comme des fous et élèvent déjà Mathias ensemble dans une villa pleine de fleurs et de biberons."C'était Henry Hopkins qui avait lancé les festivités. Assis avec Eva Kitson sur un banc au jardin, il tapota son téléphone, lut le message de Greg… et explosa de rire :— Mais alors c’est vrai ?! Ma future belle-fille, c’est la petite Joy ? Ha ! J’aurais dû m’en douter !Eva fronça les sourcils avec un sourire en coin.— Qu’est-ce qui te fait rire, Henry ?— Notre Greg est amoureux de de votre Joy, et moi, je trouve ça parfait ! On devrait faire un arbre généalogique en spirale, tiens, ça ira plus vite !Dans le salon de Kate, Yvan Kitson – toujours très sérieux – était en train de lire le journal quand Dave entra, hilare :— Papa Yvan, tu savais que Joy et Greg sont ensemble ?Yvan leva un sourcil, très calme.— Oui. Et j’
Quelques semaines après le procès, la vie reprenait lentement son cours. Dave et Greg avaient un besoin urgent de tourner la page, de construire quelque chose de nouveau – de solide – pour leurs familles respectives. Et cela passait, d’abord, par un nouveau foyer.Dave tomba amoureux d’un domaine immense situé à flanc de colline, une villa de 2000m² avec un jardin luxuriant, une piscine naturelle, une serre, et même une petite forêt en bordure. Lorsqu’il emmena Kate la visiter, elle n’en revenait pas.— Dave… tu es fou ! C’est gigantesque.— Fou de toi, surtout, répondit-il avec un sourire espiègle. Il nous faut de l’espace pour les triplés. Et pour toi. Je veux que tu te sentes libre ici.Kate avait les larmes aux yeux en découvrant la chambre des bébés, déjà décorée. Son cœur battait à tout rompre.De son côté, Greg avait opté pour une villa plus discrète mais pleine de charme, avec un jardin fleuri, des baies vitrées, une terrasse en bois et une chambre spécialement conçue pour Mat
La nuit était tombée à l’Escala. Les rires s’étaient tus, les berceaux bercés, les familles reparties. Le calme régnait enfin, un calme doux et feutré, comme si le monde entier retenait son souffle pour ne pas déranger ce moment.Dans la chambre principale devenue leur cocon, Dave et Kate étaient enfin seuls. Les triplés dormaient à quelques mètres d’eux, paisibles. Leurs petits soupirs étaient les seuls sons qui brisaient le silence.Kate, encore vêtue d’une robe légère, se tenait debout face à la fenêtre, contemplant le jardin nocturne. Dave, adossé au chambranle de la porte, la regardait en silence. Il n’y avait plus Monica, plus de poison, plus de secrets — juste elle et lui. Et le poids insupportable de toutes ces mois à se désirer sans se retrouver.— Tu comptes rester là toute la nuit ? demanda Kate d’un ton doux mais chargé de sous-entendus.Dave sourit. Ce sourire. Celui qu’elle avait aimé dès le premier jour.— Je n’ose pas m’approcher. Tu es… comme un mirage.Kate se retourn