Chapitre 9

Aceline a continué de regarder les feux d’artifice, simplement parce qu’elle était là.

Mais après cette rencontre inattendue, elle a complètement perdu l’envie de lever les yeux vers le ciel.

En regardant les dernières fusées illuminer l’eau, elle a repensé à toutes ces années où elle avait demandé à Kylian s’ils pouvaient emmener Villiers à voir le feu d’artifice.

Et chaque fois, il l’a refusée, prétextant que Villiers était trop petit.

Mais ce soir, il est venu.

Avec Élaine.

Avec Villiers.

Ce n’était donc jamais Villiers qui était « trop petit ».

C’était elle qu’il ne voulait simplement pas avoir à ses côtés.

Une douleur sourde a traversé sa poitrine.

Son cœur est tombé comme dans un bassin glacé, un froid qui s’est resserré jusqu’à l’étouffer.

Et au milieu de ce malaise, une certitude a pris racine : elle a senti que son désir de divorcer est devenu encore plus ferme.

Quand le feu d’artifice s’est terminé et que la foule s’est dispersée, Aceline a pris le bras de Chloé, et elles ont marché dans la direction opposée à celle de Kylian. Elles ont pensé pouvoir les esquiver dans la masse mouvante.

Pourtant, elles n’ont pas eu cette chance.

À peine arrivées sur le trottoir, elles sont tombées nez à nez avec le trio.

Aceline s’est figée, surprise, les yeux écarquillés une fraction de seconde.

Par réflexe, elle a levé la tête vers Kylian, cherchant son regard malgré elle.

Kylian la fixait aussi, les traits tendus, une lueur de mécontentement dans les yeux.

Aceline n’a pas compris cette irritation : c’était lui qui promenait une autre femme et leur fils, lui qui affichait ce bonheur sans elle. Qu’avait-il à lui reprocher ?

Les pensées de Kylian étaient un labyrinthe impénétrable, un mystère qu’elle avait passé des années à tenter de déchiffrer.

Et aujourd’hui, elle n’a plus eu l’énergie d’essayer de les déchiffrer.

Elle a forcé un sourire poli, les lèvres légèrement incurvées, tout en gardant une distance prudente.

« Monsieur Benneteau, quelle coïncidence. »

Kylian a resserré sa prise autour de Villiers et l’a toisée de haut en bas.

« Tu fais des caprices au point d’abandonner ton propre fils, c’est ça ? »

Aceline a baissé les yeux vers Villiers.

Le petit, en croisant le regard de sa mère, a froncé ses sourcils, puis s’est jeté comme par réflexe dans les bras d’Élaine.

Sans la moindre hésitation.

« Pas maman… veux marraine. »

Son joli visage était empreint d’un sérieux enfantin, sans une once de culpabilité, comme si rejeter sa mère était la chose la plus naturelle au monde.

« Vili, tu ne peux pas dire ça… Maman est celle qui t’aime le plus au monde. » a dit Élaine, en essayant de le ramener gentiment vers Aceline.

« Allez mon cœur, laisse maman t’embrasser un peu. »

« Veux pas maman… »

Villiers s’est recroquevillé encore plus profondément contre Élaine.

Élaine a feint l’impuissance, haussant les épaules avec un sourire doux, presque innocent.

« Madame Beaufour, ne le prenez pas mal… Vili ne vous a pas vue depuis longtemps. »

« Ce n’est rien. »

Aceline a lentement retiré ses mains tendues, les ramenant contre son corps comme pour se protéger, et a murmuré d’une voix neutre : « Puisque Vili ne veut pas de moi, je vais y aller. »

Elle a tourné les talons.

« Attends. »

Kylian a saisi son poignet, son regard verrouillant le sien.

« On rentre ensemble. »

Un frisson l’a parcourue.

Rentre ensemble ?

Où ça ?

Chez eux ?

Au manoir familial, avec sa belle-mère hostile ?

Ou chez lui, à la villa, ce tombeau de solitude qu’ils partageaient sans vraiment le partager ?

Peu importe.

Elle ne voulait aller nulle part avec lui.

Aceline a tordu le poignet avec une force discrète, se libérant petit à petit de sa prise, les yeux baissés pour éviter son regard.

« Pas la peine. Ramenez mademoiselle Gascar et Vili chez vous. »

Sur ces mots, elle a tourné les talons, le cœur cognant dans sa poitrine.

« Aceline, tu vas continuer à faire la scène ? »

Kylian a avancé d’un pas, tendant la main pour l’attraper par le bras, les sourcils froncés.

« Monsieur Benneteau ! »

Chloé s’est précipitée entre eux, se plantant devant son amie comme un bouclier, les poings sur les hanches.

Elle l’a fusillé du regard.

« Un peu de respect, s’il vous plaît. Aceline n’est plus votre femme. Occupez-vous de votre petite peste et de votre fils chéri, et laissez-la tranquille. Allez dormir où vous voulez. »

Le visage de Kylian s’est assombri.

Élaine, elle, a blêmi, puis a explosé :

« Vous parlez de qui, au juste ? »

« De celle qui pique les maris des autres, évidemment. »

Chloé l’a scrutée de haut en bas avant d’ajouter :

« Quoi ? Vous, la soi-disant… professeure, ça vous dit quelque chose ? »

« Vous- ! »

Élaine s’est étranglée, les mots coincés dans la gorge.

Mais elle s’est vite reprise, effaçant sa colère d’un battement de cils, mordillant sa lèvre inférieure avec un air blessé, vulnérable.

Elle a murmuré, presque plaintive :

« Mademoiselle, vous vous méprenez. Je suis seulement l’enseignante d’éveil de Villiers. »

« Ah, l’enseignante d’éveil ? »

Chloé a regardé Kylian, puis Élaine… et elle a reniflé sur eux sans aucune retenue.

Le visage de Kylian s’est fermé, encore plus dur.

Il a ignoré Chloé, puis a levé la voix en direction d’Aceline :

« Aceline, tu m’as pas entendu ? Rentre avec moi. »