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Chapitre 5

Author: Chloé Berger
Devant son assurance imperturbable, Mégane a fini par céder. Sa fureur s'était évanouie, remplacée par une lucidité glacée.

Ne l'avait-elle pas déjà percé à jour ? À quoi bon la déception, alors ?

Puisqu'il tenait à offrir ce projet à Sonia, elle respecterait ce choix. Reste que… Était-il certain que cette débutante aurait l'étoffe pour le mener à bien ?

Saisissant son calme soudain, Timothé s'est levé pour s'approcher d'elle. Lorsque ses doigts ont enveloppé ses mains froides, son expression s'est adoucie.

« Mégane, elle est notre sœur », a-t-il tenté de dire, « nous devons l'épauler, tu ne crois pas ? »

Mégane a retiré sa main, la voix glaciale : « Comme tu voudras. »

Il a froncé les sourcils, irrité par son indifférence. Mais puisqu'elle cédait sur le projet, il s'est contenté d'ajouter : « Sonia découvrira tout à l'heure. Guide-la, je te prie. »

Quoi ? La guider ? L'homme qui, quelques minutes plus tôt, invoquait sa santé pour la dessaisir, la jugeait donc assez robuste pour former sa chère Sonia ?

Le paradoxe était insultant !

Son sarcasme muet a dû transparaître, car Timothé a toussoté, gêné : « Et ta visite à l'hôpital ? Rien de grave ? »

Cette sollicitation tardive n'a éveillé en elle qu'une lassitude accrue.

« Rien de grave », a-t-il menti dans un souffle, « je sors. »

Son départ a laissé de nouveau une ombre d'appréhension dans son sillage. Mais à peine cette prémonition était-elle née que Sonia, entrant sans frapper, l'a dissipée.

« Mégane n'est pas fâchée ? » a-t-elle questionné avec une feinte prévenance.

« Non », l'a-t-il rassurée avec un sourire apaisant, « elle a toujours su comprendre. »

« Tant mieux. »

Comprendre ? La rage a mordu Sonia en silence. Elle s'était emparée du projet de Mégane, et celle-ci n'avait même pas provoqué de scène ?

Elle se moquait de ce poste de responsable, ce qu'elle voulait, c'était les déchirures, l'accumulation des griefs, le dégoût grandissant de Timothé pour Mégane !

Et pourtant… cette femme persistait à jouer les magnanimes ? Quelle comédienne !

Une lueur malicieuse a traversé le regard de Sonia. Une nouvelle idée venait de germer.

« Puisque c'est mon premier jour, et si nous organisions un dîner ce soir avec toute l'équipe ? Rien de mieux pour briser la glace. »

Timothé a acquiescé sans hésiter : « Excellente initiative. Je réserve immédiatement. »

La nouvelle s'est propagée dans l'open space en quelques minutes.

« Un dîner si soudain ? »

« C'est pour souhaiter la bienvenue à Sonia, évidemment. »

« Quel est son lien avec M. Grinda ? De la famille ? »

« À voir leurs regards enlacés, leur complicité palpable… Je pencherais plutôt pour une liaison. »

« Des amants ? J'avais toujours cru que Mégane et lui… »

« Impossible. S'ils étaient en couple, pourquoi le cacher ? »

« ... »

Les messages s'accumulaient dans la conversation groupée. Mégane les a parcourus, le visage impassible.

En une journée, tous ont perçu leur ambiguïté. Quelle subtilité ! Un amour si aveuglant qu'ils en avaient perdu tout sens de la discrétion.

Elle s'est souvenue : lorsqu'elle avait souhaité officialiser leur relation, Timothé avait opposé un refus catégorique : « Ici, nous sommes pour travailler. Gardons notre vie privée à l'écart. »

Elle s'était longtemps bercée d'illusion, parlant de protéger leur vie privée. Mais désormais, la raison crue s'imposait : ce n'était que pour réserver tous les privilèges à Sonia.

Mégane avait décliné l'invitation, mais des collègues insistants l'avaient finalement convaincue.

Dès les premiers toasts, des collègues se sont empressés de remplir le verre de Sonia.

Timothé est intervenu promptement : « Elle ne peut pas boire. Sa santé est fragile. Je bois à sa place. »

Il a ensuite avalé d'un trait son vin, puis a commandé un jus de fruit pour Sonia, veillant sur elle avec une sollicitude qui en disait long.

Des murmures admiratifs ont parcouru la salle privée. Libéré de l'atmosphère hiérarchique du bureau, tout le monde s'enhardissait.

« Vous êtes si attentionné avec Sonia ! »

« Un véritable gentleman. »

Les joues de Sonia se sont empourprées : « Allons… Il s'inquiète simplement pour ma santé. »

« Une pauvre excuse ! Sa préférence est évidente ! »

« M. Grinda, boirez-vous tous les verres à sa place ce soir ? »

Timothé a décoché un sourire entendu à la jeune femme à ses côtés : « Absolument. »

Les exclamations ont fusé, étonnées de découvrir cet aspect inattendu de leur patron d'ordinaire si réservé.

Mégane, elle, observait la scène depuis un coin, le regard perdu dans son verre.

Elle s'est revue, lors de négociations passées, portant toast sur toast pour sceller des contrats. Avait-il seulement esquivé ne serait-ce qu'une coupe à sa place ? Non, jamais !

Elle s'était pourtant contentée de miettes : ces paroles réconfortantes, cette eau citronnée préparée par les domestiques sous son ordre...

Mais face à la sollicitude authentique qu'il prodiguait à Sonia, ces gestes perdaient toute valeur.

Il refusait même à Sonia une simple gorgée de bière légère.

« Mégane ? » Une voix mielleuse a résonné soudain.

Alors qu'elle levait les yeux, son regard a croisé celui de Sonia, un verre de vin déjà tendu vers elle.

« On dit que tu guides l'équipe avec brio depuis des années. Tous te respectent. En nouvelle venue, j'espère une collaboration harmonieuse. »

Mégane a soutenu son regard, un sourire poli aux lèvres : « Je te remercie, mais je dois décliner. Mon estomac me joue des tours ces temps-ci. »

Une feinte déception a paru sur le visage de Sonia : « Te serais-je déplaisante ? Je ne souhaitais que trinquer avec toi… »

Quelle comédie. Mégane avait pourtant énoncé un fait médical.

Le regard suppliant de Sonia s'est ensuite tourné vers Timothé, et l'effet était immédiat.

« Mégane », a lancé cet homme d'un ton glacé, « Sonia est des nôtres désormais. Montrons-nous accueillants. »
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