Elle se redressa avec difficulté, le visage rougi par la douleur et la honte. En jetant un coup d’œil à son collant, elle remarqua qu’il avait filé. Alors qu’elle se préparait à redescendre, une main se saisit brutalement de son bras.
– Hé, je t’avais dit de m’attendre, faut qu’on parle !
– Je n’ai pas le temps, je suis déjà en retard, et enlève tes mains de sur moi !
– Je te dépose, mais on doit parler, trouver une date rapidement.
Elle plongea son regard dans le sien, ses yeux bleus, plus glacés que jamais. Il n’allait pas la déposer, elle avait sa propre voiture qui l’attendait sur le parking.
– Une date, pourquoi ? Il en est hors de question !
– Tu n’avais qu’à lire avant de signer. Mais la cupidité, ça en fait tomber plus d’un.
Elle se tut. Il avait sans doute raison. Elle repoussa sa main en remuant son bras, il la lâcha. Elle se remit en équilibre et enfila ses bottines, se retenant de glisser encore.
Il la fixait, toujours sans dire un mot. Elle remarqua que ses chaussures étaient couvertes de vomi et, agacée, elle le lui désigna du doigt.
– Tu aurais pu nettoyer là-haut, ils ont des toilettes.
– Je croyais que tu étais en retard !
Elle se redressa, l’imitant en haussant les épaules.
– Je croyais que tu étais en retard !, Ça pue, en tout cas !
– T’as qu’à pas sentir !
Elle haussait les épaules à nouveau et se remit à descendre, sentant la douleur au genou se raviver à chaque pas.
– Mais avoue que cette clause, c’est complètement con ! Reprit-elle. Il ne répondit toujours pas.
Elle se demandait si, par hasard, il n’était pas responsable de cette clause, mais dans quel but sinon lui gâcher la vie ? Mais pourquoi voudrait-il lui gâcher ?
Elle sortit du bâtiment, et la lumière du soleil, qui jouait à cache-cache avec les nuages l’aveugla.
Elle lui claqua la porte au nez, ce qui sembla l’agacer encore plus.
– J’suis garé par là !
Dit-il en désignant du menton le parking sur sa droite, tout en fermant son blouson.
– Écoute, moi, je suis garée sur l’autre parking.
Répondit-elle froidement en enfilant son manteau, de la fumée sortant de sa bouche à cause du froid glacial.
– Tu conduis ?
– Bien sûr.
– Ils t’ont donné le permis ? Ils n’ont pas eu peur ?
Elle roula des yeux, l’énervement montant en elle, et répondit sèchement :
– Au revoir !
– Écoute, je ne rigole pas ! Tu as signé, on va se marier, tu verras, cinq ans, ça passe vite !
Elle haussait les épaules, un sourire sarcastique étirant ses lèvres alors qu’elle le défiait du regard.
– Et si je refuse, tu penses vraiment que j’ai assez d’argent pour te payer une compensation ?
Elle éclata de rire, un rire sec et amer, presque étouffé par la colère. Elle secoua la tête en écartant les bras, comme pour se libérer d’une absurdité.
– Toi non, mais tes parents ont une belle maison, de belles voitures, eux, ils pourront payer.
– Mes parents ?
Elle sentit son cœur se serrer dans sa poitrine, un frisson de malaise traversa son corps. Mes parents… elle se figea, la gorge serrée. La mention de ses parents la fit vaciller, l’air soudainement lourd autour d’elle.
– Oui, tes parents !
Tout à coup, un vertige la saisit. Elle se pinça les lèvres, essayant de se ressaisir, mais sa tête se mit à tourner. Ses mains, tremblantes, se serrèrent involontairement autour du volant.
Il lui adressa un sourire ironique, presque carnassier, se penchant un peu plus près d’elle, comme s’il savourait sa victoire.
– Ce soir, je vais officiellement demander ta main à tes parents. Ton père sera ravi. On s’entend bien, il m’a même proposé un poste dans son cabinet. Et dans un mois…
Elle cligna des yeux, le souffle court, son esprit en ébullition.
– Pourquoi moi ?
– Pourquoi pas !
Il ne semblait même pas se rendre compte de l’humiliation qu’il lui infligeait. Elle fronça les sourcils, la colère bouillonnant sous sa peau.
– Ce n’est pas une réponse ! lui cria-t-elle, son ton perçant, les lèvres tremblantes d’agacement.
Il éclata de rire, un rire moqueur et dégradant, un rire qui fit écho dans son esprit.
– Tu es encore plus stupide que je ne le pensais ! lui dit-il, secouant la tête, comme s’il était déçu par sa réponse.
Elle ne supportait plus ça. Son corps se tendit, une impulsion dévorante la poussa à le frapper. Mais il fut plus rapide, saisissant son poignet d’une poigne de fer.
– Tu me frappes, je te frappe aussi, mais je n’ai pas la même force que toi ! lança-t-il, un sourire cruel sur les lèvres.
Quelques mois plus tard, le grand jour arriva.Leur bébé était né au printemps. Une petite fille magnifique qu’ils avaient appelée Tricia. Dès son premier cri, Jonathan avait senti son cœur exploser de fierté et Deborah avait compris que plus rien ne pourrait la séparer de sa famille. Leurs nuits étaient courtes, leurs journées remplies, mais chaque sourire de Tricia suffisait à effacer la fatigue.Ils avaient décidé de tenir la promesse faite à l’hôpital : se remarier à l’église, cette fois sans secrets ni contrats. Un vrai mariage, pour dire à tous qu’ils s’aimaient et qu’ils voulaient bâtir leur vie ensemble. Et tant qu’à faire, ils avaient choisi de profiter de cette journée pour faire aussi le baptême de Tricia.L’église était décorée simplement, avec des fleurs blanches et des rubans clairs. Le soleil d’été traversait les vitraux, projetant des couleurs douces sur les murs. Deborah avançait dans l’allée, une robe sobre mais élégante, un bouquet à la main. Jonathan l’attendait, é
Le temps avait fait son manège habituel : des jours qui trébuchent, des semaines qui s’alignent, des rendez-vous qui se cochent. Les murs repeints séchaient encore d’une odeur propre. Sur une chaise, la robe de Deborah attendait, simple et belle, avec ce tombé qui donne aux gestes l’air de phrases bien dites. Le bouquet serait ramassé le matin chez la fleuriste ; la salle paroissiale avait reçu ses chaises, ses nappes et quelques guirlandes obstinément sobres. La maison, elle, brillait d’un désordre rangé : des paniers, des boîtes, un petit sac pour Tricia au cas où.La veille au soir, ils avaient décidé de ne pas voir trop de monde. Pas de répétition générale, pas de flot d’instructions. Juste eux, dans leur salon encore neuf, avec deux tasses et une lampe allumée.— Tu veux réviser tes vœux ? demanda Jonathan en s’asseyant à côté d’elle.— Je ne veux pas apprendre par cœur, répondit-elle. Je veux dire ce que j’ai ici quand je te verrai, dit-elle en posant la main sur sa poitrine. J’
Le dîner chez les parents de Deborah avait la simplicité des grands tournants : une soupe qui fume, du pain, du fromage, un gâteau « parce qu’on ne sait jamais quand on fête ». Sa mère avait dressé la table avec un soin tendre ; son père faisait des allers-retours ridicules entre cuisine et salle à manger comme s’il transportait des archives classées secret-défense.— Vous avez l’air d’avoir fait la paix avec le monde, lança la mère en les voyant entrer.— On a signé un cessez-le-feu, répondit Jonathan.Ils mangèrent d’abord, parce que chez les Miller on ne mélangeait pas les annonces et les assiettes. La conversation s’éparpilla sur des sujets essentiels : la voisine qui avait planté des tomates trop tôt, la municipalité qui changeait encore les horaires de ramassage des poubelles, la radio qui passait trop de musique des années 90.Après le café, Deborah posa sa tasse. Elle avait répété deux fois dans sa tête la version courte. Elle choisit encore plus court.— On veut se remarier à
Le matin avait changé de texture : moins coupant, plus souple. Dans la chambre, Jonathan bouclait son petit sac en toile avec une lenteur prudente, comme si chaque geste pouvait réveiller la douleur. L’infirmière passa une dernière fois, griffonna sur la feuille de sortie, fit une blague sur les casques obligatoires même pour aller acheter du pain, et leur laissa un sourire qui ressemblait à une permission.— Ton fan-club est là, dit-elle en désignant la porte.Dans l’embrasure, le père de Deborah agitait des clés comme un majordome de comédie. Derrière lui, Deborah faisait de la place au pied du lit, mains dans les poches, regard brillant.— Je vous emmène, gendre préféré, lança le père.— J’avais dit que je venais, répliqua Deborah en levant un sourcil.Ils se regardèrent, trois secondes de duel tendre, puis le père fit un pas en arrière.— J’ouvre la voie et je passe acheter du pain. Vous me suivez. Je ne me bats pas avec une fille qui vient de retrouver son mari.Jonathan rit et s
Le hall brillait d’une lumière propre, presque crue, qui rendait les couleurs trop franches : le vert d’eau des murs, l’orange usé des chaises, le bleu des blouses. Deborah prit le couloir qu’elle connaissait déjà, comptant les pas comme la veille, mais le tempo était différent. Moins de précipitation, plus de tenue. Elle se surprit à dire bonjour au garde au bout du couloir, au distributeur qui clignotait, à la dame au chariot de thé qui passait en bruissant.Devant la porte de la chambre, elle marqua une pause. Sa main sur la poignée, son front contre le bois, une inspiration, et elle entra.Jonathan était assis, demi-redressé, un coussin calé dans le dos. Les rideaux ouverts laissaient le soleil glisser jusqu’au pied du lit, et sa peau avait repris cette couleur chaude qui lui allait. Il la vit et un sourire lui coupa le visage en deux, celui qui l’avait accrochée un jour sans prévenir.— Tu es là, dit-il, comme si c’était un événement.— Je suis là, répéta-t-elle, comme si c’était
Le matin s’installa sur la maison parentale comme une couverture claire. La lumière filtrait en bandes pâles à travers les rideaux de la chambre d’ado, caressant les affiches délavées et les cadres photo un peu de travers. Deborah ouvrit les yeux sans sursaut, et ça, déjà, c’était nouveau. Pas de cauchemar, pas de cœur au bord des lèvres. Juste ce silence familier qu’elle reconnaissait les yeux fermés : un vieux plancher qui craque, le ronronnement discret du frigo, une cuillère qui tinte contre une tasse dans la cuisine.Elle resta allongée une minute, mains posées sur son ventre. Là, dans ce creux chaud, tout devenait simple. La veille, elle avait dormi comme on tombe, d’un seul bloc, après des jours de tension compacte. Et ce matin, il y avait de la place pour respirer.Sous la douche, elle laissa l’eau glisser longtemps, jusqu’à sentir ses épaules s’abandonner — pas une reddition, plutôt une paix provisoire signée entre son corps et son esprit. Elle enfila le vieux peignoir lilas