L’odeur du café fraîchement moulu se glissait doucement dans le couloir. La vieille cafetière du père Carter grinçait sur le comptoir, fidèle à lui-même. Dans la cuisine, Graham lisait son journal local comme tous les matins, en marcel et chaussettes dépareillées. Mais son regard restait rivé à la porte du salon.
Grayson Blackwell dormait — enfin, reposait — sur le vieux canapé qui grinçait à chaque respiration. Une couverture militaire sur les jambes. Sa veste pliée en coussin. Le feu dans la cheminée s’était éteint depuis longtemps, ne laissant qu’un peu de cendre tiède.
Il ouvrit un œil. Puis l’autre.
Son corps le rappelait à l’ordre : tension dans les épaules, une vieille douleur au flanc gauche, et un goût métallique au fond de la gorge. Ce n’était pas une nuit, c’était un interrogatoire de ses propres démons.
Son rêve… ou plutôt son cauchemar… revenait par vagues.
Des coups de feu dans un couloir étroit. Un cri étouffé. Du sang sur ses mains. Et cette silhouette au fond du couloir, à contre-jour. Jade, les yeux vides.
Il passa une main sur son visage, se redressa lentement.
— Vous faites toujours ce genre d’entrée dramatique dans la vie des gens ? demanda une voix douce, un brin sarcastique.
Jade était appuyée contre l’encadrement de la porte, un bol de café fumant entre les mains. Cheveux ébouriffés, débardeur gris, jean élimé. Fraîche… et clairement déjà réveillée depuis un moment.
Grayson se racla la gorge.
— J’ai connu des accueils plus hostiles.
— Et moi des clients plus polis, rétorqua-t-elle en lui tendant le café. Tenez, l’homme en costard qui dort dans le salon mérite au moins ça.
Il prit le bol sans la quitter des yeux.
— Merci.
Elle s’installa sur le fauteuil en face, relevant ses jambes sous elle. Un silence étrange s’installa.
Grayson finit par murmurer :
— J’ai rêvé de vous, cette nuit.
Elle haussa un sourcil.
— Charmant. D’habitude, les types attendent un peu plus longtemps avant de me sortir celle-là.
— Ce n’était pas ce genre de rêve.
Elle attendit.
— Vous étiez morte.
Un silence.
Jade le regarda. Longtemps. Puis répondit :
— Eh bien, je suis plutôt coriace. Je meurs pas facilement.
Un sourire naquit sur ses lèvres, mais il était fragile. Presque triste.
Elle ajouta, plus bas :
— Vous avez déjà perdu quelqu’un, hein ?
Il la fixa.
— Plusieurs.
Elle hocha la tête, comme si ça expliquait ce qu’elle avait deviné en lui. Comme si elle voyait derrière son costume trop parfait, derrière sa mâchoire tendue et ses règles de fer.
Graham entra alors dans la pièce, brisant l’échange avec sa voix bourrue :
— Le café est prêt. Si vous restez plus longtemps, va falloir payer le loyer, monsieur Blackwell.
Grayson répondit du tac au tac, plus à l’aise :
— J’ai connu des propriétaires plus raisonnables.
Graham sourit en coin, mais ses yeux restaient méfiants.
— Vous avez l’air du genre à attirer les ennuis, monsieur. J’espère que ma fille ne s’est pas retrouvée mêlée à quelque chose qu’elle va regretter.
Grayson croisa le regard de Jade. Elle ne disait rien.
— Je vous le promets, dit-il. Personne ne s’en prendra à elle. Pas tant que je serai dans les parages.
Graham le jaugea encore un instant, puis disparut dans la cuisine.
Jade soupira doucement.
— Vous parlez toujours comme un agent du FBI ?
— Je parle comme un homme qui ne sous-estime plus jamais ses ennemis.
Elle se leva, vide le bol dans l’évier.
— Vous feriez mieux de manger quelque chose. Knox va sûrement vous rappeler d’une seconde à l’autre.
Grayson se redressa lentement, alors que son téléphone vibrait dans la poche intérieure de sa veste.
Elle avait raison.
Dans la cuisine, le grille-pain grésillait doucement. Jade était accoudée au comptoir, une assiette vide devant elle, les doigts autour d’un mug tiède. Son père rinçait quelques assiettes, comme chaque matin, mais ses gestes étaient un peu plus secs que d’habitude.
Le silence était… inhabituel.
Enfin, Graham Carter essuya ses mains sur un torchon, se retourna et la fixa.
— Il compte rester longtemps, ce type ?
Jade ne releva pas les yeux tout de suite.
— Non, papa. Il était en panne, je l’ai trouvé sur la route. Tu aurais vu sa bagnole !
— J’ai vu un mec en costard dormir dans mon salon, ouais. Et une tache de sang sur sa chemise. Tu veux que je joue au con ou t’es prête à m’expliquer ce qui se passe vraiment ?
Elle soupira.
— Il était suivi. Et… ça s’est mal fini.
— "Mal fini" ?
— J’ai dû agir. C’était lui ou nous.
Graham la fixa longuement. Son visage se crispa. Il s’approcha et s’assit en face d’elle.
— T’as tué quelqu’un, Jade ?
Elle ne répondit pas tout de suite. Son regard dériva vers la fenêtre, là où la silhouette de Grayson se découpait au téléphone, dans le jardin.
— J’ai protégé ma vie, papa. Et la tienne, aussi.
— Bordel…
Il passa une main sur son front, secoué.
— Et lui, ce Grayson… c’est qui au juste ? T’es tombée sur un mafieux, un espion ? Un vendeur d’armes ? Il a des allures de type qu’on voit dans les films, ceux que tu veux pas croiser dans la vraie vie.
Elle sourit malgré elle.
— C’est pas un vendeur d’armes. Enfin… je crois pas. Il dirige une grosse boîte de sécurité. Un de ces types qui veut tout contrôler.
— Et toi, tu détestes qu’on te dise quoi faire.
Il la fixa encore. Il la connaissait trop bien.
— Alors pourquoi il est encore là, Jade ? Pourquoi tu le laisses entrer chez nous ? Dormir dans le salon où ta mère lisait ses contes pour enfants ?
Elle serra la mâchoire. Quelque chose se brisa un peu dans sa voix.
— Parce que j’ai pas eu peur, papa. Pas une seconde. Même quand j’ai vu l’arme, même quand j’ai senti que ça allait mal tourner. Et je crois que c’est à cause de lui.
Graham ne répondit pas.
Jade le regarda dans les yeux.
Le vieux Carter hocha lentement la tête, puis se leva.
— Tant qu’il ne te fait pas de mal, je dis rien. Mais s’il pose un doigt sur toi, Jade, même par accident…
— Je sais, papa.
— Je le démonte. Avec la clé à molette de ta mère.
Un silence.
Jade sourit faiblement.
— T’es le meilleur, tu sais ?
Il grogna en ouvrant le frigo.
— Je sais. Et maintenant, passe-moi les œufs. Ton petit mafieux va avoir faim, j’imagine.
Ils rirent ensemble. Un peu nerveusement. Mais ça faisait du bien.
Dans le jardin, Grayson raccrochait, les sourcils froncés. Knox venait de lui confirmer quelque chose de grave.
Je m’étais installée à l’établi avec Milo, penchée sur le moteur qu’ils avaient ouvert. Dès que mes yeux ont glissé sur le bloc, une sensation étrange m’a parcouru l’échine. Ce moteur… je le connaissais.— Attendez une minute… C’est un M8 biturbo, non ? Série spéciale, monté sur mesure ?— Exact, répondit Milo. C’est celui de la Bugatti du boss. On l’a reçu ce matin.Je me redressai, le cœur battant.— Ce moteur… c’est celui que j’ai vu en panne sur le bord de la route. Quand j’ai… quand je suis tombée sur Grayson pour la première fois.Riko leva un sourcil.— Sérieux ?— Très sérieusement, répondis-je, en enfilant mes gants. Laissez-moi voir les injecteurs.Je m’approchai du système d’injection et, très vite, je vis ce que je redoutais.— Regardez ça. Cette fissure au niveau du régulateur. Elle n’est pas naturelle. Et ces dépôts ? Ils ont été introduits après l'assemblage. Il y a eu sabotage.Un silence s’installa dans l’atelier. Riko s’approcha pour vérifier.— Merde… t’as raison. C
Je tournais dans les couloirs depuis dix bonnes minutes, avec mon badge autour du cou et ma dignité qui s’effilochait à chaque détour. J’avais beau être une mécanicienne expérimentée, cette foutue tour Blackwell me donnait l’impression d’être une apprentie paumée dans un labyrinthe géant.— Besoin d’un GPS ? lança une voix masculine avec un petit rire derrière moi.Je me retournai, déjà prête à sortir un sarcasme, puis je reconnus John Weston. Le bras droit de Grayson. Son costume était impeccable, mais ses yeux avaient ce quelque chose de plus… chaleureux.— Je cherche l’atelier mécanique, marmonnai-je, un brin gênée.Il esquissa un sourire.— L’antre des vrais cerveaux de cette boîte, hein ? Viens, c’est un peu planqué.Il m’ouvrit des portes sécurisées, me guida dans un ascenseur privé, puis on descendit d’un étage qui ne ressemblait à rien de ce que j’avais vu plus haut. Fini le luxe marbré et les talons qui résonnent. Ici, ça sentait l’huile, le métal et le travail. J’adorais.—
Je n’aurais jamais cru qu’un simple trajet en voiture finirait comme ça. Enfin… pas vraiment "simple". J’avais joué avec le feu. J’avais vu la tension dans ses yeux, j’avais senti le fil prêt à rompre. Et pourtant, j’ai continué. Insolente. Curieuse. Trop vivante, peut-être.Mais quand il a tourné brusquement dans ce parking souterrain et qu’il a garé la Bugatti dans un coin sombre… mon cœur s’est mis à battre plus vite. Je savais ce que j’avais déclenché. Et je n’ai pas fui. J’en avais envie. De lui. De nous.Quand il m’a soulevée sans un mot et que je me suis retrouvée à califourchon sur lui, j’ai cessé de respirer. Juste un instant. Il me regardait comme si j’étais à lui. Comme s’il allait me dévorer. Et je crois que c’est ce qui
Je savais que ce n’était pas raisonnable. Que chaque seconde où elle restait sur mes genoux sans ce contrat signé était une invitation au chaos. Mais à cet instant, la seule chose raisonnable à faire… c’était de la prendre. Là, maintenant. Dans ce parking souterrain, loin des regards, mais si près de la folie.Ses mains tremblaient un peu lorsqu’elle a défait ma ceinture, comme si elle découvrait quelque chose de sacré. Mais son regard… Mon Dieu, son regard. Il me transperçait. Elle me provoquait, sans même en mesurer les conséquences. Et moi, j’étais perdu. Dès qu’elle s’est glissée sur moi, j’ai su que je ne pourrais plus jamais reculer.La chaleur de son corps, la façon dont elle s’accrochait à mes épaules, dont elle enfouissait son visage dans mon cou en retenant ses gémissements… Je l’ai tenue fermement par la taille, imprimant son rythme au mien. Mon souffle était court. Mon cœur battait trop vite.Quand je me suis enfoncé en elle, c’était comme revenir à la vie. Chaque va-et-vi
Le moteur de la Bugatti ronronnait doucement sur la route.Jade était assise à côté de moi, les jambes croisées, le regard tourné vers la ville qui défilait. Mais elle n’était pas silencieuse. Oh non. Elle me testait. Depuis qu’on avait quitté la maison, elle posait question sur question… avec cet air faussement naïf, et cet éclat espiègle dans les yeux qui me rendait fou.— Alors, dit-elle en grignotant un bonbon pioché dans la boîte entre nous, dans le BDSM… les punitions, c’est comment ? Tu utilises un fouet ? Ou c’est plutôt les fessées ? Tu préfères faire mal ou donner du plaisir ? Ou les deux ?… Grayson ?Je serrai la mâchoire. Mes mains se crispèrent sur le volant.Cette fille…Elle savait très bien ce qu’elle faisait. Sa voix était douce, joueuse. Sa cuisse se balançait nonchalamment, et chaque fois qu’elle prononçait le mot soumise, c’était comme si elle plantait un ongle invisible dans ma peau.Je jetai un coup d’œil vers elle. Elle me regardait avec un sourire innocent qui
Je descendais les escaliers avec un nœud dans le ventre.Pas de tailleur aujourd’hui.Pas d’uniforme Blackwell.Juste moi.Un jean taille haute, un chemisier crème noué à la taille et mes baskets blanches que Grayson regarde toujours avec une légère grimace… mais qu’il tolère vaillamment. Je sentais encore le parfum du shampoing dans mes cheveux, et mes joues étaient un peu trop roses pour que ce soit seulement à cause du soleil matinal.J’allais prendre le petit déjeuner avec lui.Je m’attendais à une table froide, à un majordome coincé et à du café trop amer.Mais non.Grayson était là. Déjà assis.Et il m’attendait.Il leva les yeux de son téléphone quand j'entrai, et un sourire — un vrai, un discret, un de ceux qu’il cache comme un secret d’État — effleura ses lèvres.— Bonjour, murmura-t-il, d’une voix grave, un peu enrouée.Je crois que je bredouillai quelque chose. Un "salut" mal articulé, étouffé par le bruit de mon cœur qui cognait plus fort qu’un marteau-piqueur.La table ét
JadeJe m’étais regardée dans le miroir au moins huit fois. Peut-être neuf. Ou douze. J’avais perdu le compte après avoir changé trois fois de rouge à lèvres. J’étais censée dîner avec Grayson Blackwell. Mon MARI. L’homme glacial, dominant, mystérieux. Et… potentiellement un espèce de dominant sexuel qui voulait m’enchaîner via un contrat de soumission.J’étais complètement paniquée à l’idée de le revoir en tête à tête. Mon cœur jouait du tambourin dans ma poitrine comme si j’allais passer un casting pour le prochain James Bond.Quand Hattie m’a menée jusqu’au jardin privé, j’ai bien cru que je venais de tomber dans un film de princesse. Pas une princesse Disney, hein. Une princesse Blackwell : avec bougies suspendues, guirlandes de fleurs, violoniste caché derrière un buisson et table dressée comme dans un restaurant cinq étoiles.Grayson était déjà là. Costume noir impeccable. Regard brûlant. Et surtout… il souriait. Un tout petit sourire, à peine là. Mais suffisant pour me faire ou
Je suis restée plantée là, devant l’écran du Zenbook, les doigts figés sur le clavier comme si j’avais ouvert la boîte de Pandore.Je relisais encore cette fichue définition."Dans une relation D/s (Dominant/soumise), la soumission est un acte volontaire. Le pouvoir est donné, jamais pris. Une soumise offre sa confiance, ses limites, son corps, et parfois son cœur. Et le dominant… lui appartient."Un frisson m’a parcourue. Littéralement.C’est une blague, hein ? Une caméra cachée ? C’est quoi ce délire encore ? Il veut que je sois quoi ? Sa soumise ?! Genre… littéralement ?!J’ai cliqué sur un lien. Puis un autre. Et encore un. Les sites s’ouvraient en cascade, les mots me sautaient aux yeux : consentement, domination, confiance absolue, rituels, reddition volontaire. Et moi, j’étais là, comme une idiote, les joues en feu, le cœur battant à m’en fendre la poitrine.Et c’est là que ça a vrillé.J’ai lancé une vidéo. Un couple, banal en apparence. Pas des fous furieux. Juste… humains. I
Grayson ne tenta pas de rattraper Jade cette fois.Au lieu de cela, il sortit son téléphone et murmura à son chauffeur, d'une voix sourde :— Ramène-la à la maison.Dans la voiture, Jade garda les yeux rivés au dehors, les bras croisés contre elle-même. Pas une larme ne coula. Pas un mot. Elle était vidée.Quand elle arriva à la résidence, Hattie l’attendait déjà à la porte. Elle comprit immédiatement l’état de Jade. Elle n’avait pas besoin d’explication.— Viens, ma chérie. Viens dans mes bras.Jade s’effondra contre elle. Elle se laissa porter, comme un enfant.Elles s’installèrent dans le salon, près de la cheminée. Le feu n’était pas allumé, mais l’ambiance était douce, presque maternelle.— Hattie… souffla Jade. Je crois… que je suis tombée amoureuse de lui.Hattie l’enlaça un peu plus fort, silencieuse.— Et lui… il ne sait pas aimer. Il m’a dit qu’il ne pouvait aimer qu’à travers un contrat. Qu’il fallait que je devienne sa soumise pour qu’il m’appartienne, corps et âme. Tu te