PVD de Paula
Le bruit des machines, les pas pressés du personnel, les murmures étouffés dans les couloirs… Tout m'agresse alors que je marche vers la chambre de ma mère. Je connais ce couloir par cœur. Mais aujourd’hui, il me semble plus long et plus lourd. Je pousse doucement la porte. Maman est là, allongée sur le lit, une perfusion au bras, des électrodes collées sur sa poitrine. Ses yeux s’ouvrent à mon approche. Elle tente un sourire. Mon cœur se rechauffe de joie en la voyant. ___ Hola, mi amor… Je m’approche d’elle en silence, essayant de contenir la boule dans ma gorge. Je prends sa main dans la mienne. ___ Tu m’as fait peur, mamá. ___ Je suis désolée… Elle ferme les yeux une seconde, sa respiration reste saccadée, mais elle est plus régulière. Je me force à sourire, à lui transmettre un calme que je ne ressens pas du tout. ___ Tout va bien maintenant. Tu es entre de bonnes mains. Les médecins vont prendre soin de toi. Mais je vois bien qu’elle me lit comme un livre ouvert. Son regard se voile. ___ Paula… murmure-t-elle. Dis-moi la vérité. Qu’est-ce qu’ils ont dit ? Je serre un peu plus sa main. Je voudrais mentir. Lui dire qu’il s’agissait juste d’un malaise, qu’elle sortira demain, qu’on rentrera à la maison et qu’on reprendra notre routine. Mais je ne peux pas. Elle mérite la vérité. Et je suis fatiguée de porter tout ça seule. Je détourne légèrement mon regard avant de lui répondre. ___ Ils doivent faire des examens. Des examens coûteux. Je marque une pause, le regard fixé sur le drap. Ils pensent que c’est peut-être une maladie pulmonaire. Ils ne savent pas encore. Un silence. Puis je la sens tirer doucement sur ma main. Je reporte mon attention sur elle. ___ Je suis désolée, Paula… Je relève les yeux. Elle les a fermés, mais une larme coule le long de sa tempe. Je ressens un pincement au cœur, je me mords la lèvre jusqu'à la douleur. ___ Arrête… Mamá, ce n’est pas ta faute. ___ Mais si ! Elle ouvre les yeux, remplis de chagrin. ___ Depuis des années, je suis un poids pour toi. Tu devrais vivre ta vie, sortir, avoir des rêves. Et à la place, tu es coincée avec moi. À courir pour mes médicaments, à jongler avec les factures… Je secoue la tête, mais avant que je ne puisse répondre, Jimena entre dans la chambre avec un petit sourire et une barquette de fraises qu’elle a dû acheter à la cafétéria. ___ Vous êtes sérieusement en train de dire des bêtises pendant que je suis absente ? demande-t-elle en s’approchant du lit. Maman esquisse un sourire coupable. Jimena pose la barquette sur la table de chevet, puis s’approche et prend la main libre de ma mère. ___ Carmen, personne ne souhaite tomber malade. Personne ne choisit de souffrir. Ce n’est pas votre faute. Et surtout, ce n’est pas à vous de vous excuser. On est là. Toutes les deux. Et on va gérer ça ensemble. Je hoche lentement la tête, les larmes aux bords des yeux. Jimena a toujours su trouver les bons mots. J'aime dire que si l'amitié était une personne, elle serait Jimena. ___ Vous devez vous reposer maintenant, ajoute-t-elle tendrement. ___ Je suis fatiguée… murmure maman, les yeux mi-clos. ___Alors reposez-vous. On reviendra demain matin. Je me penche pour embrasser sa joue. Elle me caresse doucement les cheveux, comme elle le faisait quand j’étais petite. Ce geste, si familier, me brise un peu plus le cœur. ___ Je t’aime, Paula. ___ Moi aussi, mamá. Plus que tout. Dans le couloir, je me laisse tomber sur le banc le plus proche. Le néon au-dessus de ma tête grésille légèrement. Jimena s’installe à côté de moi. ___ Elle est forte, dit-elle en croisant les bras. Elle va s’en sortir. Je reste silencieuse un moment, le regard perdu sur le carrelage blanc. ___ Il faut que je trouve un deuxième boulot. Jimena tourne la tête vers moi, les sourcils froncés. ___ Quoi ? Paula, tu travailles déjà à l’hôpital à temps plein. Tu fais des gardes de nuit. Tu dors à peine. Tu veux te tuer à la tâche ? ___ Tu l’as entendu comme moi. Les examens ne sont pas pris en charge. Je ne peux pas attendre que le miracle tombe du ciel. Je dois agir. Je n’ai pas d’alternative. Elle soupire, visiblement inquiète. ___ Tu pourrais peut-être demander un prêt, non ? Je secoue la tête aussitôt. ___ Tu crois que les banques prêtent à une aide-soignante sans économies, avec des retards de loyers et des médicaments à payer tous les mois ? Non. Je n’ai ni garantie, ni proches assez riches pour me soutenir. Et je ne veux pas m’endetter pour que maman se sente encore plus coupable. Jimena se mord la lèvre, visiblement à court d’arguments. Elle sait que j’ai raison. Personne pour nous tendre la main. Personne sur qui compter. Alors, je n'ai pas d'autres choix que de me trouver un second boulot. ___ D’accord. Laisse-moi parler à Lucas. Je la regarde, intriguée. ___ Ton copain ? ___ Oui. Le bar où il bosse cherche peut-être une serveuse pour les soirs ou les week-ends. C’est pas un job de rêve, mais ça paye au noir, et t’auras au moins un petit plus chaque mois. Je pose ma main sur son bras, émue. ___ Tu ferais ça pour moi ? ___ Tu me poses sérieusement la question ? Elle me lance un regard de travers. ___ Évidemment que je vais le faire. On est une équipe, Paula. On a toujours été une équipe. Si je pouvais même, je t'aiderai plus que ça. Mais... Je lui souris, fatiguée, mais pleine de gratitude. ___ Merci. Elle me donne un petit coup d’épaule. ___ Ne me remercie pas maintenant. Attends d’avoir servi des bières à des ivrognes madrilènes le vendredi soir. On rit doucement, mais ce rire est fragile, tremblant, né sur les cendres d’une journée trop lourde. Pourtant, dans ce couloir glacé, entre les murs d’un hôpital trop familier, je sens une étincelle naître. Je ne sais pas encore que ma vie va basculer. Mais je suis prête à tout pour ma mère. Même à vendre mon temps, mon énergie… ou peut-être plus encore. Jimena regarde sa montre. Elle doit partir pour son prochain service, mais elle reste figée là, à côté de moi, comme si elle n’osait pas me laisser seule dans ce couloir vide, saturé de silence et d’odeurs de désinfectant. Finalement, elle me serre dans ses bras. ___ Je t’écris dès que je parle à Lucas, d’accord ? Tu te reposes un peu entre-temps, hein ? Je hoche la tête sans conviction. Me reposer ? Je ne sais même plus ce que ce mot signifie. Depuis combien de temps je vis comme ça ? En apnée ? À courir, à économiser, à survivre sans jamais vivre ? J’ai perdu la notion du calme. Du vrai calme. ___ Et tu promets que tu ne fais rien de stupide, ajoute-t-elle en me fixant droit dans les yeux. ___ Promis. Elle sait que je mens. Et moi aussi. *** Je retourne m’asseoir seule dans la salle d’attente. L’énergie m’a quittée. Mon corps est là, posé sur une chaise, mais mon esprit vagabonde loin, très loin de ces murs. Je pense à tout ce que j’ai sacrifié. Aux études que j’ai mises de côté. À l’envie que j’avais, à dix-huit ans, de devenir infirmière spécialisée. Je me suis contentée du poste d’aide-soignante parce qu’il me permettait de travailler rapidement. D’apporter un salaire. D’assurer le minimum vital. Je pense à mes collègues, à leurs plaintes, à nos blagues partagées pendant les pauses café. À toutes ces vies que je soigne chaque jour, alors que je suis incapable de prendre soin de la seule personne qui compte pour moi. Je pense à maman. Je repense à son sourire quand je lui ai dit que j’avais eu mon premier salaire. À ses larmes quand j’ai payé notre première facture d’électricité toute seule. À ses silences aussi, ces derniers mois. À sa fatigue, à sa voix de plus en plus faible. Un sanglot monte dans ma gorge, mais je le ravale. Je ne peux pas me permettre de craquer encore. J’ai pleuré aujourd’hui. Assez. Il est temps de réfléchir. Mon téléphone vibre, je me redresse légèrement et jette un œil sur mon téléphone. Un message de Jimena : "J’ai parlé à Lucas. Il te trouve un créneau cette semaine. Pas trop lourd au début. Il a dit qu’il te formera lui-même. Courage ma belle." Je souris malgré moi. Un sourire court, fatigué. Mais sincère. Jimena est cette lumière que je n’ai jamais méritée, mais qui refuse de s’éteindre. Elle est mon pilier. Et ce soir, elle vient de m’offrir une petite bouée au milieu de cette tempête. Je tape une réponse : "Merci. Je suis chanceuse de t’avoir. Je t’aime fort." Je glisse le téléphone dans ma poche et je regarde l’heure. 22h passées. Je me lève. Je vais rester à l’hôpital ce soir. Près de maman. Même si je ne suis pas autorisée à dormir dans sa chambre, je resterai ici. Juste au cas où. Je m’installe dans le petit coin réservé aux familles. Un vieux canapé grinçant, un distributeur de boissons qui fait un bruit assourdissant, et une lampe qui clignote par intermittence. Ce n’est pas confortable, mais je m’en fiche. Je suis à quelques mètres d’elle, et c’est tout ce qui compte. Je m’allonge, bras croisés sur la poitrine, et je ferme les yeux. Je m’endors avec une seule idée en tête : je dois trouver l’argent. Peu importe comment. Peu importe à quel prix. Et c’est peut-être cette nuit-là… dans cet hôpital… entre fatigue, douleur et désespoir, que ma vie a commencé à basculer.Point de vue de l'auteureLa nuit est déjà bien entamée quand Nicolas quitte le bar. Le souffle court, les nerfs à vif, il monte dans sa jeep sans un mot. Il ne démarre pas tout de suite. Il serre le volant avec force, laissant ses pensées tourner en boucle dans sa tête. La gifle brûle encore sur sa joue, mais ce n'est rien comparé à l'amertume qui lui noue la gorge. Il a foiré. Vraiment foiré.Quelques minutes plus tard, il se retrouve dans l’appartement d’Andres, son ami de longue date. Ce dernier, assis sur le fauteuil en jogging, une canette à la main, l'accueille avec un regard surpris.___ Qu’est-ce que tu fais là ? T'avais pas un rendez-vous ce soir ?Nicolas s'affale sur le canapé, l'air accablé.___ Si. Enfin... C’est compliqué.___ Paula ?Un hochement de tête suffit à répondre. Nicolas passe une main sur son visage, souffle longuement, puis résume toute la scène d’une voix monotone : la rencontre après le boulot, la discussion, la proposition... et la gifle.
PVD de PaulaLa nuit est tombée depuis longtemps. Le bar s’est peu à peu vidé, ne laissant derrière lui qu’un silence étrange et le parfum collant de l’alcool renversé. Mes bras sont lourds, mes jambes douloureuses après des heures de service, mais ce n’est pas la fatigue qui me pèse le plus.C’est lui. Il est là, je le sais. Je l’ai vu depuis l’intérieur, posté devant sa voiture, adossé contre sa jeep noire aux vitres teintées, les bras croisés sur le torse, comme une scène de film trop bien mise en scène. Il ne fait rien. Il attent tranquillement. Comme si c’était normal.Je serre les dents, ravale l’amertume qui me remonte à la gorge, et sors du bar. L’air frais me gifle doucement le visage. Je marche jusqu’à lui d’un pas ferme. Pas de place pour l’hésitation. Pas de place pour l’émotion. Je dois garder la tête froide. Surtout après ce qui s'est produit entre nous.Quand j’arrive à sa hauteur, il redresse la tête et me fixe, un sourire discret sur les lèvres. Je ne lu
PVD de PaulaLe bruit familier du rideau métallique du bar qu’on relève me serre la poitrine. J’inspire profondément, plaque une main sur mon ventre noué, et tente de calmer le tumulte en moi. C’est mon premier soir depuis… depuis lui. Je n’aurais jamais cru que remettre les pieds ici serait si difficile.Avant de partir, j’ai embrassé maman sur le front. Elle s’endormait paisiblement devant une rediffusion de sa série préférée. J’ai fermé doucement la porte derrière moi, espérant que cette nuit au bar passerait vite.Mais dès que j’arrive sur le trottoir, je sens les regards. Des clients assis dehors me fixent, certains avec curiosité, d’autres avec une lueur de moquerie mal dissimulée. Je pousse la porte vitrée du bar, mon badge en main, mon cœur battant à tout rompre.À l’intérieur, l’ambiance est déjà chargée. Des rires, des éclats de voix, le cliquetis des verres. Un vendredi soir banal, sauf que rien ne l’est pour moi ce soir. Les regards m’assaillent dès que
PVD de PaulaCela fait cinq jours que je n’ai pas remis les pieds au bar. J’ai prétendu être malade. Un mensonge glissé dans un souffle, entre deux silences lourds, que Lucas a accepté sans poser de questions. Il a même insisté pour que je prenne quelques jours, ce que j’ai fait sans discuter. Trop de choses tournent dans ma tête depuis cette nuit-là.Depuis… Nicolas.Je n’arrive pas à croire ce que j’ai fait. Coucher avec un inconnu. Moi, Paula, toujours méfiante, toujours prudente, toujours sur mes gardes… je me suis abandonnée. Juste parce qu’il a su m’écouter, me regarder, me parler. J’ai été faible. Et maintenant, je me sens vide.Je profite de cette journée de repos de mon autre boulot, celui d’aide-soignante, pour rester à la maison avec maman. Elle regarde une série mexicaine dans le salon, complètement absorbée, pendant que je termine les tâches ménagères. Balai, serpillière, lessive. Tout y passe. Mon corps s’active, mais ma tête est ailleurs.Je me réfugi
PVD de Nicolas La lumière qui filtre à travers les rideaux me brûle les paupières. J’ai la tête lourde, la bouche pâteuse. Je grogne, tourne la tête sur l’oreiller, cherche à fuir la clarté du matin. Mon crâne cogne doucement, comme si des tambours africains avaient décidé de jouer un concert privé dans ma boîte crânienne.Putain, l’alcool.Je respire lentement, et c’est là que tout me revient.Les larmes. Le banc. Le baiser. Le corps chaud et tremblant de Paula contre le mien. Ses soupirs, sa peau, son parfum mêlé au mien dans les draps.Je rouvre les yeux, un sourire paresseux étirant mes lèvres. Je n’avais pas prévu ça. Pas prévu qu’une inconnue devienne un souvenir aussi marquant en une seule nuit. Pas prévu de ressentir ce genre de truc. De cette façon.Je tends la main vers l’autre côté du lit et constate quil est vide. Je fronce les sourcils, me redresse. Le lit est froissé mais désert. Aucune présence. Aucune chaleur résiduelle.___ Paula ?Silence. Je j
PVD de PaulaJe regarde l'heure pour la énième fois. Mon téléphone affiche 09h27. Mon cœur bat un peu plus vite à chaque minute qui passe. Maman est assise à mes côtés, silencieuse, les mains croisées sur son sac. La salle d'attente est calme, trop calme. Une odeur de désinfectant flotte dans l'air, mêlée à celle du café tiède que je n'ai pas eu le courage de terminer.On a enfin pu venir à cette clinique grâce à mes deux salaires. Ceux de l’hôpital et du bar. Un miracle. Un épuisant, douloureux, mais précieux miracle. Le médecin nous a dit de revenir pour les résultats. Alors on attend.Je jette un coup d'œil à ma mère. Elle tente de garder bonne figure, mais je vois bien qu'elle est à bout de forces. Son teint est pâle, ses joues un peu creusées. Pourtant, elle me gratifie d’un petit sourire. Toujours ce sourire, comme pour me protéger. Comme si elle voulait me dire que tout ira bien.Je me lève.___ Je vais chercher les résultats. Tu veux m'attendre ici, m