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last update Last Updated: 2025-07-15 23:13:39

                          PVD de Paula

Je regarde l'heure pour la énième fois. Mon téléphone affiche 09h27. Mon cœur bat un peu plus vite à chaque minute qui passe. Maman est assise à mes côtés, silencieuse, les mains croisées sur son sac. La salle d'attente est calme, trop calme. Une odeur de désinfectant flotte dans l'air, mêlée à celle du café tiède que je n'ai pas eu le courage de terminer.

On a enfin pu venir à cette clinique grâce à mes deux salaires. Ceux de l’hôpital et du bar. Un miracle. Un épuisant, douloureux, mais précieux miracle. Le médecin nous a dit de revenir pour les résultats. Alors on attend.

Je jette un coup d'œil à ma mère. Elle tente de garder bonne figure, mais je vois bien qu'elle est à bout de forces. Son teint est pâle, ses joues un peu creusées. Pourtant, elle me gratifie d’un petit sourire. Toujours ce sourire, comme pour me protéger. Comme si elle voulait me dire que tout ira bien.

Je me lève.

___ Je vais chercher les résultats. Tu veux m'attendre ici, maman ?

Elle hoche doucement la tête.

___ Oui, ma chérie. Va, je t’attends.

Je prends mon sac et me dirige vers le comptoir, mon cœur tambourinant dans ma poitrine. Je suis à peine à mi-chemin quand une voix m'interpelle :

___ Paula ?

Je me retourne brusquement et l'avise. Je le reconnais aussitôt. Les cheveux noirs et courts, un peu grand de taille, les yeux verts. Sergio Alvaro. Le fils du directeur de l’hôpital où je travaille. Je le reconnaîtrais entre mille, même en blouse ou sans son air hautain habituel. Mais là, il n’a rien d’arrogant. Juste surpris. Peut-être même un peu inquiet.

___ Qu’est-ce que tu fais ici ?

Je serre la lanière de mon sac.

___ Ma mère est malade et nous avons eu à faire des examens. Maintenant, on attend les résultats.

Son visage se referme légèrement, une ombre passe dans son regard. Il s’approche, plus doucement.

___ Je suis désolé. Vraiment.

Contre toute attente, il me prend dans ses bras. C’est bref, maladroit, mais sincère. Je reste figée un instant, surprise par ce geste. Puis je me recule légèrement, gênée. Sergio et moi, nos rapports sont très limités.

___ Je vais bien, je… Je tiens le coup.

Il me regarde intensément, comme pour deviner si je mens.

___ Tu veux que je t’accompagne pour les résultats ?

___ Non. Merci, Alvaro. C’est gentil, mais je préfère y aller seule.

Il semble hésiter, puis finit par hocher la tête, respectueux.

___ D’accord. Mais si tu as besoin de quoi que ce soit…

___ Merci.

Il me laisse partir. Je me retourne vers le guichet, le cœur alourdi. Le médecin me fait entrer dans son bureau sans trop attendre. Il a ce regard compatissant que je déteste. Celui qu’on réserve à ceux qu’on s’apprête à briser.

___ Mademoiselle Delgado. Asseyez-vous.

Je m’exécute, les mains moites, le souffle court.

___ Votre mère souffre d’une maladie cardiaque avancée. Très avancée. Il va falloir un suivi médical immédiat. Sans quoi, son état pourrait empirer rapidement.

Je reste silencieuse. Ma gorge se noue.

___ Ce traitement implique des examens réguliers, des médicaments, peut-être même une opération si son cœur s’affaiblit davantage. Et… c’est coûteux, je préfère vous prévenir.

Je hoche la tête, incapable de parler. Il me tend les résultats. Je les prends, mécaniquement. Mes doigts tremblent. Je me lève, bredouille un merci, et quitte son bureau.

Je traverse le couloir comme un fantôme. Je passe devant maman et lui dis que je dois partir au travail, que je l’appellerai plus tard. Elle prendra un taxi pour rentrer. Ma mère me regarde, inquiète, mais je n’attends pas sa réponse. Je sors. L’air extérieur me gifle.

Je marche vite. Très vite. Chaque pas martèle mon désespoir. Les résultats serrés contre moi, je sens les larmes monter. Mais je me retiens. Je dois aller bosser. Je dois me comporter en adulte. Rester forte et responsable, increvable.

Mon téléphone vibre dans ma poche. C’est Jimena. Je ne décroche pas. Je n’en ai pas la force. Je l’éteins, le range dans mon sac. Et je continue de marcher. Mes jambes me portent à peine.

Quand j’arrive au bar, Lucas me salue d’un geste, mais je réponds à peine. J’enfile mon tablier, commence à nettoyer le comptoir. Je me perds dans le bruit des verres, les commandes. Mais les mots du médecin reviennent. Encore et encore.

Grave. Suivi médical. Coûteux...

Je sens ma respiration qui se complique, un melange de sentiments me submergent. Je frotte mon cou, en essayant de ne pas suffoquer. Mais ça s'empire et je sens que je vais hurler de désespoir si ça continue.

Alors, je me réfugie dans les toilettes. Je verrouille la porte. Et là, je laisse couler quelques larmes. Pas des sanglots. Juste ces larmes lourdes, lentes, silencieuses. Je me rince le visage, me regarde dans le miroir. J’ai l’air d’un cadavre maquillé. Je respire. J’inspire. Je retrouve peu à peu ma respiration normale.

Je sors des toilettes mais Lucas me bloque la route, inquiet.

___ Paula ? Ça va pas.

Je tente de sourire.

___ Si, si. Juste un coup de fatigue.

Il me fixe. Il ne me croit pas, mais il ne me force pas. En ce moment, je n'ai pas besoin d'une oreille. J'ai juste besoin d'un répit. Fermer les yeux et tout oublier.

___ Écoute, rentre. Va te reposer. Je te paierai comme si t’étais restée.

___ Non. J’ai besoin de ce salaire.

___ Et tu l’auras. Fais-moi confiance.

Je le regarde, hésitante. Je ne nie pas que j'ai besoin de repos. Il insiste, mais avec douceur. Comme un grand frère. Je finis par lâcher un sourire, faible, mais sincère.

___ Merci, Lucas.

___ Je t'en prie. Tu es la pote à ma meuf, donc c'est normal, tu ne penses pas ?!

Je lâche un sourire et il me le rend. Jimena a vraiment de la chance, en tombant sur un mec comme Lucas.

Je retire mon tablier, prends mes affaires et sors. La nuit est tombée. Je marche, encore. Mes jambes sont du coton. Mes pensées, un brouillard de douleur.

Je m’arrête dans une ruelle calme, m’assieds sur un banc. Il n’y a presque personne. Je sors les résultats et les relis. Et cette fois, je pleure vraiment. Je laisse tout sortir. La peur. L’injustice. La fatigue.

___ Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça, hein ?

Ma voix se perd dans le vide. Personne ne répond. Et soudain, une silhouette approche. Je sursaute, renifle.

___ Ça va ?

Le mec du bar. Celui qui avait insisté pour me raccompagner chez moi. Encore lui ? Il s’installe à côté de moi sans demander.

Je m’essuie les yeux, me redresse, prends un air froid.

___ Qu’est-ce que tu fais là ? demandé-je

Il hausse les épaules.

___ Je passais. Et je t’ai vue.

___ Eh bien, passe ton chemin.

___ Pas cette fois.

Je le regarde, prête à l’envoyer promener. Mais il ajoute, plus doucement :

___ Viens avec moi.

Je l'envoie un regard sidéré.

___ Je vois bien que tu vas mal. Alors, viens avec moi. Juste un moment pour changer d’air ou... même te vider la tête.

___ J’ai pas besoin de toi ; rétorque-je d'un ton impulsif.

___ T’as besoin d’un souffle. Et je t’en offre un ; insiste-t-il doucement.

Son calme m’énerve. Son insistance aussi. Mais je suis à bout. Et une part de moi veut fuir cette douleur. Alors je cède.

Je ravale ma salive, lâche un gros souffle et me lève. Il tourne ses talons, traverse la rue alors que je le suis. Il monte dans sa voiture. Une voiture de luxe, évidemment. Je m'engouffre à mon tour, sur le siège passager. L'intérieur de la voiture est en cuir, odeur de neuf. Je m’enfonce dans le siège, un peu intimidée.

___ T’es qui au juste ? lui questionné-je, en l'analyssant.

Il sourit et J’arque un sourcil, mefiant.

___ Un sportif.

___ C’est vague ; dis-je.

___ Comme moi ; lance-t-il en se mettant à conduire.

Il m’emmène jusqu’à un immeuble luxueux. Son appartement est spacieux, design, silencieux. Je ne dis rien. Je ne veux pas m’émerveiller. Mais je le suis.

Alors qu'il disparait dans l'une des pièces de cet endroit luxueux, je scrute le salon. Il revient avec une bouteille.

___ Juste un verre pour oublier un peu.

Je le fixe. Son regard perçant me trouble. Ses cheveux sont décoiffés, malgré sa tenue incapable.

___ Je bois pas avec des inconnus.

___ Mais tu viens pleurer sur mon banc.

Je grogne alors qu'au fond de moi, je ne crains rien. Je me sens étrangement en sécurité.  Pourtant, on se connaît à peine. Il sert deux verres. Je prends le mien et prends une gorgée.

___ Quel est ton nom ?

___ Paula et toi ?

___ Nicolas.

Je prends une autre gorgée. L’alcool me chauffe la gorge. Et puis je parle de ma mère, de mes boulots, de l’injustice de la vie, de mon ex et de mes rêves perdus.

Et lui, il écoute. Nicolas parle un peu aussi. Il a grandi avec des attentes sur les épaules. Le fils unique. Le futur champion. Le mec qui doit toujours sourire pour la presse. Et là, je réalise que je suis assis avec un mec ambitieux, réaliste. Pas n'importe qui. Je me suis trompée sur lui.

Je commence à rire, puis à pleurer. Puis à rire encore. Je suis ivre. Je le sens. Mais je m’en fiche. Tout ce que je sais, Nicolas est un type drôle. Ce n'était pas une mauvaise idée de prendre un verre avec lui.

Nos regards se croisent. Il ne parle plus. Moi non plus. Le silence est chargé. Il s’approche. Mes palpitations cardiaques s'accélèrent. Je ne recule pas. Nos lèvres se cherchent, puis se trouvent. C’est brutal. C’est chaud. C’est vivant.

Et pour la première fois depuis longtemps, je me sens… autre chose que brisée.

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