PVD de Nicolas
La lumière qui filtre à travers les rideaux me brûle les paupières. J’ai la tête lourde, la bouche pâteuse. Je grogne, tourne la tête sur l’oreiller, cherche à fuir la clarté du matin. Mon crâne cogne doucement, comme si des tambours africains avaient décidé de jouer un concert privé dans ma boîte crânienne. Putain, l’alcool. Je respire lentement, et c’est là que tout me revient. Les larmes. Le banc. Le baiser. Le corps chaud et tremblant de Paula contre le mien. Ses soupirs, sa peau, son parfum mêlé au mien dans les draps. Je rouvre les yeux, un sourire paresseux étirant mes lèvres. Je n’avais pas prévu ça. Pas prévu qu’une inconnue devienne un souvenir aussi marquant en une seule nuit. Pas prévu de ressentir ce genre de truc. De cette façon. Je tends la main vers l’autre côté du lit et constate quil est vide. Je fronce les sourcils, me redresse. Le lit est froissé mais désert. Aucune présence. Aucune chaleur résiduelle. ___ Paula ? Silence. Je jette un coup d’œil à ma montre : 07h43. Elle est peut-être dans la salle de bain. Je me lève, enfile rapidement un jogging qui traînait sur le fauteuil, et me dirige vers la salle d’eau. Je toque. ___ Paula ? T’es là ? Rien. J’ouvre doucement. La salle de bain est aussi vide. Pas même une serviette déplacée. Je fais le tour de l’appart : cuisine, salon, terrasse. Rien. Elle est partie. Comme une voleuse, comme un rêve qui se déchire au réveil. Aucun mot. Aucune trace. Aucun parfum. Juste le souvenir sur ma peau, et la frustration d’un mystère laissé en plan. Je me frotte la nuque, balance un juron à voix basse : ___ Merde... Je monte les marches pour retourner dans ma chambre, ouvre les tiroirs, vérifie l’armoire par réflexe idiot, sans doute. Mais non. Rien. Elle n’a pas oublié un foulard, une boucle d’oreille, rien qui pourrait me donner une excuse pour la revoir. Je lâche un souffle agacé. Pourquoi ça m’emmerde autant qu’elle se soit tirée ? Pourquoi j’ai cette sale impression d’avoir perdu quelque chose d’important ? Je prends mon téléphone, appelle le seul mec qui supportera mes états d’âme sans se foutre de moi. ___ Allô ? ___ Andrés. Viens chez moi. C’est important. ___ Il est même pas huit heures, frère ; râle t'il, d'une voix teintée de sommeil. ___ Ramène-toi. Je raccroche sans explication. Pas le temps pour les discussions téléphoniques. J’ai besoin de parler. Et peut-être, d’un plan. Il est le seul qui peut m'aider en ce moment. Je file sous la douche, rapide. L’eau glacée chasse un peu les vapeurs d’alcool mais n’éteint pas la tension dans mon estomac. Je ne sais pas ce que je cherche, ni pourquoi c’est si fort. Mais je sais que je ne peux pas la laisser filer comme ça. Dix minutes plus tard, Andres débarque, les cheveux en pétard, les yeux mi-clos, une casquette vissée à l’envers sur le crâne. ___ Tu vas me dire ce qu’il se passe, oui ou non ? tonne t'il, parce que je l'ai fait venir sans raison. Je lui tends un café et me laisse tomber sur le canapé. ___ Je l’ai revue hier soir. ___ Qui ? ___ La fille du bar... ___ Sérieux ? Et ? me questionne t'il, tout curieux. ___ Et on a parlé un peu longtemps. Puis elle est venue chez moi. Il hausse un sourcil. ___ Attends… Tu veux dire "chez toi" dans le sens "vous avez couché ensemble" ? Je hoche la tête, un sourire à peine coupable sur les lèvres. Il reste bé, mais pas trop surpris. Ce n'est pas la première fois que je ramène une fille que je viens de connaître chez moi. ___ Et ce matin, elle était partie. ___ Et ? Fin de l’histoire. Elle voulait peut-être juste ça. Je le fixe. Paula voulait juste du sexe ? Non, je pense pas. Il est vrai que je ne sais rien d'elle et je ne me rappelle même plus de nos discussions d'hier soir, mais elle n'est pas ce genre de fille. ___ Non. C’est pas juste ça. ___ Mec, tu la connais même pas. ___ Bien sûre que je la connais... enfin, elle s'appelle Paula et elle travaille dans le bar où nous avons picolé l'autre fois. Andres soupire et secoue la tête, comme s'il est choqué par ma réaction. ___ Je veux la retrouver, Andres. Mon pote soupire à nouveau, lève les yeux au ciel et marmonne quelques mots, que je ne saisis pas. Puis, il me regarde et dit : ___ T’as oublié que t’es Nicolas Reyes ?! Une des figures publiques du moment, un mec suivi par des millions de personnes ? Tu peux pas te permettre de courir après une inconnue. Ça te retombera dessus. Tu ne sais même pas si elle ne veut pas justement te faire tomber ! Je me lève, irrité. Paula ne sait même pas qui je suis. Elle ne sait pas que je suis un célèbre footballeur. Et elle s'en fiche d'ailleurs. La preuve, elle aurait pu me dérober un bijou ou encore un objet coûteux, mais elle n'a rien pris. Rien. ___ Elle s’en fout que je sois connu. Elle s’est barrée sans rien dire, mec. Elle m’a pas demandé mon numéro, mon compte I***a, rien. Rien. Et ça, ça prouve qu’elle est différente. Il me dévisage. Il sait que j'ai raison. Toutes les filles qui me croisent, me reconnaissent aussitôt et ne me lâchent presque plus. Pourtant, elle... elle a disparu des radars. ___ Ou qu’elle veut rien avoir à faire avec toi. Ce qui revient au même, au fond ; reprend Andres. Je pince les lèvres. Sa logique est froide, rationnelle. Mais moi, j’en ai rien à foutre de la logique. ___ Je veux la revoir. Et je la reverrai. Même si je dois retourner au bar et interroger tout le quartier. Andres me regarde un instant, puis pousse un long soupir. ___ Mec, ressaisis toi ! Repartir dans ce coin là, c'est risqué et tu le sais. Ils vont te reconnaître et... et tu sais à quel point, ces gens aiment le football. L'autre fois, nous étions dans ce bar par simple coïncidence et on l'a presque regretté. On pensait qu'ils ne me reconnaîtrons pas, mais c'était le contraire. Deux mecs m'ont repérés et on a dû s'éclipser aussi vite que prévu pour ne pas avoir les autres fans sur mon dos. ___ Bon, d’accord. J’abandonne ; finit par lâcher mon ami. J’imagine que c’est inutile d’argumenter avec un abruti obstiné. On y va ? Je hoche la tête, avec un sourire victorieux. ___ On y va. ** On arrive devant le bar une heure plus tard. Il est encore fermé au public, mais la porte est entrouverte. À l’intérieur, un type nettoie les verres, concentré, un torchon à la main. Grand, un peu baraqué, look décontracté. Je le reconnais. Lucas. Je m’approche. ___ Salut. Excuse-moi, on cherche Paula. Elle travaille ici, non ? Il lève les yeux, me dévisage. Son regard change légèrement quand il me reconnaît. Lorsqu'il comprend que nous cherchons la jeune fille, son expression faciale change. Il n’a pas l’air impressionné, mais méfiant. ___ Elle est pas là. ___ Tu sais où je peux la trouver ? ___ Non. ___ Elle bosse pas aujourd’hui ? Il continue de nettoyer, comme si je n’existais pas. ___ Elle a pris quelques jours. Elle en avait besoin. Je serre les dents. Ça se voit qu’il sait quelque chose. Mais il ne compte pas me le dire. ___ Regarde, Lucas, c’est ça ? J’essaie juste de lui parler. Rien de grave. Je veux juste la revoir. Il croise les bras, le torchon toujours en main. ___ Si elle voulait te revoir, elle serait restée, non ? Elle est majeure, vaccinée. Elle a choisi de partir. Respecte ça. Je fronce les sourcils. Mon ton se durcit. ___ T’es quoi pour elle ? Son frère ? Son petit ami ? ___ Un pote. Un ami fidèle. Et franchement, je vois pas pourquoi elle aurait envie de se mêler à un type comme toi. T'es footballeur, ok. Mais pourquoi tu la cherches ? Sincèrement ? Je me retiens de répliquer. Pas envie de foutre le feu ici. Mais mon sang bout. Andres intervient, plus calmement. ___ On veut pas de problème, mec. Juste discuter. Elle a passé une sale nuit hier. Elle a parlé de sa mère, de sa vie. Nicolas veut juste s’assurer qu’elle va bien. Lucas esquisse un sourire ironique. ___ Et tu crois que le monde a besoin qu’un sportif célèbre débarque pour "s’assurer que tout va bien" ? Elle a tenu sans toi jusqu’ici. Elle continuera. Je sens mes poings se serrer. Mais je ne veux pas créer de scandale. Pas devant un bar. Pas si c’est là qu’elle travaille. Je recule d’un pas et fixe Lucas droit dans les yeux. ___ Très bien. Mais je te promets un truc. Je vais la retrouver. Quoi qu’il m’en coûte. Lucas me soutient du regard, sans ciller. ___ Fais ce que tu veux. Mais si t’as pas de bonnes intentions… je te le déconseille. Parce que si tu lui fais du mal, tu m'auras sur ton chemin. Je hoche la tête. Puis je tourne les talons, Andres sur mes pas. Quand on sort, il me rattrape. ___ Mec, t’es sûr de ce que tu fais ? T'as failli te battre avec un barman. ___ Je sais ce que je fais. Je regarde la rue. Mon cœur bat vite. Elle est quelque part. Et je vais la retrouver. Parce que ce n’était pas juste une nuit. C’était… le début de quelque chose. Et je refuse de laisser cette chance me glisser entre les doigts.Point de vue de l'auteureLa nuit est déjà bien entamée quand Nicolas quitte le bar. Le souffle court, les nerfs à vif, il monte dans sa jeep sans un mot. Il ne démarre pas tout de suite. Il serre le volant avec force, laissant ses pensées tourner en boucle dans sa tête. La gifle brûle encore sur sa joue, mais ce n'est rien comparé à l'amertume qui lui noue la gorge. Il a foiré. Vraiment foiré.Quelques minutes plus tard, il se retrouve dans l’appartement d’Andres, son ami de longue date. Ce dernier, assis sur le fauteuil en jogging, une canette à la main, l'accueille avec un regard surpris.___ Qu’est-ce que tu fais là ? T'avais pas un rendez-vous ce soir ?Nicolas s'affale sur le canapé, l'air accablé.___ Si. Enfin... C’est compliqué.___ Paula ?Un hochement de tête suffit à répondre. Nicolas passe une main sur son visage, souffle longuement, puis résume toute la scène d’une voix monotone : la rencontre après le boulot, la discussion, la proposition... et la gifle.
PVD de PaulaLa nuit est tombée depuis longtemps. Le bar s’est peu à peu vidé, ne laissant derrière lui qu’un silence étrange et le parfum collant de l’alcool renversé. Mes bras sont lourds, mes jambes douloureuses après des heures de service, mais ce n’est pas la fatigue qui me pèse le plus.C’est lui. Il est là, je le sais. Je l’ai vu depuis l’intérieur, posté devant sa voiture, adossé contre sa jeep noire aux vitres teintées, les bras croisés sur le torse, comme une scène de film trop bien mise en scène. Il ne fait rien. Il attent tranquillement. Comme si c’était normal.Je serre les dents, ravale l’amertume qui me remonte à la gorge, et sors du bar. L’air frais me gifle doucement le visage. Je marche jusqu’à lui d’un pas ferme. Pas de place pour l’hésitation. Pas de place pour l’émotion. Je dois garder la tête froide. Surtout après ce qui s'est produit entre nous.Quand j’arrive à sa hauteur, il redresse la tête et me fixe, un sourire discret sur les lèvres. Je ne lu
PVD de PaulaLe bruit familier du rideau métallique du bar qu’on relève me serre la poitrine. J’inspire profondément, plaque une main sur mon ventre noué, et tente de calmer le tumulte en moi. C’est mon premier soir depuis… depuis lui. Je n’aurais jamais cru que remettre les pieds ici serait si difficile.Avant de partir, j’ai embrassé maman sur le front. Elle s’endormait paisiblement devant une rediffusion de sa série préférée. J’ai fermé doucement la porte derrière moi, espérant que cette nuit au bar passerait vite.Mais dès que j’arrive sur le trottoir, je sens les regards. Des clients assis dehors me fixent, certains avec curiosité, d’autres avec une lueur de moquerie mal dissimulée. Je pousse la porte vitrée du bar, mon badge en main, mon cœur battant à tout rompre.À l’intérieur, l’ambiance est déjà chargée. Des rires, des éclats de voix, le cliquetis des verres. Un vendredi soir banal, sauf que rien ne l’est pour moi ce soir. Les regards m’assaillent dès que
PVD de PaulaCela fait cinq jours que je n’ai pas remis les pieds au bar. J’ai prétendu être malade. Un mensonge glissé dans un souffle, entre deux silences lourds, que Lucas a accepté sans poser de questions. Il a même insisté pour que je prenne quelques jours, ce que j’ai fait sans discuter. Trop de choses tournent dans ma tête depuis cette nuit-là.Depuis… Nicolas.Je n’arrive pas à croire ce que j’ai fait. Coucher avec un inconnu. Moi, Paula, toujours méfiante, toujours prudente, toujours sur mes gardes… je me suis abandonnée. Juste parce qu’il a su m’écouter, me regarder, me parler. J’ai été faible. Et maintenant, je me sens vide.Je profite de cette journée de repos de mon autre boulot, celui d’aide-soignante, pour rester à la maison avec maman. Elle regarde une série mexicaine dans le salon, complètement absorbée, pendant que je termine les tâches ménagères. Balai, serpillière, lessive. Tout y passe. Mon corps s’active, mais ma tête est ailleurs.Je me réfugi
PVD de Nicolas La lumière qui filtre à travers les rideaux me brûle les paupières. J’ai la tête lourde, la bouche pâteuse. Je grogne, tourne la tête sur l’oreiller, cherche à fuir la clarté du matin. Mon crâne cogne doucement, comme si des tambours africains avaient décidé de jouer un concert privé dans ma boîte crânienne.Putain, l’alcool.Je respire lentement, et c’est là que tout me revient.Les larmes. Le banc. Le baiser. Le corps chaud et tremblant de Paula contre le mien. Ses soupirs, sa peau, son parfum mêlé au mien dans les draps.Je rouvre les yeux, un sourire paresseux étirant mes lèvres. Je n’avais pas prévu ça. Pas prévu qu’une inconnue devienne un souvenir aussi marquant en une seule nuit. Pas prévu de ressentir ce genre de truc. De cette façon.Je tends la main vers l’autre côté du lit et constate quil est vide. Je fronce les sourcils, me redresse. Le lit est froissé mais désert. Aucune présence. Aucune chaleur résiduelle.___ Paula ?Silence. Je j
PVD de PaulaJe regarde l'heure pour la énième fois. Mon téléphone affiche 09h27. Mon cœur bat un peu plus vite à chaque minute qui passe. Maman est assise à mes côtés, silencieuse, les mains croisées sur son sac. La salle d'attente est calme, trop calme. Une odeur de désinfectant flotte dans l'air, mêlée à celle du café tiède que je n'ai pas eu le courage de terminer.On a enfin pu venir à cette clinique grâce à mes deux salaires. Ceux de l’hôpital et du bar. Un miracle. Un épuisant, douloureux, mais précieux miracle. Le médecin nous a dit de revenir pour les résultats. Alors on attend.Je jette un coup d'œil à ma mère. Elle tente de garder bonne figure, mais je vois bien qu'elle est à bout de forces. Son teint est pâle, ses joues un peu creusées. Pourtant, elle me gratifie d’un petit sourire. Toujours ce sourire, comme pour me protéger. Comme si elle voulait me dire que tout ira bien.Je me lève.___ Je vais chercher les résultats. Tu veux m'attendre ici, m