PVD de Paula
Maman est enfin sortie de l’hôpital. Le médecin nous a remis les ordonnances, les rendez-vous de contrôle et les consignes de repos strict. On a dû commander un taxi, car je ne voulais pas qu’elle s’épuise davantage dans les transports en commun. Assise à côté d’elle, je la surveille du coin de l’œil. Elle garde le regard tourné vers la vitre, perdue dans ses pensées. Le soleil tape sur la vitre de la voiture alors que je tiens la main de ma mère. La fatigue creuse ses traits, mais son regard reste lumineux. Elle force un sourire en me jetant un coup d'œil. Je vois bien qu'elle essaie de cacher sa douleur, mais je la connais trop bien. ___ Tu es sûre que tu veux me ramener dès aujourd'hui ? ___ Le médecin a donné son feu vert. Et puis, l'hôpital ne guérit pas tout. À la maison, tu seras mieux. Elle acquiesce faiblement. Le taxi se met à rouler en silence. Une fois arrivées, je l'aide à s'installer sur le vieux canapé du salon, des coussins autour d'elle, un plaid sur les genoux. Je m'apprête à lui préparer une infusion quand elle m'interpelle : ___ Paula… Je la regarde, attentive. ___ Je voulais te remercier pour tout. Mais j’ai réfléchi pendant mon hospitalisation… Tu ne devrais pas te sacrifier autant pour moi. Je fronce les sourcils. Je sens déjà où elle veut en venir. Je ne compte plus le nombre de fois où elle ramène ce sujet sur la table de discussion. ___ Mamá, s’il te plaît, pas encore ça… ___ Paula, assieds-toi une seconde. Je m'exécute, déposant la bouilloire encore froide. Son regard me transperce. ___ Laisse-moi finir. Je t’ai entendu parler à Jimena dans le couloir. Tu veux prendre un autre travail, c’est ça ? Je ne dis rien. Juste un soupir. Je savais qu'elle a entendu. ___ J'ai vu ton sac et ton uniforme ; continue t'elle. Je me mordille la lèvre. Je voulais lui en parler après qu'elle ait bien dormi, mais je sais qu'elle ne me lâchera pas. ___ Oui. Un petit job en plus, dans un bar. Quelques heures par semaine, rien d’excessif. Juste de quoi arrondir les fins de mois. Ne t’inquiète pas. J'essaie de la rassurer, même si je sais déjà ce qu'elle va me dire. Je la vois secouer la tête, visiblement bouleversée. ___ Tu te rends compte de ce que tu dis ? Tu dors à peine ! Tu travailles déjà trop ! Et maintenant tu veux servir dans un bar ? La nuit ? Parmi des inconnus, des hommes ivres ? Je ne peux pas te laisser faire ça. ___ Tu ne peux pas m’en empêcher non plus ; dis-je plus durement que prévu. Je n’ai pas d’autres options. Tu crois que ça me fait plaisir ? Tu crois que j’ai envie de me retrouver là-bas après une journée entière à l’hôpital ? Non. Mais je le ferai quand même. ___ Alors arrête tout. Laisse tomber. Je ne veux plus être un fardeau pour toi ! Son cri me déchire. Elle baisse les yeux et je regrette aussitôt ma façon de lui parler. Je lâche un petit soupir et m’agenouille devant elle, lui prenant doucement les mains. ___ Tu n’es pas un fardeau. Tu m’entends ? Jamais. Tout ce que je fais, je le fais parce que je t’aime. Parce que tu es ma mère, et que je n’ai que toi. Alors, s’il te plaît, arrête de dire que tu m’empêches de vivre. Ma vie, c’est toi. Et tant que je respirerai, je me battrai pour qu’on s’en sorte. Elle fond en larmes. Je la serre dans mes bras. Les mots ne suffisent plus. Mais dans ce silence pesant, nos cœurs se parlent. Je sais qu’elle ne m’en empêchera plus, même si elle s’inquiète toujours autant. Je me lève, embrasse son front et récupère mon sac. ___ Repose-toi, maintenant. Je t'aime. *** Quelques heures plus tard, je me prépare à partir pour mon premier service. J’enfile un jean noir, un t-shirt sobre et glisse une paire de baskets dans mon sac. Jimena m’a dit que Lucas m’attendait pour m’expliquer le fonctionnement du bar. Je quitte l’appartement avec un dernier regard vers maman, qui me fait un petit signe de la main depuis le canapé. Ses yeux brillent encore, mais elle me sourit. Un sourire inquiet. Je lui envoie un baiser de la main et descends rapidement les escaliers. Le bar se trouve dans un quartier animé du centre-ville. Dès que je m’approche, j’entends la musique, les rires, les verres qui s’entrechoquent. Je serre un peu plus la lanière de mon sac, nerveuse. Ce n’est pas un environnement auquel je suis habituée. Lucas est déjà là, derrière le comptoir. Il me reconnaît immédiatement et me fait un signe de la main. Je me dirige vers lui, en jetant des regards nerveux autour de moi. ___ Salut, Paula ? Content de te voir. Jimena m'a tout raconté. Il a un sourire chaleureux, l’air détendu. Ça m’apaise un peu. Lucas et moi, ne sommes pas vraiment potes. Nos discussions se limitent aux simples salutations quand on se croise avec Jimena certaines fois. ___ Merci de m’avoir donné cette chance, dis-je timidement. ___ Pas de souci. Tiens, c'est ton uniforme. Il me tend un T-shirt noir avec le nom du bar imprimé en blanc et un tablier. ___ Tu peux te changer dans les toilettes, juste là-bas ; m'indique-t-il. Je le remercie d'un sourire discret et me dirige vers les toilettes. Devant le miroir fissuré, je me change rapidement. Le T-shirt me colle au corps, le tablier tombe jusqu'à mes genoux. Mes cheveux sont attachés en chignon rapide. Je me regarde une seconde. Mes yeux sont cernés, mais déterminés. Je replace une mèche rebelle derrière mon oreille et prends une grande inspiration. ___ Tu peux le faire, Paula. Ce n’est qu’un job. Tu fais ça pour maman ; me murmure-je. Je sors et me dirige vers le comptoir où Lucas m’attend. ___ Prête ? ___ Aussi prête que possible. Il m’explique rapidement les bases : les boissons les plus demandées, la manière de prendre les commandes, l’emplacement des verres, comment gérer les clients insistants. Je hoche la tête à chaque instruction, retenant tout ce que je peux. Très vite, je me retrouve à servir des bières, à prendre des commandes en salle. La foule grossit. Les clients sont bruyants, certains déjà éméchés. Je fais de mon mieux pour rester polie, efficace, rapide. Mais très vite, les regards changent. Certains sifflements commencent à fuser. ___ Hé, señorita, viens par ici, t’es mignonne toi ! Je l’ignore et continue de servir. Un autre tente de me frôler la main en me tendant un billet. ___ T’as pas un petit sourire pour moi, beauté ? Je me raidis, mais je garde le contrôle. Jusqu’à ce que l’un d’eux, un type baraqué avoisinant la quarantaine au regard trouble, tente de me mettre la main sur la hanche en passant derrière moi. Je recule de quelques pas, essayant de rester polie. ___ Hey, doucement, je travaille ; lui dis-je, alors que mon sang commence à chauffer. Il rit et pose sa main sur ma taille. ___ T'es mignonne quand tu fais ta professionnelle. Mon sang ne fait qu'un tour, ma poitrine augmente et diminue de volume. Je l'envoie un regard assassin. ___ Enlève ta main. Maintenant. Il ricane, mais ne bouge pas. Alors je le repousse violemment. Son verre se renverse. Il recule, furieux. ___ T'es malade ou quoi, salope ? Je me retourne brusquement et fais l'indifférente. Il commence à grogner, comme un gros porc. ___ Vous me touchez encore une fois, et je vous fais virer du bar. ___ Oh, ça va, chérie, c’est bon enfant… ___ Je ne suis pas ta chérie. Et je ne suis pas ici pour te divertir. Le ton monte légèrement. D’autres clients tournent la tête. Lucas surgit presque aussitôt. ___ Un problème ici ? ___ Rien qu’une petite nouvelle un peu tendue, dit le type avec un sourire narquois. ___ Paula a dit non. Alors tu te calmes, ou tu dégages. C’est clair ? Le type grommelle, puis s’éloigne. Lucas se tourne vers moi. Je tente de reprendre le cours normal de ma respiration. ___ Tu vas bien ? Je hoche la tête, choquée. ___ Merci. Je… j’ai juste besoin de respirer un peu. Il me tapote doucement l’épaule. ___ Prends deux minutes. Bois un verre d’eau. Tu t’en sors bien. Je me réfugie derrière le comptoir et m’appuie contre une étagère. Je ferme les yeux une seconde. C’est plus dur que je ne le pensais. Pourquoi est-ce que je suis là, déjà ? Ah oui… Maman. Je rouvre les yeux et reprends mon service. Peu importe. Je vais tenir. Alors que je retourne servir au comptoir, mon regard est attiré par deux jeunes hommes installés un peu à l’écart. L’un d’eux, surtout. Il a quelque chose de… différent. Ses vêtements sont trop propres, ajustés. Il ne ressemble pas aux autres clients du bar. Son regard est perçant, et il me fixe depuis un moment. À côté de lui, un autre homme, plus discret, semble être un ami ou peut-être un garde du corps. Je ne sais pas trop. Je fais semblant de ne pas les voir, mais leurs regards ne me quittent pas. Quelques instants plus tard, l’un d'eux lève la main pour m’appeler. Je m’approche, un carnet à la main. ___ Une bouteille de champagne. Le meilleur que vous avez. Je hoche la tête. Ils sentent agréablement bon et je parie que leurs parfums coûtent très chers. ___ Je vous apporte ça tout de suite. Je m’éloigne, récupère la bouteille et reviens vers eux avec précaution. Je la dépose sur leur table. Alors que je m’apprête à repartir, le mec me retient par une parole douce. ___ Beau réflexe, tout à l’heure. Peu de femmes auraient osé répondre comme ça. Tu as du cran. Je le fixe, décontenancée par son ton calme, presque admiratif. ___ Je fais juste mon travail. ___ Peut-être. Mais tu le fais avec du caractère. C’est rare. Je ne sais pas quoi répondre. Quelque chose chez lui me met mal à l’aise. Pas de la peur. Plutôt… une gêne confuse. Une curiosité contrariée. Sans ajouter un mot, je tourne les talons et m’éloigne. Mais je sens toujours son regard brûlant dans mon dos. Et à cet instant, je sais qu’il n’est pas comme les autres. Et que ce soir, quelque chose vient de changer.Valeria est assise dans son vaste salon, perchée sur son canapé en velours beige, la tablette posée sur ses genoux. La lumière de l’après-midi éclaire ses traits froids, mais il y a quelque chose d’agité dans ses yeux. Ses doigts tapotent nerveusement sur l’écran. Elle est tombée sur cette vidéo… cette maudite vidéo.La demande en mariage de Nicolas à Paula.On y voit Nicolas, un immense bouquet dans les bras, se mettre à genoux devant cette fille. Cette fille qu’elle a juré d’écraser, de réduire au silence. Et Paula qui dit oui, les larmes aux yeux, sous les applaudissements et les sifflements amusés. L’image est claire, belle, presque parfaite.Valeria sent une brûlure dans la poitrine, comme si chaque éclat de rire et chaque note de bonheur dans cette vidéo étaient dirigés contre elle.___ Non… non… c’est impossible… murmure-t-elle, la mâchoire serrée.Mais Internet, lui, ne ment pas.En quelques minutes, son téléphone se met à vibrer de toutes parts. Des notifications inondent son
PVD de PaulaLa lumière du matin filtre par les rideaux beiges de ma chambre d’hôpital. L’odeur stérile me pique encore un peu les narines, mais aujourd’hui… c’est différent. Aujourd’hui, je sors enfin. Assise au bord du lit, j’attache calmement mes cheveux, tandis que Jimena, installée sur la chaise près de la fenêtre, me regarde avec un grand sourire.___ Tu sais que t’as raté le match du siècle, hein ? commence-t-elle, les yeux pétillant d’excitation.Je ris doucement, secouant la tête.___ Je l’ai vu à la télé, je te rappelle.___ Oui, mais tu n’as pas vu ça comme moi je l’ai vu ! La tension, la folie dans le stade… Paula, c’était incroyable. Le Real a littéralement écrasé son adversaire. Et Nicolas… mon Dieu, il a été parfait. Tu aurais vu comment il courait, comment il contrôlait le ballon… et ce but en deuxième mi-temps… les gens hurlaient ton nom à travers lui, je te jure.Ses paroles ravivent en moi une chaleur que j’avais déjà ressentie hier devant l’éc
PVD de Paula Ma mère et moi sommes allongées sur ce lit d’hôpital, collées l’une contre l’autre, à suivre le match sur l’écran accroché au mur. L’odeur de désinfectant flotte toujours dans la pièce, et le bruit régulier des machines de monitoring rythme l’ambiance. Nicolas est sur le terrain, concentré, et chaque fois que la caméra le filme, mon cœur se gonfle de fierté. ___ Il joue bien aujourd’hui… murmure ma mère, un petit sourire aux lèvres. Je hoche la tête, incapable de détacher mes yeux de lui. Ses gestes sont précis, son visage fermé, mais je sais qu’à l’intérieur, il brûle de cette envie de gagner. Il mouille le maillot pour son équipe… et pour nous. Ma mère finit par se redresser. ___ Je vais aux toilettes, je reviens. ___ D’accord, Maman. La porte se referme derrière elle. Un léger silence s’installe, seulement brisé par les commentaires du match et les cris des supporters qu’on entend à travers la télé. Je caresse doucement mon ventre arrondi, un sourire attendri sur
PVD de Paula Nicolas me regarde fixement comme s'il n'attendait que cette réponse depuis longtemps. Je déglutis, essaie de ressasser ce moment où j'ai perdu connaissance. Mes yeux se voilent un instant. L’image revient, brutale, comme si j’y étais encore. *** Flash-back Je marche d’un pas rapide, les mains profondément enfoncées dans mes poches. Le froid me mord le visage, mais je ne sens presque rien. Mon esprit est ailleurs… enfermé dans les mots tranchants de la mère de Nicolas. Chaque phrase résonne encore dans ma tête, chaque regard de mépris me brûle. Comment a-t-elle pu oser mettre les pieds chez moi et me parler de cette façon ? Ai-je bien fait de ne pas lui avoir répondu ? Aurais-je dû lui faire comprendre que j'en ai rien à cirer du compte bancaire de Nicolas Reyes ? Je porte son petit fils et pourtant elle semble en avoir rien à faire. Tout ce qui compte pour elle, c'est que je ne mérite pas d'être avec son fils. Je serre encore les dents, toujours remontée contre
PVD de Nicolas Je fais les cent pas dans le couloir, incapable de rester en place. Chaque minute qui passe est une torture. Jimena, assise sur le banc, ne dit rien, les mains jointes sur ses genoux. Moi, je sens mon cœur cogner comme s’il voulait exploser. Toujours aucune nouvelle de Paula… ni du bébé. Andres revient enfin, les épaules légèrement voûtées, après avoir déposé la mère de Paula chez elle. ___ Toujours rien ? me demande-t-il. Je secoue la tête, le souffle court. ___ Je vais finir par perdre la tête, Andres. Je te jure, je tiens plus. Il pose une main ferme sur mon épaule. ___ Courage, mon frère… Ils savent ce qu’ils font. Elle est entre de bonnes mains. Ses paroles se veulent rassurantes, mais elles glissent sur moi sans vraiment s’ancrer. Il rejoint Jimena sur le banc, lui adressant un sourire fatigué. Je m’adosse contre le mur froid et ferme les yeux un instant. Des images défilent dans ma tête : le rire de Paula, ses mains qui se posent sur mon visage, la chale
PVD de JimenaL’odeur antiseptique de l’hôpital me donne toujours ce mélange étrange de malaise et d’appréhension, mais aujourd’hui… c’est pire. Les néons au plafond diffusent une lumière crue, presque agressive, qui me donne mal à la tête. Nous sommes assis depuis ce qui me semble être des heures dans cette salle d’attente glaciale. À ma gauche, Madame Carmen se tord les mains, ses yeux rougis et gonflés d’avoir trop pleuré. Elle ne dit presque rien, si ce n’est des murmures brisés par des sanglots.___ Ma fille… ma pauvre fille…Je sens ma gorge se serrer. Moi aussi, je suis inquiète. Paula est quelque part derrière ces portes battantes, inconsciente ou blessée, et personne ne daigne venir nous dire dans quel état elle se trouve. Je veux la rassurer, lui dire que tout ira bien, mais la vérité, c’est que j’en sais rien. Alors, je me contente de poser une main douce sur son épaule et de lui tendre un mouchoir.___ Elle est forte, madame Carmen… elle va s’en sorti