Chapitre 5 : L’approche du silence
Isis
Je ne dors pas.
La nuit s’étire, interminable, comme si elle voulait me retenir prisonnière dans cette attente sourde. Chaque bruit, chaque souffle du vent devient un signal, un avertissement. Je sens son nom gravé sur ma peau, murmuré par les ombres. Ashar.
Assise sur le rebord de la fenêtre, je regarde la ville s’effacer sous le voile humide de la pluie. Les rues brillent sous les lampadaires, désertes, silencieuses. Tout semble immobile. Pourtant, mon esprit s’emballe, tourbillonne sans fin. Je sens cette présence invisible, lourde, oppressante, tapie quelque part dans le noir.
Je ferme les yeux, tente de calmer le tumulte intérieur, mais les images s’imposent à moi. Un regard sombre qui transperce la nuit. Une silhouette qui glisse entre les murs. Une voix qui prononce mon nom avec une douceur glacée. C’est comme un murmure à la fois lointain et obsédant, qui ne me quitte plus.
Le téléphone vibre soudain à côté de moi. Leïla. Je respire un instant, attrape l’appareil, hésite.
— Tu vas bien ? Sa voix est douce, mais inquiète.
— Je… oui, réponds-je faiblement.
— Tu devrais essayer de dormir.
— Je sais.
Mais je ne peux pas. Pas ce soir. Pas alors que l’air semble chargé d’une énergie que je ne comprends pas encore.
Je me lève, marche sans but dans l’appartement. Chaque ombre semble se tordre, se mouvoir au rythme de mon anxiété. Je me surprends à tendre l’oreille, à guetter le moindre souffle. Le silence m’étouffe, plus pesant que jamais.
Je parcours la pièce, mes doigts effleurent les meubles comme pour m’ancrer dans la réalité. Mais la réalité vacille. Je revois sa silhouette, ses yeux d’encre, cette intensité qui me glace le sang. Je voudrais crier, pleurer, mais aucune larme ne vient. Je suis paralysée par un mélange d’effroi et de fascination.
Je m’arrête devant le miroir du couloir, m’observe longuement. Mon reflet me semble étranger, les traits tirés par la fatigue, l’ombre d’une peur que je refuse d’admettre. Je me demande si c’est cela, être hantée. Par quelqu’un ou quelque chose qui dépasse ma compréhension.
Puis, soudain, un bruit sourd, un craquement. Mon cœur rate un battement. Je me fige, chaque muscle tendu, les sens en alerte. Rien ne bouge. Le silence reprend sa place, plus lourd encore.
Je veux me convaincre que ce n’était que le vent. Mais la peur s’installe, froide, glaciale. Elle serpente dans mes veines, étreint ma poitrine, m’empêche de respirer normalement.
Je me remémore nos derniers échanges, les fragments d’informations qu’Ashar m’a laissés, insuffisants, mystérieux. Pourquoi revient-il maintenant, après tout ce temps ? Que cherche-t-il à réveiller en moi ?
Je me rassois, essayant de calmer mes pensées qui s’emballent. Mais plus j’essaie, plus elles deviennent insistantes, revenant sous la forme de questions sans réponses, de doutes lancinants.
Je repense à Ashar. À ce nom qui résonne dans ma tête, comme un écho lointain d’un secret oublié. À cette présence que je sens, même quand je ne le vois pas. Pourquoi ce nom ? Pourquoi maintenant ? Et surtout, qu’est-ce qu’il me cache ?
Je m’assois à nouveau, le regard fixé sur la fenêtre embuée. La pluie tambourine contre le verre, comme pour masquer les battements frénétiques de mon cœur. Je sais que ce n’est pas une simple coïncidence. Quelque chose s’est réveillé. Quelque chose de puissant.
Je me sens vulnérable, exposée, comme si chaque ombre pouvait m’atteindre. Je voudrais appeler Leïla, lui demander de rester près de moi, mais les mots se perdent dans ma gorge.
Je prends une profonde inspiration, essayant de rassembler le peu de courage qui me reste. Pourtant, une partie de moi voudrait fuir, disparaître, oublier tout ça.
Le jour se lève enfin, chassant la nuit et ses fantômes. Mais mon esprit reste assombri par une inquiétude sourde, un pressentiment qui refuse de s’effacer. Je sens que cette lumière pâle du matin ne suffira pas à dissiper les ténèbres qui s’installent en moi.
Je sais que je ne suis plus seule.
Et que ce n’est que le début d’un long combat contre ce que cachent les ombres.
Isis
Le matin s’installe doucement, mais je sens que rien ne sera pareil aujourd’hui. L’aube est pâle, comme hésitante, comme si elle aussi redoutait ce qui va venir. Je reste immobile, assise sur le bord du lit, les mains serrées, le cœur lourd d’une angoisse sourde qui ne veut pas me lâcher.
Je repense à la nuit, à cette présence invisible qui a palpité autour de moi, glaciale et indéniable. J’essaie de rationaliser, de me convaincre que ce n’est que mon imagination. Mais au fond, je sais que ce n’est pas vrai. Quelque chose est là, tapie, prête à surgir.
Je me lève, lentement, chaque mouvement me semble peser une tonne. Le silence de l’appartement est presque étouffant, mais je n’ose pas faire de bruit. J’ai l’impression qu’à tout instant, quelque chose pourrait se manifester, me dévorer.
Dans la cuisine, je prépare un café, le liquide chaud brûlant mes mains et pourtant m’offrant un semblant de réconfort. Je m’adosse au comptoir, le regard perdu à travers la fenêtre embuée. Les gouttes de pluie continuent de tomber, dessinant des chemins incertains sur le verre.
Le téléphone vibre encore. Cette fois, c’est un message de Leïla.
« Tu as besoin de parler ? Je suis là. »
Je reste un long moment à fixer l’écran, incapable de répondre. Comment lui dire que je me sens menacée sans savoir par quoi ? Comment lui avouer que ce nom, Ashar, résonne dans ma tête comme une promesse de chaos ?
Je finis par écrire un simple « Merci », trop faible pour expliquer l’ouragan qui gronde en moi.
La journée avance, mais je ne peux pas me concentrer. Chaque son, chaque ombre dans l’appartement me fait sursauter. Je me surprends à guetter l’arrivée d’un bruit suspect, un souffle, un pas.
Je décide finalement de sortir, d’affronter la ville malgré tout. L’air frais de la pluie qui a cessé me frappe le visage. Je marche sans destination précise, comme guidée par une force que je ne comprends pas.
Dans les rues, les passants paraissent indifférents, absorbés dans leur propre quotidien. Pourtant, je sens ce poids, cette attente suspendue, comme si quelque chose d’important allait se briser ou se révéler.
Je me rends au café habituel, espérant que la chaleur d’un lieu familier puisse apaiser mon esprit. Mais même là, je ne trouve pas la paix. Mes yeux cherchent, cherchent quelqu’un, un signe, une présence.
Je repense à Ashar, à sa voix, à son regard. Et à la dernière fois où je l’ai vu, un mélange d’intensité et de secrets. Je me demande si lui aussi ressent ce poids, cette urgence qui nous pousse l’un vers l’autre.
Le temps s’étire, les heures glissent sans que rien ne change. Mais je sens que tout est en train de basculer. Que cette journée, cette attente, est le fragile avant-goût d’un orage plus violent.
Je sais qu’il faudra bientôt faire face. Que les réponses viendront, qu’elles ne seront peut-être pas celles que j’attends.
Pour l’instant, je marche dans cette lumière grise, le cœur serré, prête à affronter ce que les ombres veulent me révéler.
ÉPILOGUE — Sous un Ciel NeufRAVENLe silence. Pas celui des champs de bataille, lourd et plein de fantômes. Un silence vivant.Je suis assis sur la marche du porche en bois. Le bois craque doucement sous mon poids, imprégné d’humidité par la rosée du matin. Entre mes mains, une tasse encore chaude. Le café est amer, trop fort, mais je m’y accroche comme à un rituel. Devant moi, la vallée s’étire, verte et vaste, respirant lentement. On devine encore les cicatrices noires de la guerre, des pans entiers de collines rasés par les flammes, des squelettes de bâtiments au loin… mais la nature reprend. Elle est têtue, la nature. De petites fleurs sauvages jaillissent des fissures du sol, jaunes, violettes, comme si elles se moquaient de tout ce qu’on a détruit.Un froissement derrière moi. Des pas nus sur le plancher. Une voix, basse, rauque de sommeil :— Tu es levé tôt.Je me retourne. Isis. Elle porte une chemise trop large, sans doute la mienne, tombant à mi-cuisse. Ses cheveux, libres,
Chapitre 83 — Quand l’Aube Revient RAVENLe ciel brûle. Pas d’un feu d’artifice, pas d’une aube paisible, mais d’un rouge incandescent qui déchire les nuages lourds. Le vent transporte l’odeur âcre de la cendre et du métal brûlé, et chaque souffle me rappelle que nous n’avons plus rien à perdre. Devant nous, le dernier bastion de l’ennemi : une forteresse noire, éventrée par les bombardements, mais toujours debout comme un défi.Derrière moi, j’entends le cliquetis sec de Mia qui recharge son arme. À ma gauche, Isis observe le bâtiment, impassible en apparence, mais je vois ses doigts trembler sur le manche de sa lame. Nous sommes trois ombres face à un monstre, trois survivants qui refusent de mourir aujourd’hui.— On entre, dis-je.Ma voix est rauque, étrangère à mes propres oreilles. Isis hoche lentement la tête, ses yeux de glace ancrés aux miens une seconde — juste assez pour me dire je te suis. Mia esquisse un sourire amer, presque un rictus.— Allons chercher notre fin, murmur
Chapitre 82 — Les Cendres du CombatRAVENMes jambes plient sous moi, et je me laisse tomber sur un bloc de béton éventré. L’impact résonne dans tout mon corps comme une onde sourde. Je sens mes muscles protester, mes articulations craquer. Chaque mouvement est devenu une lutte. La sueur froide qui me colle la nuque me donne la nausée.Mes mains… je les regarde à peine. Tremblantes. Couvertes d’une fine poussière grise collée à des traînées sombres du sang. Le mien ? Impossible à dire. Mon cerveau ne fait plus la différence. Tout est douleur, partout. Des picotements dans mes doigts jusqu’aux élancements dans mes côtes.Je veux inspirer profondément, mais mes poumons me rappellent à l’ordre d’une brûlure cuisante. L’air ici est irrespirable : lourd de fumée, de cendres, d’odeur de fer chaud et d’un arrière-goût âcre de chair carbonisée. Ça colle au fond de ma gorge, ça me donne envie de cracher, mais rien ne sort.Le silence autour n’a rien d’apaisant. Il est… tendu. Faux. Comme si le
Chapitre 81 — Les Cendres du Combat RAVENJe m’assois lourdement sur un bloc de béton instable, les muscles en feu, les articulations protestant. Chaque respiration est un effort. Les poumons brûlent, et mes mains, encore crispées sur la crosse de mon fusil, tremblent légèrement. Je passe en revue la scène : les ruines, les gravats, les explosions récentes, les angles morts que nous avons frôlés. Tout reste menaçant, tout pourrait redevenir un piège à chaque instant.Je relève les yeux vers Isis et Mia. Leur fatigue est palpable, mais elles tiennent encore debout. Les micro-frôlements de ce matin, dans le feu de l’assaut, me reviennent. Le souffle qu’elle a laissé effleurer ma peau, la tension qui vibrait entre nous, les gémissements étouffés souvenirs qui me traversent comme des décharges.Je détourne les yeux, retient un gémissement qui n’est plus de la douleur mais de l’effort, de l’adrénaline qui s’éteint à peine. La bataille nous a laissés nus, exposés, mais plus vivants que jam
Chapitre 80 — L’Assaut des Ruines RAVENLes gravats craquent, volent sous mes pas. Chaque mouvement est une évaluation : ici un pont instable, là un couloir étroit où un piège pourrait surgir. Je sens la poussière piquer mes yeux, mes muscles hurler sous le poids de l’équipement. Chaque respiration est un rappel brutal que la vie ne tient qu’à un souffle.Isis est derrière moi, proche mais distante. Je sens sa chaleur dans l’ombre. Un frôlement de son bras alors que je pivote pour balayer un angle, et je retiens un gémissement qui pourrait trahir la fièvre contenue. Ma mâchoire se serre. Discipline. Maître avant tout. Mais l’instinct me brûle, me réclame un contact que je ne peux pas donner.Une explosion secoue un mur effondré. Débris et poussière emplissent l’air. Je crie des ordres silencieux à Mia, qui disparaît dans une ruelle latérale. Chaque pas, chaque tir devient une danse mortelle, une chorégraphie que je maîtrise malgré le chaos.---ISISJe glisse derrière lui, chaque pas
Chapitre 79 — La Veille des Cendres RAVENJe passe en revue mes armes une seconde fois. Chaque pièce, chaque sangle, chaque chargeur. Le métal résonne, un bruit sec qui me rattache à la réalité. Mes muscles hurlent, mes articulations protestent contre le poids des jours passés à survivre, mais je continue, mécanique. Chaque cliquetis de culasse, chaque glissement de ressort est un battement de cœur que j’impose à l’ombre.Le souffle court, je tends la main vers Isis. Juste un geste, une proximité muette. Mon corps réclame ce contact, mais je retiens tout. Un gémissement étouffé m’échappe quand je me baisse pour vérifier la visée d’un fusil. Aucun son n’atteint les autres, mais c’est moi qui entends cette tension animale. Je me redresse, crispé, et détourne le regard. Chef avant tout. Homme avant tout.Les drones bourdonnent au loin. Leurs vibrations se répercutent dans le sol, dans les murs, dans ma poitrine. Chaque vibration me rappelle que demain, le danger sera tangible. Mais ce s