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Le murmure sous la peau

last update Huling Na-update: 2025-06-15 22:46:43

Chapitre 2 : Le murmure sous la peau

Isis

Le lendemain, tout paraît flou.

Comme si la nuit n’avait pas eu de fin. Comme si le rêve avait glissé jusqu’au matin, s’était accroché à moi comme une seconde peau.

Je me réveille en sursaut, le cœur battant, le drap collé à ma peau trempée de sueur. L’air est lourd, saturé, presque irrespirable. Je reste un moment immobile, les yeux fixés au plafond, sans comprendre tout de suite où je suis. Mon corps est là, mais mon esprit… ailleurs. Prisonnier d’un souvenir qui n’en est pas un.

Un rêve.

Je veux croire que c’était un rêve.

Mais mes mains tremblent encore. Mes lèvres aussi.

Et son souffle, je le sens encore contre ma joue.

Un souffle chaud, vibrant, impossible à oublier.

Je me lève, lentement, comme si chacun de mes gestes se faisait à travers un épais brouillard. Mes muscles sont engourdis. Mon estomac noué. Je ne mange pas. Je ne bois pas. Je n’ouvre pas les volets. Je vais droit à la salle de bain. Le miroir me renvoie une image pâle, cernée, presque étrangère.

L’eau coule. Chaude. Puis brûlante. Je veux qu’elle me racle la peau, qu’elle efface cette impression de chaleur contenue, de tension suspendue, de présence invisible qui s’accroche à moi. Mais rien ne part.

Il m’a dit mon nom.

Isis.

Je ne l’ai jamais vu. Jamais entendu.

Et pourtant… il savait.

Je reste longtemps sous la douche. Trop longtemps. L’eau finit par me faire mal, mais je ne coupe pas le jet tout de suite. C’est comme si je craignais que le silence, lui, fasse plus de bruit encore.

Je m’habille comme chaque jour. Pull noir, jean, manteau long. Rien de remarquable. Rien de visible. Sauf peut-être cette fébrilité dans mes doigts, cette tension dans ma nuque, cette alerte invisible qui me suit comme une ombre.

Dans la rue, tout semble teinté d’irréel.

La brume est basse, épaisse, sale. Elle ronge les contours des immeubles, avale les sons, étouffe les pas. Les visages que je croise n’ont pas d’yeux. Juste des silhouettes pressées, indifférentes.

Je marche sans vraiment voir. Je vais là où mes pieds me portent, incapable de me souvenir si j’ai pris mon sac, mes clés, ou même mes chaussures habituelles. Mon esprit est ailleurs.

Les images d’hier me hantent.

Sa silhouette.

Son regard.

Cette voix grave, douce et coupante à la fois.

Et soudain, un frisson me traverse l’échine.

Je m’arrête.

Je jette un coup d’œil derrière moi.

Personne.

Mais je sens cette brûlure glacée dans ma nuque.

Encore.

À la bibliothèque, je fais semblant d’être là. Je trie les livres. Enfin… j’essaie. Mes mains ne coopèrent pas. Les volumes me glissent des doigts. Je mélange les étiquettes. Je remets un livre de biologie dans la section des mythes anciens. Personne ne me corrige. On me regarde. Un peu. Mais on ne dit rien.

On respecte ma solitude, ici.

C’est une règle tacite. Une frontière invisible.

Mais aujourd’hui, cette solitude m’étrangle. Elle m’enferme. Elle me colle à la peau comme un fardeau. Comme une condamnation.

La journée s’étire, interminable.

Quand la nuit tombe, je reste encore.

Les lumières s’éteignent une à une.

Je garde la dernière. Celle de l’arrière-salle. La lampe à abat-jour doré. Elle éclaire les vieux grimoires, les pages froissées, les reliures abîmées. D’ordinaire, cette lumière me calme.

Mais pas ce soir.

Ce soir, elle tremble.

Ou peut-être est-ce moi.

Je me laisse glisser contre le mur. Le parquet grince sous moi, proteste en silence. Je ferme les yeux.

Et je l’entends.

Pas une voix.

Un souffle.

Un murmure presque inaudible.

Mais je le reconnais.

Isis.

Je rouvre les yeux d’un coup.

Le silence m’oppresse. Le vide me griffe.

Je me lève d’un bond. Ramasse mes affaires à la hâte. Mes mains tremblent. Mon souffle est court. Les clés serrées entre mes doigts me font mal. Mais cette douleur est la seule chose réelle. La seule qui me rattache encore au sol.

Je sors.

La rue est vide.

Mais différente.

Tout semble… trop calme.

Le vent ne souffle pas.

Pas un bruit de moteur, pas un pas pressé, pas même un chat.

C’est comme si le monde retenait son souffle.

Et moi, je retiens le mien.

Je tourne au coin de la rue.

Et je le vois.

Appuyé contre un mur, une cigarette oubliée entre les doigts. Il ne fume pas. Il attend.

Toujours ce même manteau noir. Ces cheveux en bataille. Ce regard impossible. Brûlant. Troublant.

Il ne sourit pas.

Pas cette fois.

— Tu m’as suivie ?

Ma voix est rauque. Incertaine. Un murmure à peine plus audible que celui de tout à l’heure.

Il ne répond pas tout de suite.

Puis, lentement, il écrase sa cigarette entre ses doigts.

— Non. Je t’ai attendue.

Ma gorge se serre. Je recule d’un pas. Il s’en détache, sans brusquerie.

— Pourquoi ? Qui êtes-vous ?

Il s’approche. Lentement. Un pas. Puis un autre.

À chaque battement de cœur, j’ai l’impression que le monde devient plus dense. Plus étroit. Plus électrique.

Mais je ne bouge pas.

Pas un geste.

— Tu as changé quelque chose. Hier soir.

Sa voix est basse. Presque blessée.

Comme s’il m’en voulait. Ou comme s’il me confiait une vérité trop lourde.

— Qu’est-ce que vous racontez ?

Il s’arrête juste devant moi. Son regard fouille le mien.

Je me sens mise à nu. Épluchée de l’intérieur.

Et je sais qu’il cherche quelque chose. Une réponse que je ne possède peut-être pas.

— Ce n’était pas censé se produire, souffle-t-il.

Je fronce les sourcils.

— Quoi donc ? Qu’est-ce qui n’était pas censé…

Mais ma voix se brise.

Il approche la main. Doucement. Très doucement.

Ses doigts effleurent mon poignet.

Je sursaute. Pas à cause de la peur.

À cause de la chaleur.

Sa peau contre la mienne, c’est une déflagration. Une onde. Une résonance.

Et lui aussi tressaille.

— Ce lien… Ce n’est pas normal.

Je veux parler. Demander. Hurler peut-être. Mais aucun mot ne franchit mes lèvres. Mes pensées sont noyées dans le tumulte.

Il retire sa main. Comme si le contact l’avait brûlé.

— Qui es-tu vraiment, Isis ?

Son regard cherche encore. Plus profond. Plus loin.

Et moi, je voudrais poser la même question.

Mais je dis autre chose.

— Vous allez me faire du mal ?

Il ne répond pas.

Il s’approche encore.

Son souffle effleure ma joue, exactement comme hier soir. Comme dans le rêve.

— Je ne sais pas encore.

Et sans un mot de plus, il se détourne.

Il s’éloigne, d’un pas rapide, souple, presque irréel.

Et disparaît dans l’ombre d’une ruelle.

Je reste seule. Encore.

Mais plus vide. Plus fragile.

Parce que je sens déjà qu’il a pris quelque chose en moi. Quelque chose d’invisible, mais vital. Et que je vais le chercher, encore. Demain. Ou après-demain. Ou cette nuit-même.

Je ne suis plus seule.

Je suis suivie par une brûlure.

Un murmure sous la peau.

Et je sais, au fond de moi, que rien ne sera plus jamais comme avant.

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