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 Nuit de sang et de désir
Nuit de sang et de désir
Author: Doriane Santos

L'odeur de la nuit

last update Huling Na-update: 2025-06-15 22:44:51

Chapitre 1 : L’odeur de la nuit

Isis

Je rentre tard. Comme toujours.

La bibliothèque ferme à vingt heures, mais je reste souvent plus. Bien plus. C’est devenu une habitude. Un refuge. Quand les lumières s’éteignent peu à peu et que les derniers lecteurs s’évanouissent comme des fantômes, je respire enfin. Le silence me tient compagnie. L’odeur des vieux livres me rassure plus que les humains. Le cuir usé, les pages froissées, l’encre fanée : tout cela me parle, m’apaise. Le monde réel, lui, me glisse dessus. Je ne l’aime pas.

Il n’y a que cette lumière douce, tamisée, que je garde allumée jusqu’au dernier moment, comme une flamme qu’on veille. J’éteins à contrecœur, toujours en dernier la lampe au bureau de l’entrée. Et je tire la lourde porte de bois, comme on referme un sanctuaire.

Ce soir, l’air est moite. Chargé d’électricité.

Lourd. Étouffant.

Quelque chose pèse sur mes épaules. Un poids invisible. Une tension qui se glisse sous ma peau. Je secoue la tête. Ça va passer. L’angoisse n’est pas une étrangère — mais ce soir, elle a le goût du fer. Le goût d’un frisson ancien, presque viscéral, qui remonte le long de ma colonne.

Je prends à gauche, puis à droite. Les rues sont vides. Trop calmes. L’horloge sonne vingt-deux heures, sèchement, comme un avertissement. Mon pas résonne sur le pavé humide. Les lampadaires clignotent parfois. L’ombre des feuillages se tord sur les murs comme des doigts morts.

Je devrais marcher plus vite.

Je devrais rentrer.

Et puis je le sens.

Avant même de le voir.

Cette chaleur.

Ou plutôt, cette brûlure glacée.

Comme une morsure sans crocs.

Quelque chose me fixe. Intensément.

Je m’arrête. Tourne lentement la tête. Personne. Rien.

Mais mon cœur bat plus vite. Trop vite.

Ma nuque me picote, comme si un souffle s’y attardait.

Je sens mon chemisier coller à ma peau. La sueur est fine, presque imperceptible. Une alerte primitive.

Je ne suis pas seule.

Je reprends ma marche, plus vive. Les clés serrées dans ma main. J’essaie de ne pas courir. De ne pas donner de raison à l’ombre de me poursuivre.

Ma porte. Enfin. À quelques pas.

J’avance d’un pas. Deux. J’allais tendre la main vers la serrure quand…

— Tu ne devrais pas marcher seule, aussi tard.

La voix.

Grave. Sombre. Douce comme une caresse.

Mais trop proche.

Juste derrière moi.

Je me retourne d’un bond, le souffle coupé.

Il est là.

Droit. Imposant. Silencieux comme la mort.

Et beau à me faire oublier mon prénom.

Grand. Élancé. Un manteau noir, élégant, fendu par le vent. Une chemise sombre qui épouse un torse tendu sous la matière. Des cheveux noirs, mi-longs, qui encadrent un visage aux lignes nettes, presque irréelles. Une sculpture vivante. Et ces yeux.

Ses yeux.

Pas humains.

Un vert sombre, profond, abyssal.

Ils m’avalent tout entière.

Je ne peux pas détourner le regard. Mon souffle se suspend.

Et je comprends.

Il n’a pas besoin de parler. Je le sais.

Ce n’est pas un homme.

Pas tout à fait.

C’est une certitude gravée dans mes os, dans chaque battement affolé de mon cœur.

— Je… qui êtes-vous ? bredouillé-je, la voix brisée.

Il sourit. Lentement. Sans dents. Pas encore.

— Tu as une odeur singulière.

Je recule. Instinctivement.

Il avance. Un seul pas. Suffisant pour qu’il entre dans ma bulle, dans ma chaleur, dans ma peur.

Mais ce n’est pas de la peur. Pas seulement.

C’est autre chose. Plus trouble.

Une tension. Une chaleur basse dans mon ventre.

Un frisson interdit.

Il m’observe. De la tête aux pieds. Son regard s’attarde. Trop longtemps sur mes lèvres. Ma gorge.

Il me déshabille sans un geste.

— Tu ne cries pas, note-t-il.

— Je devrais ? soufflé-je.

Il penche légèrement la tête, amusé. Intrigué.

— Tu as peur. Mais pas assez. C’est troublant.

Il s’approche encore.

Ses doigts frôlent ma joue.

Un effleurement. Comme s’il goûtait ma peau sans la toucher vraiment.

Je retiens un frisson. Trop tard. Il l’a vu.

Son regard s’attarde à nouveau sur ma gorge nue.

Je sens mon cœur cogner contre mes côtes.

Il doit l’entendre. Le sentir. Le vouloir.

— Je ne devrais pas te laisser vivre, murmure-t-il.

Sa voix n’a pas changé. Toujours aussi douce.

Mais ses mots sont des lames.

Je devrais hurler. Le gifler. Fuir.

Mais je reste.

Je tremble.

Je brûle.

Ses lèvres s’approchent. Lentement.

Elles frôlent presque les miennes.

Je sens son souffle.

Il sent la forêt. La pluie. Le feu. Le sang.

Et quelque chose d’autre. Une faim.

Une envie si forte qu’elle me traverse, qu’elle me déchire.

Je ferme les yeux.

Je l’attends.

Qu’il m’embrasse.

Qu’il me morde.

Qu’il me prenne.

Mais il ne fait rien.

Il reste là.

Et souffle à mon oreille, si doucement que j’en tremble toute entière :

— Rentre chez toi, Isis.

Mon nom. Il connaît mon nom.

Quand je rouvre les yeux, il n’est plus là.

Le vide autour de moi est glacé.

L’air est revenu. Mais je suffoque.

Je reste là, seule, le souffle court, les jambes en coton, la peau en feu.

Le cœur battant.

Le ventre noué.

Le corps tendu vers une absence.

Et pour la première fois depuis longtemps…

je désire.

Pas un rêve.

Pas un fantasme.

Je désire cet inconnu aux yeux d’ombre.

Je désire le revoir.

Je veux sa voix, son regard, son souffle, sa présence.

Même si ça doit me brûler vive.

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